[14ᵉ mois] Une promesse centrale face à des défis multiples

Le gouvernement de l’Alliance du Changement, dirigé par le Premier ministre Navin Ramgoolam, s’est engagé à concrétiser rapidement le paiement du 14e mois. Cette mesure phare, promise lors de la campagne électorale, vise à soutenir le pouvoir d’achat des travailleurs et des retraités dans un contexte de hausse des prix et de difficultés économiques. Cependant, sa mise en œuvre se heurte à de nombreux défis économiques, juridiques et logistiques.

Afin de respecter cette promesse, des consultations intensives sont en cours entre techniciens, partenaires sociaux et représentants du secteur privé. Le gouvernement cherche à définir les contours d’une mise en œuvre réaliste et efficace. Ces discussions sont cruciales pour garantir que cette mesure réponde aux besoins des travailleurs sans entraîner de conséquences financières trop lourdes pour l’État et les entreprises.

Les défis juridiques

La mise en place du 14e mois, selon son statut, pourrait nécessiter un amendement législatif pour en garantir l’application obligatoire. Sans cette modification, les entreprises ne seraient pas tenues de respecter cette mesure, créant ainsi un risque d’inégalité d’application. L’Attorney General, Gavin Glover, a confirmé que cette question figure parmi les priorités et qu’une nouvelle législation sera préparée dans les plus brefs délais. Cependant, ce processus est complexe. Des précédents, comme les débats autour de la relativité salariale, ont montré que des retards et des imprécisions dans les textes peuvent entraîner des blocages juridiques. À titre d’exemple, Business Mauritius a contesté certaines régulations salariales devant la Cour suprême, soulevant des interrogations sur les pouvoirs du ministre du Travail selon l’Employment Relations Act.

Par ailleurs, la question du 14e mois pour les retraités, notamment les bénéficiaires de la Basic Retirement Pension (BRP), constitue également un défi majeur. Ces retraités, nombreux à vivre dans des conditions précaires, attendent ce versement avec impatience. Le financement de ce 14e mois, estimé à Rs 4,9 milliards, représente un véritable défi budgétaire, mais a été confirmé par Kugan Parapen, Junior Minister de la Sécurité sociale.

Takesh Luckho : « Cette allocation exceptionnelle est une réponse à la flambée des prix et aux sacrifices des citoyens »

Takesh Luckho, économiste, explique que « le paiement du 14e mois est actuellement en discussion pour plusieurs raisons économiques, juridiques, politiques et sociales. Plusieurs obstacles retardent l’implémentation de cette mesure. »

Il rappelle toutefois que Navin Ramgoolam, Paul Bérenger, Ashok Subron, ainsi que l’actuel ministre du Travail, Reza Uteem, ont publiquement affirmé que le 14e mois serait payé, et qu’aujourd’hui, la question est de savoir comment ce paiement sera effectué et sous quelle forme. « Il faut distinguer le 14e mois versé par certaines grandes entreprises — comme celles des secteurs bancaire, financier, hôtelier, et des assurances — qui disposent de revenus élevés et réalisent des performances très satisfaisantes. Dans ces entreprises, le 14e mois est un bonus de performance habituel, parfois même accompagné d’un 15e mois », précise-t-il.

Selon ses dires, le 14e mois annoncé pendant la campagne électorale, notamment par le leader du Parti travailliste, est plutôt une allocation exceptionnelle, une ‘Cost of Living Allowance’, destinée à rétablir le pouvoir d’achat des citoyens et à récompenser leurs sacrifices face à la situation actuelle. Selon lui, ces problèmes ont résulté des mauvaises décisions monétaires et fiscales du régime précédent, ayant causé la dévaluation de la roupie et une hausse des prix.

« Cette allocation exceptionnelle, prévue uniquement pour 2024, devrait coûter entre 16 et 18 milliards de roupies à l’économie, dont environ 14 milliards pour le secteur privé. C’est là que réside le principal problème. Les petites et moyennes entreprises (PME), déjà fragilisées par l’augmentation du salaire minimum et le réajustement salarial, disposent d’un délai très court pour trouver les fonds nécessaires. Le gouvernement devra donc intervenir pour financer environ 10 milliards de roupies afin de soutenir ces entreprises », soutient Takesh Luckho.

De plus, dit-il, la compensation salariale réclamée par les syndicats complique la situation, nécessitant une formule qui prenne en compte l’ensemble de ces éléments. « Juridiquement, si le 14e mois est présenté comme une allocation, il ne sera pas nécessaire de modifier la loi. Cependant, si ce paiement prend la forme d’un salaire additionnel, des amendements à la Workers’ Rights Act seront indispensables », conclut-il.

BoM : Stabilisation et rigueur budgétaire

Selon Takesh Luckho, un audit financier et comptable est actuellement en cours pour évaluer les disparités entre les chiffres de la Banque de Maurice (BoM) et ceux publiés par Statistics Mauritius. « La priorité des priorités est de stabiliser la roupie mauricienne et d’empêcher qu’elle continue de se déprécier. Pour cela, il faut consolider les réserves de devises étrangères du pays », souligne-t-il.

Il insiste également sur l’importance d’éviter les ponctions dans les réserves de la BoM, une pratique qui a causé d’importants dégâts par le passé. « Les nouvelles têtes pensantes de la BoM sont conscientes de l’ampleur des conséquences et devraient donc s’abstenir d’utiliser l’argent monétaire à des fins de dépenses fiscales », ajoute Takesh Luckho.

MIC : Transparence et restructuration nécessaires

En ce qui concerne la Mauritius Investment Corporation (MIC), il plaide pour un retrait immédiat de la Banque de Maurice comme actionnaire, en suivant les recommandations d’institutions internationales comme le FMI et Moody’s. « La MIC, en étant une entité de la BoM, donne l’impression que les fonds monétaires sont utilisés à des fins fiscales. Il est urgent de transformer la MIC en une entité semi-publique ou privée, avec le gouvernement comme actionnaire principal et un conseil d’administration indépendant », préconise l’économiste.

Il appelle aussi à un audit approfondi pour déterminer l’usage des fonds, identifier les bénéficiaires et évaluer les conditions de remboursement. « Les entreprises qui ont bénéficié de ces prêts étaient en difficulté en 2021. Aujourd’hui, la plupart enregistrent des milliards de profits. Il est donc nécessaire de revoir les conditions de paiement », conclut Takesh Luckho.