[Accord sur les Chagos] Milan Meetarbhan : « Les Britanniques et les Américains sont les véritables gagnants »

L’accord récemment conclu entre la Grande-Bretagne et Maurice concernant l’archipel des Chagos suscite de vives réactions, tant au niveau national qu’international. Alors que Londres reconnaît officiellement la souveraineté de Maurice sur les îles Chagos, un point majeur continue de soulever des interrogations : la prolongation du contrôle britannique sur Diego Garcia. Ce territoire, qui abrite une base militaire conjointe avec les États-Unis, restera sous l’autorité britannique pour une période initiale de 99 ans renouvelable, permettant ainsi aux anglais de maintenir leur influence stratégique bien au-delà du siècle prochain.

Les partisans de cet accord, dont le Premier ministre Pravind Jugnauth, le qualifient de « moment historique », mais ce compromis semble plus bénéfique au Royaume-Uni qu’à Maurice. De plus, les Chagossiens, expulsés de leur terre natale il y a des décennies, sont les grands absents dans cet accord. La réinstallation sur les îles est prévue, mais elle exclut Diego Garcia, ce qui limite considérablement les possibilités pour ceux qui souhaitent retourner vivre sur leur terre ancestrale.

« Accord on our terms »

Milan Meetarbhan, constitutionnaliste, partage ses réflexions sur cet accord. « C’est certainement une avancée, le fait qu’il y ait eu des négociations, alors que pendant des années, la Grande-Bretagne a toujours refusé de négocier avec Maurice », déclare-t-il. Cependant, il souligne que cette décision a été motivée par des circonstances extérieures, notamment des décisions du Tribunal international du droit de la mer et de la Cour internationale de justice, qui ont créé une incertitude quant à la base américaine. « Le gouvernement britannique a engagé ces négociations pour qu’il y ait plus de certitude pour l’avenir. Mais il a aussi dit qu’il voulait que ce soit un accord ‘on our terms’, c’est-à-dire basé sur leurs propres intérêts », explique le constitutionnaliste.

Pour Milan Meetarbhan, les Britanniques et les Américains seront les véritables gagnants de cet accord, obtenant une sécurité juridique qu’ils n’avaient pas auparavant. « Théoriquement, nous retrouvons notre souveraineté sur les autres îles de l’archipel, mais les études montrent que ces îles ne sont pas économiquement viables pour un éventuel retour », ajoute-t-il. « Le fait d’avoir mené un combat pendant 60 ans pour pouvoir effectivement exercer notre souveraineté sur les Chagos, et ensuite céder nos droits souverains, parce que c’est le terme qui est utilisé dans le communiqué de la semaine dernière, donne lieu à quand même beaucoup de réserve. Il y a quand même une grande différence entre un bail accordé à une tierce partie et une cession de droits souverains à l’ancienne puissance coloniale. Ce n’est pas la même chose », relève Milan Meetarbhan.

Le constitutionnaliste revient également sur le timing de l’accord. « Là il y a quelque chose de très grave. Les Britanniques ont dit clairement et publiquement qu’il fallait trouver un accord avant la dissolution du Parlement. Les médias et les journalistes britanniques ont dit que le Parlement serait dissous le lendemain, c’est-à-dire le lendemain de la publication du communiqué conjoint. Or, les Mauriciens n’ont pas été informés de la date de dissolution », souligne-t-il. En effet, le Premier ministre Pravind Jugnauth avait déjà communiqué cette date aux Britanniques, mais pas à ses concitoyens. « Pravind Jugnauth s’est donné un avantage sur les autres, et ce n’est pas digne d’une démocratie, parce qu’il faut ce qu’on appelle un ‘level playing field’ pour les élections », dit-il.

Scepticisme au niveau national et international

Des figures de l’opposition ont également exprimé leur scepticisme quant à la véritable portée de cet accord. Shakeel Mohamed a déclaré lors d’une réunion nocturne dans la circonscription No 3 : « Pravind Jugnauth finn prend nou zil, li finn donn sa anglais, li finn fer squatter vinn propriétaire pou 99 banané, et renouvelable. Jonathan Powell inn dir lor Channel 4 ki zot ti ena ene larrangement ki zot inn fer avec PM mauricien pou tomb d’accord avant élections. PM ki décider kan pou fer dissolution, li ene zafer secret ki pa partagé, et surtout pas avec ene létat étranger parski li ene violation de so prérogative en tant que 1er ministre. » Paul Bérenger a pour sa part affirmé : « Pa de compromis lor la souverainté de Diego Garcia, ena unanimité lor la. Zot pe rod gard souveraineté Chagos pu 200 banané et peut-etre plus. Li inacceptable ! Li ene la honte pou ban américains et ban anglais ! »

Le 7 octobre, lors d’un débat à la Chambre des communes en Grande Bretagne, le député conservateur Sir Iain Duncan a désapprouvé l’accord récent entre le Royaume-Uni et Maurice, soulignant qu’il n’avait pas l’aval des Chagossiens. Le parlementaire a qualifié le gouvernement mauricien de ‘disgusting government’ et l’a accusé de violations des droits humains, notamment envers des opposants politiques et la communauté créole. Il a remis en question le timing de l’accord, le jugeant précipité et potentiellement motivé par des considérations électorales à Maurice.

Des Chagossiens ont également exprimé leur mécontentement face à leur exclusion des négociations. Des organisations comme Human Rights Watch ont demandé que les Chagossiens soient consultés, soulignant que l’accord ne garantit pas leur retour sur leur patrie et semble même interdire leur accès à Diego Garcia pendant un siècle. Clive Baldwin, conseiller juridique principal de l’organisation, a appelé à des consultations significatives avec la communauté chagossienne, avertissant que le Royaume-Uni, les États-Unis et Maurice pourraient être tenus responsables d’un « crime colonial toujours en cours ».