Suite aux conditions de remise en liberté très strictes imposées par la Cour de Moka concernant Bruneau Laurette, dont deux cautions d’un million de roupies chacune et une reconnaissance de dette de Rs 50 millions, certaines voix se sont élevées pour dénoncer ces conditions. Est-il grand temps de revoir notre système de remise en liberté conditionnelle ? C’est la question qu’on se pose.
Bruneau Laurette sera fixé sur son sort le lundi 27 février 2023, après que les représentants du DPP ont demandé à la magistrate Jade Ngan Chai King, siégeant en Cour de Moka, de surseoir à toute remise en liberté conditionnelle le mardi 21 février en attendant que le DPP ne fasse appel. Ce dernier dispose d’un délai de sept jours pour déposer ses ‘grounds of appeal’ devant la Cour suprême.
Parvez Dookhy, constitutionnaliste, aborde d’emblée les conditions de remise en liberté très strictes imposées sur Bruneau Laurette. « Ces conditions sont tellement strictes et drastiques que Bruneau Laurette serait plus libre en prison qu’à l’extérieur », lâche-t-il, sarcastique. Il convient ainsi de faire rappeler que Bruneau Laurette devra pointer au poste de police deux fois par jour, le matin et l’après-midi. En outre, il ne pourra pas se déplacer au-delà d’une certaine distance de son domicile. Qui plus est, il devra être à son domicile dès la tombée de la nuit jusqu’au lendemain matin. Ce qui est quand même très contraignant. Dans ces conditions, il ne pourra pas travailler (quoiqu’il est officiellement sans emploi).
« À titre de comparaison, je pense que Bruneau Laurette aurait pu travailler en prison, ou encore qu’il aurait pu mieux se reposer en prison, n’ayant pas deux rendez-vous à respecter par jour », fait ressortir l’avocat. « Par contre, on peut expliquer pourquoi ces conditions sont si strictes. Bruneau Laurette est accusé d’un délit très grave. L’enquête est toujours à ses débuts. Donc, la magistrate a coupé la poire en deux : elle a voulu donner une chance pour que l’enquête aboutisse et elle a voulu que Bruneau Laurette puisse dormir le soir chez lui », explique Parvez Dookhy.
Est-il temps de revoir la loi relative à la remise en liberté ? Selon notre interlocuteur, notre système de remise en liberté provisoire (alors qu’une enquête est en cours) est d’inspiration britannique et ne correspond pas aux conditions de vie à Maurice. Ainsi, le droit anglais a été conçu à la base pour une société d’une part aristocratique, et d’autre part bourgeoise. On demande donc le paiement d’une caution à des gens qui ont des propriétés et des revenus.
Par contre, estime Parvez Dookhy, Maurice gagnerait peut-être à s’inspirer du système français, qui a une toute autre approche. Le système français a ainsi comme critère déterminant « l’insertion dans la société ». Les facteurs qui sont privilégiés par le tribunal pour remettre une personne en liberté dépendent donc s’il a un emploi ou non, une famille à charge, un domicile fixe, un engagement associatif etc. À ce moment, le paiement d’une caution est principalement réservé pour les personnes très riches et notamment dans des affaires de crimes financiers. Par ailleurs, le bracelet électronique est couramment utilisé dans ce pays.
La magistrate a ordonné à ce que Bruneau Laurette fournisse un portable à la police pour que cette dernière puisse y activer un dispositif de géolocalisation. Le prévenu devrait avoir ce portable sur lui en tout temps. Vu qu’à Maurice, nous n’utilisons pas de bracelet électronique, la magistrate a dû avoir recours à ce genre de procédé pour permettre la géolocalisation de Bruneau Laurette. Mais le porte-parole de la police, l’inspecteur Shiva Coothen, devait récemment affirmer que la police n’est pas équipée à suivre les mouvements de qui que ce soit par géolocalisation. « Le comble pour un pays qui s’affiche comme une ‘Cyber Island’», devait commenter Parvez Dookhy.
‘Review of bail’
Un appel des avocats au DPP pour qu’il revoie sa décision
La liberté conditionnelle avait été accordée à Bruneau Laurette ce 21 février par la magistrate Jade Ngan Chain King, siégeant en Cour de Moka, mais le prévenu a dû rester en détention après que les représentants du DPP ont demandé à la cour de surseoir à toute remise en liberté pour que le DPP puisse interjeter appel devant la Cour suprême.
Dans une déclaration à la presse, l’avocat de Bruneau Laurette, Rouben Mooroongapillay, se dit d’accord que le bureau du DPP a parfaitement le droit de faire cette demande, selon les dispositions de la loi. Toutefois, le panel d’avocats de Bruneau Laurette compte lancer un appel au bureau du DPP pour reconsidérer les points avancés durant la motion de remise en liberté de Bruneau Laurette, ainsi que le ‘ruling’ de la magistrate, avant d’aller de l’avant avec cette demande de ‘bail review’. Rouben Mooroongapillay espère ainsi que le DPP reverra sa décision à la lumière de tout ce qui a été mis en évidence.
Selon les dispositions de la loi, le bureau du DPP a un délai de 7 jours pour loger une demande de ‘bail review’ devant la Cour suprême, mais entretemps, le DPP peut aussi prendre la décision de ne pas aller de l’avant avec cette demande. Mais si le DPP maintient son appel devant la Cour suprême, cela pourrait prendre environ deux ou trois mois avant une décision finale. « Dans ce cas, j’espère que les choses se passent rapidement et que Bruneau Laurette soit relâché sous caution le plus rapidement possible », dit-il. Neelkanth Dulloo, un autre avocat de Bruneau Laurette, se dit confiant que Bruneau Laurette sortira de détention, mais probablement pas avant les prochaines élections générales.
Parmi les conditions imposées par la magistrate, Bruneau Laurette devra s’acquitter de deux cautions d’un million de roupies chacune et devra aussi signer une reconnaissance de dette de Rs 50 million. Déjà, certaines voix font remarquer que ces conditions sont vraiment très sévères, surtout si on les compare avec le traitement dont ont bénéficié d’autres personnes accusées de trafic de drogue. Par exemple, dans le cas de Geeanchand Dewdanee, qui avait été arrêté dans le sillage de la saisie record de drogue en 2017, ce dernier avait dû fournir une caution de Rs 450 000 et signer une reconnaissance de dette de Rs 3 millions.