Affaire Manan Fakhoo : La famille des suspects crient à l’injustice

Une répétition de l’affaire L’Amicale, où quatre innocents avaient été envoyés en prison ?  Saif Sadullah, Mursalaf Sadullah, Multazam Sadullah, Anas Sadullah, Bilal Meetoo, Yassin Meetoo, Muntasir Gukhool, Noorudhin Bholah et Ajum Beeharee vivaient paisiblement aux côtés de leurs familles jusqu’au jour où ils ont été arrêtés dans le sillage du meurtre de Manan Fakhoo, qui est mort suite à une fusillade à Beau-Bassin le 20 janvier dernier. Nous avons recueilli les témoignages poignants des proches, qui crient à l’injustice.

L’incompréhension, la colère, la douleur, la tristesse, l’indignation vis-à-vis des éléments de la police, c’est ce qu’on peut lire sur les visages des proches de ces jeunes suspects. Après l’affaire L’Amicale en 1999, qui a vu la condamnation injuste de Sheik Imran Sumodhee, de Khaleeloudeen Sumodhee, d’Abdool Naseeb Keeramuth et de Muhammad Shafiq Nawoor, et leur libération en août 2018, fait-on face ici à une répétition de l’affaire L’Amicale ?

 

Ses proches apprennent son arrestation par la presse

Dans la demeure familiale des Bholah, à la rue Alma, Vallée-Pitot, la mère de Noorudhin Bholah (un des prévenus dans cette affaire, âgé de 28 ans) nous confie sa douleur, en compagnie de ses proches.

Ce jeune homme, qui venait à peine de trouver le bonheur, s’étant marié  il y a un an, devait vivre un cauchemar le lundi 15 février lorsque des éléments de la police, dont le GIPM, l’avaient interpellé chez lui à 4 h du matin, sans même lui expliquer pour quel délit on l’arrêtait. «Nou pane mem koner ki fine arrete li. Ce par la presse vers 13 h ki nou ine appran in arrete li dans crime Manan Fakhoo », s’insurge l’une des proches.

Ces derniers ne comprennent pas le comportement de la police. Selon leurs dires, au début, la police avait perquisitionné le domicile d’une proche, qui habite à l’étage. Cette femme avait été malmenée par la police. Les policiers l’auraient fait marcher dans la rue, la traitant comme une criminelle, avant de la laisser partir, tout en lui disant de ne rien dire, et de faire comme si rien n’était.

Or, en voyant une motocyclette dans la cour, la police s’est empressée de se tourner vers Noorudhin. « Sa qualité la polis pe fer, kuma dir li ene grand criminel. Zot innocent », s’insurgent les membres de la famille de Noorudhin Bholah.

La famille maintient que Noorudhin Bholah a été brutalisé par la police pour qu’il avoue sa participation dans ce crime. Il a ainsi dû être transporté à l’hôpital. « Jamais il n’a eu de problèmes avec la police. Il partait à son travail et retournait chez lui, c’était sa routine. D’ailleurs, le jour ou Manan Fakhoo avait été abattu par balles, il était à la maison parce que des ouvriers travaillaient chez lui», sanglote la mère de Noorudhin Bholah. Ce dernier est représenté par Me Neelkant Dulloo.

Les proches de Noorudhin Bholah déplorent ainsi la façon de faire de la police, qui selon eux, se serait basée seulement sur quelques éléments pour interpeller quelqu’un.

 

 L’épouse de Yassin Meetoo, traumatisée, a dû donner naissance par césarienne

Chez la famille Meetoo, nous faisons encore une fois face à une descente de police qui a traumatisé toute une famille, y compris des personnes âgées et des enfants.

Tout a commencé avec l’arrestation des deux frères Meetoo, Bilall et Yassin, âgés de 30 et de 31 ans. La famille dormait à poings fermés, lorsque la police devait débarquer chez elle, la famille.

Les deux frères, Bilal et Yassin, mariés et pères de famille tous les deux, ont été choqués par leur arrestation, sans que la police ne leur fournisse aucune explication.

Bilal est le père de deux enfants en bas âge. En ce qui concerne Yassin, après son arrestation, son épouse, traumatisée par la descente de police, a accouché du troisième enfant du couple par césarienne. Yassin déplore qu’il n’ait pu voir son enfant. Ce n’est que lors de la reconstitution des faits qu’un proche a pu emmener le bébé, pour que le père ait pu au moins jeter un coup d’œil sur lui. Le couple a deux autres enfants, âgés de 4 et 7 ans.

La famille est traumatisée, en particulier les enfants des deux frères. « Zot in vine devire matelas kot sa ban zenfant la pe dormi. Ban zenfant la ine affecter. Ene ti tapaz zot tender, zot peur. Zot peur pour dormi asoir. Bizin embete zot », nous racontent les proches, qui se disent grandement affectés depuis cet incident. « La façon de procéder de la police est révoltante. Ena vieux dimoune et zenfant dans lakaz, zot pa realiser qui zot pe fer ? »

 

Les Sadullah brutalisés par la police

À Beau-Bassin, chez la famille Sadullah, c’est toujours le choc depuis que quatre membres de cette famille ont été arrêtés. Il s’agit de deux frères, Mursalah (22 ans) et Murtazam (26 ans), et leurs cousins, Anas (19 ans) et Saif (24 ans). Leurs parents sont encore sous le choc.

Tout avait commencé lorsque Mursalah et Saif avaient été convoqués par la police. Ils avaient été accompagnés par le père de Murtazam et de Mursalah, et de deux autres proches. Selon ce dernier, Mursalah et Saif ont été brutalisés par la police. Il attendait dans une pièce, tandis qu’on avait emmené les deux cousins dans une salle d’interrogatoire juste à côté.  « J’ai entendu qu’on les giflait, avec force jurons à l’appui. Chaise pe piller endans. J’avais eu envie de forcer l’entrée pour demander aux policiers de cesser mais à ce moment on m’aurait arrêté. J’ai préféré accuser le coup, mais c’était insupportable d’entendre son enfant se faire maltraiter de la sorte », nous dit-il. Les deux autres proches qui l’accompagnaient nous confirment ses dires.

Le père de Mursalah et de Murtazam ne comprend pas pourquoi la police a arrêté ses deux fils. « Je ne comprends pas si la police a des preuves ou pas, ou s’ils sont en train de fabriquer des preuves. Ils essaient de faire ces enfants innocents porter le chapeau », dénonce-t-il.

Selon notre interlocuteur, Murtazam et Muursalah étaient sur le parking de Dream Price de Beau-Bassin, et il y aurait des preuves en ce sens. Les deux attendaient leurs cousins Saif et Anas, qui étaient encore au travail. Ces quatre jeunes, selon leurs proches, avaient l’habitude de sortir le soir pour des virées, comme tous les jeunes de leurs âges.

La mère de Saif, quant à elle, est au bout du rouleau. Voyant son jeune fils se faire arrêter a été vraiment traumatisant pour elle. « Ce ene injustice ki zot pe fer avek ban zenfant innocents », sanglote cette mère.

Selon elle, son fils était en bons termes avec Manan Fakhoo. Ce dernier était son client, et il venait se faire couper les cheveux chez Saif. Toujours selon elle, le fils de Manan Fakhoo pourrait confirmer tout ceci. « Li mem in dir dan Casernes jamais li pou kroir ki Saif pou fer ene zafer kumsa », dit-elle.

Cette dernière indique que Saif a été forcé par les policiers à signer un document alors que son avocat n’était pas présent, document dont il ne sait pas même pas le contenu.

« Ziska zordi kan mo tan ban son, mo senti moi malade », indique pour sa part le père d’Anas, qui est diabétique. Pour lui, son fils est innocent et n’a rien à faire avec ce crime.

 

La police en force à Vallée-Pitot

À Vallée-Pitot, vendredi dernier, ainsi que ce lundi, il y a eu un fort déploiement des éléments de la SMF (sans aucun lien avec les arrestations dont nous avons décrit dans cet article). Le travailleur social Nizam Nasroollah était présent, et dénonce la façon de procéder de la police. « Cela fait peur », nous dit-il. Selon lui, alors que l’endroit connait un certain progrès, ce déploiement de police remet tout ceci en question « Pas vine fer dimoune peur », demande-t-il.

Faaris, un habitant de l’endroit, nous exprime son désarroi : « La police, trois jours de cela, s’était déployée de façon extraordinaire. Il y avait plus de 10 véhicules, incluant ceux de la SMF, de la SSU, et du GIPM entre autres. Avec leur cagoules sur le visage et leurs fusils à la main, ils ont forcé les habitants de l’endroit de rester dans leur maison. Un tel déploiement fait peur aux enfants de l’endroit. » Il se demande pourquoi la police est venue si lourdement armée.

Maryam (prénom fictif), une habitante de la rue Alma, nous déclare qu’elle est très bouleversée par le déploiement de la police, et qu’elle ne comprend pas aussi le but de cette descente de police à Vallée-Pitot.

Depuis, selon certains habitants, il y a moins de monde que d’habitude dans la rue Alma. Un habitant nous chuchote que les gens ont peur qu’à tout moment, il peut y avoir un autre déploiement de police.