[Affaire Ravatomanga] Junaid Fakim rattrapé par une rencontre avec l’homme d’affaires

L’ancien commissaire de la ‘Financial Crimes Commission’ (FCC), Junaid Fakim, a été arrêté dans le cadre de l’affaire Mamy Ravatomanga sous une accusation provisoire de trafic d’influence. Son arrestation, suivie de son transfert à l’hôpital Victoria à Candos pour des examens médicaux, a provoqué un véritable séisme dans les milieux institutionnels et judiciaires. Après avoir été conduit à l’hôpital public, il a ensuite été admis dans une clinique privée où il reçoit actuellement des soins. Jeudi après-midi, il a comparu en cour de Rose-Hill, où la FCC a formellement objecté à sa remise en liberté conditionnelle.

Devant la cour, la FCC a avancé deux motifs d’objection : le risque d’interférence avec les témoins et la possibilité de « tampering with evidence ». Ces éléments ont été présentés pour justifier le maintien en détention de l’ancien commissaire. Son avocate, Me Urmila Boolell, a toutefois réagi en déposant une motion pour sa remise en liberté conditionnelle, motion qui sera débattue lundi prochain. À sa sortie de la cour, elle a affirmé que la défense est « prête » à faire valoir ses arguments devant le magistrat.

Le volet médical de cette affaire a également occupé une place importante lors de l’audience. Le cardiologue personnel de Junaid Fakim, le Dr Timol, a soumis un rapport médical détaillant l’état de santé de son patient. Selon le médecin, l’ancien commissaire ne pouvait rester en cellule policière compte tenu de ses conditions médicales. À la lumière de ce rapport, le magistrat a ordonné que Junaid Fakim soit immédiatement transféré à l’hôpital Victoria pour y subir des examens complets. Cette décision a été exécutée dans la foulée, et le prévenu a ensuite été admis dans une clinique privée.

Cette arrestation marque un tournant inattendu dans le dossier Mamy Ravatomanga, déjà au centre de toutes les attentions depuis plusieurs semaines. L’homme d’affaires malgache, dont les comptes bancaires ont été gelés à Maurice à la demande de la FCC, fait l’objet d’une enquête pour blanchiment d’argent. L’interpellation de l’ancien commissaire, soupçonné d’avoir exercé ou tenté d’exercer une influence indue, a donné un nouveau souffle à l’enquête, tout en soulevant de nombreuses questions sur les coulisses de la rencontre entre les protagonistes.

Devant la cour, Me Urmila Boolell est revenue sur les circonstances entourant la rencontre du 14 octobre dernier, au domicile du frère de Junaid Fakim à Quatre-Bornes. Selon la version présentée, cette rencontre aurait été initiée par Nasser Bheeky, une connaissance de la famille, qui aurait sollicité Junaid Fakim pour un entretien avec l’homme d’affaires malgache. Le prévenu, ignorant le but de cette entrevue, aurait accepté la demande par courtoisie, sans imaginer la portée que cela prendrait par la suite.

Le soir du 14 octobre, vers 20 heures, Junaid Fakim s’est rendu au domicile de son frère où se trouvait déjà Nasser Bheeky. Peu après, le téléphone de ce dernier a sonné. Il s’est absenté quelques instants avant de revenir accompagné de trois personnes : Mamy Ravatomanga, son gendre et Christian Thomas. La discussion qui s’en est suivie portait sur les difficultés rencontrées par l’homme d’affaires depuis son arrivée à Maurice. Ce dernier aurait évoqué un atterrissage en urgence et des problèmes avec les autorités locales, que Junaid Fakim aurait d’abord attribués au ‘Passport and Immigration Office’.

Au fil de la conversation, Mamy Ravatomanga aurait mentionné le gel de ses comptes bancaires, déclenchant une réaction immédiate de Junaid Fakim. Selon sa déclaration, il aurait alors pris contact avec le directeur général par intérim de la FCC, Sanjay Dawoodharry, pour vérifier si le Malgache faisait bien l’objet d’une enquête. Ce dernier lui aurait confirmé l’existence d’une procédure en cours. Informé de cette situation, Junaid Fakim aurait aussitôt mis fin à la rencontre et quitté la maison de son frère.

Peu après cet épisode, il aurait soumis sa démission de la FCC, affirmant qu’il ne souhaitait pas que son nom soit associé à une affaire susceptible de compromettre le bon déroulement des enquêtes en cours. Ce geste, qu’il qualifie de responsabilité professionnelle, est aujourd’hui interprété par les enquêteurs comme un élément à examiner dans le cadre de l’accusation provisoire portée contre lui.

L’affaire a pris une dimension plus large au sein de la FCC, certains observateurs évoquant des tentatives d’ingérence ou de déstabilisation interne. Des sources proches de l’institution parlent de « forces occultes » cherchant à discréditer la Commission et son directeur général par intérim, Sanjay Dawoodharry. Ces tensions internes, déjà perceptibles depuis plusieurs semaines, se sont accentuées avec l’arrestation de l’ancien commissaire, qui fut l’un des premiers à avoir dirigé la FCC à ses débuts.

L’enquête sur les liens éventuels entre Junaid Fakim et Mamy Ravatomanga se poursuit, avec une attention particulière portée aux communications et aux échanges intervenus avant et après la rencontre du 14 octobre. Les enquêteurs cherchent notamment à déterminer si l’ancien commissaire aurait usé de son influence pour intervenir dans les démarches administratives ou judiciaires concernant l’homme d’affaires malgache. Jusqu’ici, aucune preuve tangible n’a été rendue publique, mais la FCC maintient sa position, estimant que le risque d’entrave à l’enquête justifie le maintien en détention provisoire.

L’audience prévue lundi prochain devant la cour de Rose-Hill sera décisive pour la suite de cette affaire. La défense compte plaider que la présence de son client à cette rencontre n’avait aucune intention délictueuse et qu’il a immédiatement pris les mesures nécessaires dès qu’il a compris la nature du problème. De son côté, la FCC s’appuie sur les échanges et les circonstances entourant la rencontre pour étayer son objection à la remise en liberté.

L’arrestation de Junaid Fakim, figure connue du monde institutionnel, a provoqué un choc au sein de la FCC et dans l’opinion publique. Ce rebondissement intervient dans un contexte où la FCC tente de renforcer son image et de consolider son autorité après plusieurs enquêtes sensibles. Le dossier, désormais étroitement suivi, met en lumière les pressions et les tensions internes auxquelles font face les institutions chargées de la lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent à Maurice.

Le sort de l’ancien commissaire sera désormais suspendu à la décision du magistrat lundi prochain. En attendant, il demeure hospitalisé sous surveillance médicale, tandis que la FCC poursuit ses investigations sur les ramifications de cette affaire qui, au-delà du cas individuel de Junaid Fakim, révèle les fragilités et les luttes d’influence au cœur même de l’appareil institutionnel mauricien.