[Affaire Vanessa Lagesse] Bernard Maigrot acquitté en appel après 24 ans de procédures

Vingt-quatre ans après le décès tragique de la styliste Vanessa Lagesse, la Cour suprême de Maurice a annulé la condamnation de Bernard Maigrot, mettant fin à une longue saga judiciaire jalonnée de rebondissements et d’enquêtes multiples. Reconnu coupable par un jury à la majorité en juin 2024, l’homme d’affaires de 63 ans avait été condamné à 15 ans de prison. Mais le Full Bench de la Cour suprême, composé de la cheffe juge Rehana Mungly-Gulbul et des juges David Chan Kan Cheong et Sarita Kesnaytee Bissoonauth, a estimé que des irrégularités graves dans les directives au jury avaient compromis le droit fondamental de l’accusé à un procès équitable.

Au cœur de la décision d’acquittement : les directives jugées lacunaires du juge d’assises lors du procès en première instance. Selon la Cour, le jury n’a pas été suffisamment éclairé sur la manière d’interpréter les éléments scientifiques et circonstanciels présentés à charge. En particulier, la présence de l’ADN de Bernard Maigrot sur certaines pièces à conviction n’était pas, selon les experts des deux parties, datable avec certitude. Il était donc impossible de prouver que ces traces avaient été déposées la nuit du meurtre, entre le 9 et le 10 mars 2001. « Le juge n’a pas guidé le jury de manière adéquate sur l’évaluation de ces preuves », ont écrit les magistrats dans leur jugement long de 44 pages. Ils notent également que le jury n’a pas été informé de la présence d’ADN et d’empreintes inconnus sur les lieux, ce qui aurait pu instiller un doute raisonnable.

Autre point crucial : l’alibi présenté par Bernard Maigrot, qui soutenait avoir passé la soirée du 9 mars 2001 chez une amie en compagnie de sa famille. Cette version avait été confirmée par son épouse lors de l’enquête préliminaire. La Cour suprême a souligné que le juge n’avait pas rappelé aux jurés que c’était à la poursuite de prouver que cet alibi était faux, un principe fondamental du droit pénal.

La décision met également en lumière l’omission du juge d’assises d’émettre ce qu’on appelle une « Lucas direction », qui explique qu’un mensonge d’un accusé ne constitue pas nécessairement une preuve de culpabilité. Bernard Maigrot avait d’abord nié, puis admis, une liaison avec Vanessa Lagesse. Ce revirement avait été utilisé contre lui, sans que le jury soit mis en garde sur le fait qu’un tel mensonge pouvait avoir d’autres motivations, comme la honte ou la peur de nuire à sa famille.

Depuis la découverte du corps de Vanessa Lagesse dans sa baignoire à Grand-Baie en mars 2001, l’affaire n’a cessé d’évoluer. Bernard Maigrot avait été arrêté une première fois en avril 2001, relâché sous caution, puis blanchi par un non-lieu en 2008. Mais à la faveur de nouvelles analyses ADN conduites en France, l’enquête fut rouverte, menant à sa seconde arrestation en 2011 et, finalement, à un procès aux assises plus d’une décennie plus tard.

À sa sortie de la Cour suprême, Bernard Maigrot a livré une courte déclaration : « Je suis catholique, et ce matin, en lisant la Bible, j’ai vu ceci : ‘Je vous enverrai l’esprit de la vérité’. Je n’ai rien de plus à dire. » Son avocat, Me Rishi Hardowar, s’est lui aussi montré succinct : « La vérité a triomphé. »

Du côté du Directeur des Poursuites Publiques, Me Rashid Ahmine, la prudence reste de mise : « Nous allons examiner le jugement et prendre une décision. » L’Attorney General Gavin Glover, ancien avocat de Bernard Maigrot, s’est abstenu de tout commentaire, invoquant son rôle institutionnel actuel.

Ce nouveau rebondissement soulève une fois de plus des questions sur la gestion judiciaire des dossiers complexes et sur les limites de la preuve scientifique dans des affaires anciennes. Si la justice a reconnu des failles dans le procès, elle laisse aussi derrière elle une famille sans réponse et une opinion publique en quête de vérité.