Air Mauritius : « Aucune transformation, sauf la nomination d’un copain comme CEO d’AHL »

Raj Ramlugun

Raj Ramlugun, secrétaire de la ‘Listed Companies’ Minority Shareholders Association’ (LCMSA), sort de ses gonds et blâme le gouvernement carrément pour la gestion d’Air Mauritius. Il déplore le fait qu’aucun bilan financier n’ait été publié jusqu’ici et réclame, dans la foulée, la révocation du CEO, Ken Arian, et du chairman, Marday Venkatasamy.

Zahirah RADHA

Q : En tant qu’actionnaire minoritaire d’Air Mauritius, comment se porte, selon vous, cette compagnie actuellement ?

Je pense que c’est une question très pertinente, applicable à toutes les institutions actuellement. Il y a des ‘benchmarks’ qui sont généralement utilisés pour analyser l’état d’un organisme. Il faut d’abord prendre en considération le bilan financier. Dans le cas d’Air Mauritius, ce bilan nous aurait permis de connaître quel était l’état de la compagnie avant la Covid-19, durant sa mise sous administration volontaire et après que la compagnie ait passé sous ‘Airport Holdings Ltd’ (AHL). Or, il n’y a jusqu’ici eu aucun bilan financier, que ce soit pour Air Mauritius, ses subsidiaires ou AHL.

On parle pourtant ici d’une compagnie qui a été sous perfusion et qui a bénéficié d’une aide financière d’environ Rs 25 milliards. Rs 25 milliards, ce n’est pas 25 sous ! C’est une aide qui émane de l’argent des contribuables, et non pas des poches du gouvernement, du Premier ministre, des politiciens ou de messieurs Ken Arian, Dev Manraj et Marday Venkatasamy. Malheureusement, zéro bilan financier est synonyme de zéro visibilité.

Le deuxième critère qu’on prend en considération pour établir l’état d’une compagnie est son style de gestion. Or, il n’y a aucun ‘mark-up’ pour évaluer la gestion d’Air Mauritius, contrairement à certaines grandes entreprises où il y a, par exemple, un ‘climate survey’ qui est effectué pour déterminer le niveau de complaisance ou de démotivation au sein de ces compagnies. On ne peut pas continuer à gouverner un pays et ses compagnies phares de cette façon. Quand on voit le leadership à la tête d’Air Mauritius et la manière dont cette compagnie est gérée, cela n’inspire pas confiance.

Aucune leçon n’a été tirée après certaines affaires, dont des abus liés aux voyages et révélés par une enquête intitulée « La croisière s’amuse » signée par Alain Gordon-Gentil et Harish Chundunsing dans les années 90, la caisse noire qui est le plus grand scandale corporatiste du pays ou encore le ‘hedging’. Bien que des structures aient, à un certain moment, été mises sur pied pour apporter plus d’‘accountability’ au sein d’Air Mauritius, je suis extrêmement chagriné et révolté de constater qu’aujourd’hui « noune sap dans poelon noune tombe dan difé ». Air Mauritius est une plaque tournante, pour multiples raisons, de trafic d’influence et de népotisme.

Je ne suis pas politicien, ni ai-je un agenda politique, mais Navin Ramgoolam avait au moins le mérite d’écouter et d’agir quand il le fallait en ce qu’il s’agissait de la direction d’Air Mauritius. Mais je me demande si le Premier ministre actuel tire, lui, des leçons du passé.

Q : La transformation que la direction d’Air Mauritius voulait apporter ne se passe-t-elle donc pas comme prévue ?

Généralement parlant, rien de ce qui se fait à Air Mauritius ne peut se faire sans la volonté du Premier ministre et du gouvernement. La direction d’une compagnie est primordiale pour déterminer sa vision, sa gestion, son ‘business model’ ainsi que son partage des responsabilités. Hormis le fait qu’Air Mauritius est passé sous AHL et qu’elle a été délistée de la bourse, quelle transformation y a-t-il eu ?

Le seul changement que je connais, c’est qu’un petit copain a été nommé à la tête de ce holding qui englobe une vingtaine de compagnies. Un petit copain qui n’était de surcroit qu’un ‘cabin crew’ d’Air Mauritius et qui ne connait rien en ce qu’il s’agit de la gestion d’une compagnie de cette envergure. Je n’ai rien contre lui, mais a-t-il l’expérience requise pour assumer de telles responsabilités ?

Tous les professionnels de grande expérience qui ont travaillé à Air Mauritius pendant des années sont maintenant contraints de se plier en quatre devant ce CEO parce que leur destin se trouve entre ses mains. Et ce dernier ne fait que ce que son maître politique lui demande de faire. Voilà le modèle de transformation qu’il y a eu avec les Rs 25 milliards obtenus de la ‘Mauritius Investment Corporation’ (MIC) et provenant des fonds des contribuables.

Q : C’est quand même surprenant qu’AHL n’ait toujours pas publié son bilan financier alors qu’il a été incorporé depuis le 21 août 2021, n’est-ce pas ?

C’est pour cela que je réclame la tenue d’une assemblée générale avec tous les actionnaires dans un lieu facilement accessible pour que tout le monde puisse s’exprimer. Les dirigeants d’AHL ou d’Air Mauritius ne font pas de travail social. Ils sont au contraire grassement rémunérés. Ils doivent donc assumer leurs responsabilités comme il se doit.

Le concept de ‘holding’ n’est pas mauvais en soi, mais ce qui intéresse le gouvernement, le Premier ministre et ses proches, ce n’est que le ‘control and command’ de toutes les institutions du pays. Tout ce beau monde ne porte pas attention à ce que devient Air Mauritius qui a pourtant prospéré pendant longtemps. Il y a des employés qui se sont donnés corps et âme pour cette compagnie, mais qui ont été forcés de partir de façon impitoyable en 2020.

Aujourd’hui, la compagnie n’a plus les ressources qu’il lui faut, parce qu’il n’y a plus de gens qui ont de l’expérience. Au royaume des aveugles donc, les borgnes sont rois. Ils ne font que caser leurs proches. La transformation doit se faire au niveau du leadership, de la vision et du modèle de la compagnie.

Qui peut me dire si la firme indienne de consultants ‘Centre for Asia Pacific Aviation’ (CAPA) a soumis un rapport ou pas ? Est-ce que ce sont les projets de CAPA qui sont actuellement mis en pratique ? CAPA a-t-il travaillé pro bono ? Avant CAPA, n’y avait-il pas Mc Kinsey 1, Mc Kinsey 2, Eon Hewitt ou Seabury avec son ‘7 Steps Plan’ ? Où sont tous ces rapports qui ont coûté des millions et des millions de roupies aujourd’hui ? Je trouve aberrant qu’on perpétue toujours le même système de ‘management by consultancy’.

Q : Vous vous opposez au ‘management by consultancy’, mais a-t-on, chez nous, les compétences requises pour occuper ces responsabilités ?

Air Mauritius disposait, outre certains mercenaires et parasites, de personnes ayant des compétences diversifiées. Ces personnes ont été formées pendant des années. Mais malheureusement, aujourd’hui, ce sont d’autres compagnies comme Emirates et Etihaad qui bénéficient de leurs compétences. Il y a aussi un autre problème. Ces professionnels, même s’ils sont toujours là, n’osent jamais dire non à un quelconque nouveau CEO. Donc, pour des raisons légitimes ou parfois par opportunisme, ils s’accommodent à tous les pouvoirs pourris. Ce qui explique, entre autres, la chute d’Air Mauritius. Tout se résume finalement au leadership.

Q : Au leadership ou aux personnes qui n’osent pas dire non…

Le leadership est important parce que je suis convaincu, moi, que ce sont les personnes qui font l’institution. Un leadership fort et visionnaire doit pouvoir instaurer un ‘no nonsense culture’ que ce soit dans les institutions ou le pays. Mais encore faut-il que ce leadership soit basé sur des valeurs intrinsèques et les notions de compassion, de compréhension, de fermeté et de discipline. Aujourd’hui, tout ce que nous avons, c’est une culture de « managing by com and PR », surtout pour les élections. Il y a eu des problèmes à Air Mauritius sous tous les régimes, mais sous ce gouvernement, c’est pire. Il n’a tiré aucune leçon du passé.

Q : Est-ce pour cela que vous réclamez la révocation immédiate du CEO Ken Arian et du chairman Marday Venkatasamy ?

Absolument ! Dès le début, j’avais dit que Ken Arian n’était pas « the right man in the right place ». En Inde, quand Air India est passé de ‘Maharajah’ à ‘Maha Mess’, le gouvernement indien a cédé le contrôle de cette compagnie au Groupe Tata qui est une référence dans plusieurs domaines. Ken Arian a-t-il le même calibre que les dirigeants du groupe Tata ?

Q : Pardonnez-moi, mais êtes-vous en train d’insinuer qu’Air Mauritius aurait dû être privatisé ?

Je ne répondrai par ni oui ni non. Si par privatisation, on entend les mêmes personnes qui étaient partie prenante dans la caisse noire, alors c’est non. Un partenariat stratégique avec une compagnie étrangère qui « means business » aurait pu, par contre, arranger les choses. Mais je suis désolé, ces compagnies ne viendront jamais à Maurice pour se salir.

Permettez-moi de revenir à votre question sur la révocation de Ken Arian et de Marday Venkatasamy que je réclame. Le chairman, lui, n’a rien fait de mal ‘as such’. Mais j’ai archi attiré leur attention sur des problèmes qu’ils n’ont jamais résolus. Quid de Dev Manraj ? On n’entend pas parler de lui alors qu’il est le chairman d’AHL et qu’il est censé tout chapeauter. On prétend que ce soit Ken Arian qui contrôle tout au lieu de Dev Manraj. Est-ce sain ce que fait Ken Arian juste parce qu’il a le soutien du Premier ministre ?

Q : Vous venez vous-même de reconnaître que Ken Arian a le soutien du Premier ministre. Ne pensez-vous pas crier dans le désert quand vous réclamez sa révocation ?

Dans l’histoire de l’humanité, il y a toujours eu une minorité qui a élevé la voix tandis que la majorité a choisi de « sit on the fence ». À Air Mauritius, c’est pareil. Je reçois quotidiennement des messages pour me féliciter pour mon courage. Mais je ne le fais pas que sous ce gouvernement. Même sous le règne de Navin Ramgoolam, j’avais écrit une lettre sur Air Mauritius qui avait été publiée dans Le Mauricien en 2013.

Navin Ramgoolam, alors qu’il était en route pour l’inauguration du nouvel aéroport, m’avait appelé pour me féliciter et j’avais appris par la suite qu’il avait pris des actions par rapport à ce j’avais dit et proposé dans cette lettre ouverte. C’est cela la différence avec Navin Ramgoolam. Lui, il écoute et il agit. Il faut que le Premier ministre actuel comprenne que ce n’est pas en manipulant ou en tombant dans le piège du communalisme qu’il arrivera à diriger le pays à bon port. Il lui faut rassembler tout le monde autour d’une vision. Malheureusement, ce n’est pas le cas du gouvernement actuel. Le modèle qu’il privilégie, lui, n’a qu’une finalité : le ‘state capture’.