[Air Mauritius face à un héritage catastrophique] Un plan de sauvetage ambitieux mis en place

La compagnie aérienne nationale traverse l’une des périodes les plus sombres de son histoire, comme l’a révélé Kishore Beegoo, président et membre exécutif du Managing Committee, lors d’une conférence de presse tenue le 14 mars 2025 à Port-Louis. Deux mois après sa nomination à la tête de la compagnie, le dirigeant a présenté un bilan financier alarmant, et a dévoilé les grandes lignes d’un plan de redressement.

Un héritage financier catastrophique

« Nous étions assis sur un volcan », a déclaré sans détour Kishore Beegoo en ouverture de sa conférence de presse. Les chiffres qu’il a présentés sont effectivement vertigineux : des pertes accumulées de Rs 15,55 milliards depuis la création de la compagnie, un déficit net de Rs 9,57 milliards et un capital négatif d’environ Rs 10 milliards.

Cette situation financière désastreuse a considérablement terni l’image d’Air Mauritius auprès de ses partenaires financiers, des sociétés de leasing d’avions et de ses fournisseurs. Si l’exercice financier clôturé en mars 2024 affichait un profit apparent d’environ Rs 100 millions, une analyse plus approfondie révèle une perte réelle de Rs 954,41 millions pour les activités propres à la compagnie.

Des décisions stratégiques controversées

Le nouveau président n’a pas hésité à pointer du doigt plusieurs décisions stratégiques qu’il juge désastreuses, prises au cours de la dernière décennie :

  • Le déplacement des opérations de l’aéroport de Heathrow à Gatwick à Londres, transformant une route très rentable en ligne déficitaire
  • La politique d’achat d’appareils, notamment l’acquisition d’un septième Airbus A350 jugée superflue, chaque appareil coûtant environ Rs 9 milliards
  • La vente d’avions durant la période d’administration volontaire, suivie par la location d’appareils plus anciens et plus coûteux à l’exploitation
  • Une gestion des routes inefficace, avec huit lignes sur treize enregistrant des pertes cumulées de Rs 8 milliards

Une gouvernance défaillante

Kishore Beegoo a également mis en lumière de graves dysfonctionnements dans la gouvernance de la compagnie :

  • Une structure organisationnelle “disloquée”, sans cohérence ni esprit d’équipe
  • La politisation excessive des décisions, allant jusqu’à des situations aberrantes comme « un docteur donnant des instructions aux pilotes »
  • Une gestion financière lacunaire pour une entreprise dépensant Rs 30 milliards annuellement
  • Des départements travaillant en silos, notamment le commercial qui vendait des billets sans connaître le coût réel par passager sur chaque route
  • Un département technique en sous-effectif chronique, dont les dépenses ont augmenté de 15% à 19% du budget total (Rs 5 milliards par an)

Le dirigeant a également remis en question la gestion de la dette par Airport Holdings Ltd (AHL), principal actionnaire d’Air Mauritius. Depuis 2022, AHL a accordé un prêt de Rs 8 milliards à la compagnie, provenant des 25 milliards obtenus de la Mauritius Investment Corporation. Cependant, ce prêt est resté sous forme de dette au lieu d’être converti immédiatement en capital, aggravant ainsi l’image financière déjà fragile de la compagnie.

Un plan de redressement multidimensionnel

Face à cette situation critique, Kishore Beegoo a détaillé plusieurs mesures correctives déjà mises en œuvre :

> Restructuration organisationnelle

  • Réorganisation complète du département commercial avec le retour de Laurent Recoura comme Chief Commercial Officer
  • Recrutement de trois anciens cadres expérimentés au département financier
  • Création d’une équipe FinCom pour assurer une meilleure coordination entre finance et commercial

> Optimisation technique

  • Nomination d’un Technical Finance Manager pour mieux gérer les coûts
  • Récupération de 600 000 dollars (Rs 27 millions) dans des contrats mal gérés
  • Partenariat avec Polytechnics Mauritius pour former 48 nouveaux techniciens sur trois ans
  • Programme de formation spécifique avec Airbus pour améliorer la fiabilité et la sécurité des appareils

> Assainissement des pratiques

  • Suppression des billets gratuits et upgrades offerts sans contrepartie valable
  • Lancement d’une enquête approfondie (Forensic Audit Investigation) menée exclusivement par des experts étrangers pour garantir l’impartialité

> Objectifs financiers

  • Programme ‘zéro budget’ pour l’année à venir, sans objectif de profit immédiat
  • Atteinte du point d’équilibre d’ici un an
  • Retour à la profitabilité espéré dès la deuxième année

Conscient de l’ampleur du défi, Kishore Beegoo a tenu à tempérer les attentes : « Nous ne pouvons pas changer en deux mois tout le mal qui a été fait pendant dix ans. Mais nous posons aujourd’hui les bases d’une Air Mauritius plus solide et plus compétitive. »

La compagnie doit également gérer l’héritage de décisions passées qui continueront de peser sur ses finances pendant plusieurs années, notamment les contrats d’achat et de leasing d’avions. Un stock de pièces détachées obsolètes d’une valeur de Rs 442 millions devra par ailleurs être liquidé à perte.

Le redressement d’Air Mauritius représente non seulement un défi économique majeur, mais aussi un enjeu symbolique important pour l’île Maurice, dont la compagnie aérienne nationale constitue un ambassadeur essentiel à l’international.