Alan Ganoo: « Le plus grand défaut de Béranger est qu’il est communalo-castéiste »

Alan Ganoo, ancien dirigeant du MMM et fondateur du Mouvement Patriotique :

 L’ancien dirigeant du MMM et membre fondateur du Mouvement Patriotique, Alan Ganoo, fait une analyse de la défaite de la défunte alliance PTr-MMM et exprime ses points de vue sur son ex-parti et Paul Bérenger, entre autres. Dans l’interview qui suit, il affirme que c’est injuste et lâche de la part du leader du MMM, Paul Bérenger, de coller la défaite du PTr-MMM sur son dos. Il déclare aussi que le plus grand défaut de Paul Bérenger, c’est qu’il est communalo- castéiste. Il soutient aussi que son parti concrétisera une alliance avec un bloc traditionnel et qu’il ne se présentera pas comme Premier ministre.

Sanjay BIJLOLL

 

Q : L’alliance du MMM avec le Parti travailliste, était-ce une erreur?

R : Avec le recul, oui. Mais il ne faut pas être ‘wise after the event’. Nous avons sous-estimé notre adversaire politique ainsi que le mécontentement et la colère de l’électorat du MMM. Nous avons eu tort de concrétiser une alliance avec le PTr. Il y a aussi le fait que Paul Bérenger allait occulter et transcender la réticence et le désaccord de l’électorat MMM vis-à-vis de Navin Ramgoolam. Les militants étaient conscients  de la manière dont l’ancien Premier ministre gouvernait le pays depuis 2005. L’alliance PTr-MMM a ainsi repoussé l’électorat MMM vers d’autres partis. Nous nous sommes excusés auprès de l’électorat ‘mauve’ pour sa mauvaise décision, car c’était une erreur monumentale de concrétiser une alliance avec le PTr.

 

Q : Pourquoi teniez-vous à cette alliance?

R : A l’époque où le MMM avait décidé de concrétiser une alliance avec le PTr, il y avait trois raisons principales ayant poussé mon ex-parti à réaliser ce projet.

Premièrement, nous avons pensé que cette alliance nous permettra d’obtenir le ¾ requis pour amender notre Constitution  afin d’instaurer la réforme électorale pour laquelle le MMM avait fait compagne depuis les années 80. Les deux équipes étaient aussi d’accord sur les propositions du MMM. Il y avait un consensus sur les propositions du MMM concernant la réforme électorale et ce avec une dose de proportionnelle. Une fois que la réforme électorale serait devenue une réalité, le MMM n’aurait plus besoin de quémander une alliance avec une formation politique.

Deuxièmement, nous avons pensé  que l’alliance avec le PTr allait permettre à Paul Bérenger de devenir Premier ministre pour une période de cinq ans et que le MMM obtiendrait 50% des sièges au Parlement et 50% des ministres au Cabinet.

Il y avait une certaine injustice à l’égard de Paul Bérenger et tous les militants, y compris moi-même, souhaitaient que Paul Bérenger méritait de devenir Premier ministre après sa longue lutte.

On pensait que les militants auraient bénéficié d’un meilleur traitement et des opportunités dans la vie de tous les jours si le PTr-MMM gagnerait les élections.

On pensait aussi qu’avec la victoire du PTr -MMM, notre parti allait mettre de l’ordre au niveau social, moral et économique dans le pays. Mais nous avions eu tort.

 

Q : Quand aviez-vous compris en 2014 que les carottes étaient cuites?

R : Il était évident que pendant la campagne électorale ni l’électorat du  MMM ni celui du travailliste n’avaient démontré leur enthousiasme de débordement quand la campagne battait son plein. On constatait que  celle des deux partis était très médiocre. De plus, les responsables de la campagne électorale du PTr-MMM avaient commis des bévues impardonnables. Ils étaient ‘over confident’, y compris les deux leaders politiques, Paul Bérenger et Navin Ramgoolam.

En théorie, on pensait que le PTr-MMM, en tant que deux grands partis politiques, ne pouvait perdre les élections. C’était ça dans notre esprit. Or, au fil de la campagne, il était devenu clair que le PTr-MMM avait un adversaire coriace, combatif, agressif et ingénieux. Notre adversaire avait utilisé beaucoup mieux tous les moyens technologiques que le PTr-MMM. Que ce soit au niveau de l’organisation ou de communication, le PTr-MMM n’était pas à la hauteur. Par ailleurs, certaines promesses électorales, très souvent irréalisables de L’Alliance Lepep, avaient leur impact.

Dans ma circonscription (no 14),  j’étais confiant d’une victoire du PTr-MMM et ce ‘from start to finish’ et c’était un peu normal que je pensais que les choses allaient tourner en notre faveur dans les autres circonscriptions. Mais étant réaliste, je ne me laisse jamais guider par un excès de confiance. A la fin de la campagne, j’ai réalisé que les choses étaient devenues difficiles et qu’une victoire du PTr-MMM allait être très marginale.

 

Q : Pourquoi après la défaite du PTr-MMM, on a mis sur votre dos cet échec ? 

R : C’est vrai de dire que Paul Bérenger a mis sur mon dos la conclusion de l’alliance PTr-MMM. Il a voulu me faire porter le chapeau et assumer cette défaite historique. « Quand, après la défaite Paul Bérenger finne  réalise l’intensité de la colère et la révolte, soulevées au sein de l’électorat MMM, li finne lave so la main, blanchi li même et jette tout blâme lors moi et li finne dire, pas moi ça, li ça et li finne essaye détourne colère MMM contre moi pou li essaye faire ène virginité politique. Heureusement li pas finne réussi. C’est  injuste et lâche de la part de Paul Bérenger de colle défaite PTr-MMM lors mo le dos ».

Or, ce n’est pas la première fois que Paul Bérenger a agi de telle sorte. En 1991, lors de l’alliance de Terre Rouge, soit après la turbulence au sien de l’alliance MMM-MSM, Paul Bérenger avait déclaré que « ça l’alliance là is not my doing ». Tout le monde le sait que rien ne peut se faire sans l’aval et le consentement du leader Maximo. « Ene feuille pas bouger sans Bérenger et li contrôle le MMM 100 pour cent ».

Permettez-moi aussi de vous dire que Paul Bérenger avait pleuré après que l’alliance PTr-MMM avait finalement été concrétisée en 2014. Cette alliance avait donc été votée à main levée lors du Bureau politique, du Comité centrale et de l’assemblée des délégués du MMM.

C’est lui qui avait ‘drafté’ le premier accord entre le PTr et le MMM. Moi, je n’avais pas réclamé ni exigé aucun portefeuille ministériel ou la hiérarchisation au sein du gouvernement.

 

Q : Pourquoi, selon vous, la population a-t-elle voté L’Alliance Lepep?

R : Je dois dire que L’Alliance Lepep avait identifié certains besoins de la population et misé sur certaines  promesses irréalisables. Les promesses de notre adversaire concernant la hausse de pension à Rs 5 000 et le paiement des ‘fees’ des examens  du SC et du HSC avaient fait mouche et la population avait favorablement accueilli l’idée de L’Alliance Lepep de revoir le permis à points. Quant à nous, nous étions ‘over confident’ et nous avions affiché l’arrogance. D’où notre défaite.

 

Q : Etes-vous satisfait de la manière dont le pays est gouverné ?

R : Il est clair que le présent gouvernement n’a plus la sympathie de ceux qui ont voté  pour lui aux élections générales. Après 14 mois, la population se demande si l’actuel gouvernement pourrait traduire dans la  réalité les promesses électorales qu’il avait faites. Il existe un sentiment de frustration dans le pays, car le peuple attendait beaucoup de cette grande victoire. Les choses ne bougent pas vite.

On est tous inquiets sur le plan de l’économie, y compris l’investissement, l’endettement de la famille, la création d’emplois ainsi qu’au niveau social. La pauvreté est devenue un os dur. Le taux de la criminalité et la prolifération de la drogue sont en hausse. Il y a un manque de transparence au niveau de la démocratie.

Ce gouvernement a commis beaucoup d’erreurs et les nominations et les recrutements ont soulevé beaucoup de mécontentements. On a aussi noté des dérapages de la police. On a instrumentalisé la police comme c’était le cas sous l’ancien régime. L’index de ‘happiness’ démontre que la population est insatisfaite et déçue.

 

Q : Que pensez-vous de l’affaire BAI?

R : Le rapport nTan, qui est abrégé, a éclairci beaucoup de points obscurs. La crédibilité du rapport a été mise à rude épreuve par le ‘disclaimer’. Le gouvernement a pris certaines décisions courageuses. Or, les procédés du gouvernement sur certaines ‘issues’ sont condamnables. Aujourd’hui, on pose la question de savoir si on aurait dû révoquer la licence de la Bramer Bank.

 

Q : Et des nominations basées sur le relationnel?

R : L’île Maurice est un petit pays et très souvent les personnes qui sont nommées et recrutées ont des liens avec des hommes politiques au pouvoir. Or, je souhaiterais que les nominations et recrutements se fassent dans la transparence. Il faut miser sur une nouvelle formule de confiance afin que le concept de l’égalité des chances ne soit pas un slogan creux. On doit publier les noms et adresses des nouvelles recrues sur le website. Il est important de mettre sur pied une nouvelle ‘Service Commission’, qui sera responsable du recrutement au sein des corps paraétatiques et compagnies publiques.

 

Q : Pourquoi le Mouvement Patriotique cible-t-il le PMSD et Xavier-Luc Duval  particulièrement?

R : Ce n’est pas vrai de dire que le MP a une dent contre le PMSD et XLD. Notre parti a dénoncé les agissements de certains ministres y compris Anil Gayan, Roshi Bhadain et Ivan Collendavelloo ainsi que les licenciements abusifs et l’opération ‘lev paké allé’.

Le MP n’a pas un agenda caché contre le PMSD et XLD. L’Alliance Lepep a été plébiscitée par la population et ce n’est pas notre rôle de semer la zizanie et faire échec au vœu de la population.

Mais je peux vous dire que le conflit entre le MSM et le PMSD est palpable. Ça c’est une autre paire de manches. Tout le monde reconnaît que la cohabitation entre le MSM et le PMSD devient de plus en plus difficile. Le PMSD a son propre agenda et c’est son ‘doing’. Nous au MP, nous jouons notre rôle de l’opposition ‘without fear and favour’. Nous ferons feu de tout bois contre le gouvernement et les ministres qui n’arrivent pas à ‘deliver the goods’.

 

Q : Dans l’éventualité où le PMSD de Xavier-Luc Duval ne ferait plus partie du gouvernement, seriez-vous prêt à vous joindre à  l’équipe dirigeante ?

R : C’était un acte de foi et nous avions mûrement réfléchi lorsque nous (cinq parlementaires) avions décidé de nous dissocier du MMM. C’était en avril 2015.A aucun moment, nous avions démontré notre intérêt de joindre les rangs du gouvernement. Le MP qui fait partie de l’opposition est un parti honnête et constructif. Nous avons fait plusieurs propositions constructives que le gouvernement a retenues, plus particulièrement en ce qui concerne la baisse du prix de l’électricité pour 70 000 familles nécessiteuses, l’amendement à la loi Bhadain et l’octroi des portions de terre à 75 familles.
Le MP ne prône pas une politique de démagogie et d’hystérie. Nous n’avons pas effectué de ‘walkout’

En tant que vétéran, je pense que le PMSD ne quittera jamais le gouvernement et sir Anerood Jugnauth ne se débarrassera pas de son allié bleu. Chaque parti au sein de L’Alliance Lepep a son agenda propre à lui. Mais je dirais que l’intensité des désaccords et différends plombera et fragilisera davantage la performance de L’Alliance Lepep. La crédibilité du gouvernement sera en jeu.

 

Q : Monsieur Alan Ganoo, vous avez eu un long parcours au sein du MMM, mais pourquoi avez-vous tourné le dos à votre formation politique d`origine ?

R : C’est avec beaucoup de regrets que j’ai tourné le dos à mon ancien parti politique. Lorsque mes amis Noël Lee Chong Lem et Jean Claude Bibi fréquentaient le Collège Royal de Port-Louis, nous avions rencontré Paul Bérenger qui travaillait à la Port-Louis High School. Après la défaite du PTr-MMM, Paul Bérenger avait voulu changer sa stratégie pour reconquérir le pouvoir. Nous étions convaincus que ce dernier ralliera de nouveau les militants, mais en vain.

Je dois aussi dire que j’ai passé presque toute ma vie aux côtés de Paul Bérenger et du MMM. Ainsi, il était difficile de prendre une décision contre mon ancien parti. C’était injuste de la part de Paul Bérenger de jeter tout le blâme sur moi après la défaite du PTr-MMM. C’est pourquoi j’en avais marre de mon ancien parti : d’où ma décision de lancer un nouveau parti politique.

 

Q : Comme vous, ils ont été légion à avoir déserté le MMM, y a-t-il une explication à cela ?

R : Lorsqu’on comptabilise le nombre de dirigeants et militants qui ont eu maille à partir avec Paul Bérenger et qui ont déserté le MMM, on peut conclure qu’il y a un facteur commun qui les a poussés à prendre leur décision.

Tous les partis politiques ont un leader Maximo. Quand les leaders politiques s’affaiblissent, leurs partis politiques prennent un rude coup. Les sympathisants et partisans en souffrent aussi. Personne n’est indispensable au sein de son parti. En Angleterre, on change des leaders politiques tous les cinq ans.

 

Q : De tous les militants de la première heure, il n`y a eu qu`un seul qui soit resté fidèle à Paul Bérenger jusque sa mort, c`était Zeel Peerun. Peut-on expliquer comment le leader historique a pu faire le vide autour de lui ?

R : Paul Bérenger a fait le vide autour de lui au cours de sa longue carrière politique. Aujourd’hui, il encense quelqu’un et le lendemain, il détruit cette personne quand elle se dissocie et exprime son désaccord avec lui.

 

Q : Qu’est-ce qui vous a plus déçu avec Paul Bérenger ?

R : Paul Bérenger est un grand politicien et tout grand homme politique a ses faiblesses. Si Paul Bérenger avait écouté ses collaborateurs et ses proches, débarrassé de son ego, mis plus de sentiments dans ses décisions politiques, le MMM et Paul Bérenger n’auraient pas été dans une situation désespérante.

La plus grande erreur de Paul Bérenger c’est qu’il ne s’est jamais débarrassé de son obsession basée sur le concept communalo-castéiste. C’est triste de constater qu’il est encore motivé par de telles considérations. L’île Maurice et les jeunes demandent beaucoup plus que ça. Nous vivons dans un pays multiethnique et multiculturel et nous devons outrepasser de tels compromis.

 

Q : Votre parti ne pourra pas, logiquement, partir seul aux prochaines législatives. Songez-vous, déjà à d`éventuelles alliances ? Si oui, avec quel parti et pourquoi ?

R : Le Mouvement Patriotique est toujours convaincu qu’il y a un vide politique dans le pays. Le PTr- MMM ne capitalise point sur la faiblesse, la perte de crédibilité du gouvernement et la frustration qui règne au sein de la population. Le MMM, qui peine à retrouver sa force d’antan, n’arrive pas à reconquérir son électorat qui est fragmenté et dispersé. Une bonne  partie de l’électorat du MMM se trouve avec le PMSD, ML et MP. Certains n’ont pas adhéré à aucun parti politique. Quant au PTr, je dirais que son rassemblement de dimanche dernier était décevant. Après la débâcle des leaders politiques en 2014, le PTr et l’effondrement de son bastion, le PTr panse toujours ses blessures. Et les démêlés de l’ancien Premier ministre avec la police contribuent beaucoup à l’état dans lequel se trouve le PTr.

Or, le MP pense qu’il a le potentiel de jouer le rôle et combler le vide. Nous voulons unir les régions urbaines et rurales. Notre existence politique n’est pas guidée par quelque motivation pour devenir Premier ministre, Deputy Prime minister ou vice Premier-ministre. Pour nous, l’important c’est de consolider notre parti et d’intensifier notre présence à travers le pays. Nous voulons jouer un rôle déterminant pour faire progresser le pays.

Nous voulons faire la politique autrement, redonner confiance aux Mauriciens et participer d’une façon plus ‘meaningful’ aux affaires du pays.

 

Q : Le MP concrétisera-t-il une alliance avec un bloc ou présentera-t-il Alan Ganoo comme Premier ministre eu égard aux prochaines élections générales ?

R : Par rapport à l’histoire de notre pays et à la diversité culturelle et ethnique, il est difficile à un parti politique d’échapper à la logique des alliances. La priorité du MP, qui existe depuis neuf mois, est de consolider ses assises et structures. Nous sommes fiers de notre bilan et nous voulons occuper les 20 circonscriptions du pays.

La question de l’alliance va se poser inéluctablement à l’approche des élections générales. Le moment venu, le Mouvement Patriotique  se penchera sur les programmes politiques de blocs traditionnels et choisira son allié politique dans l’intérêt supérieur du pays, de noter parti et des Mauriciens. L’avenir prendra soin de l’avenir.

Quant à moi, je dirais que je ne me présenterai pas comme Premier ministre.