Alors qu’elles sont devenues la voix du peuple…L’offensive du GM pour museler les radios privées

Les nouveaux amendements à l’Independent Broadcasting Authority Act, ont été présentés en deuxième lecture au Parlement ce vendredi 26 novembre 2021, soulèvent actuellement une levée de boucliers car selon beaucoup, le gouvernement veut museler les radios privées. Un projet de loi qui constitue une nouvelle dérive vers l’autocratie et la dictature, dans le sillage d’autres lois liberticides, comme seul ce présent gouvernement en a le secret.

Les dispositions majeures de l’Independent Broadcasting Authority (Amendment) Act

  • Les permis des radios privées devront être renouvelés chaque année, alors qu’auparavant, cette période était de 3 ans.
  • L’Independent Broadcasting Authority pourra désormais imposer à une radio privée une amende ne dépassant pas Rs 500 000 si celle-ci commet une infraction sous l’IBA Act elle-même ou sous les ‘Regulations’ stipulées sous cette loi, ou sous tout ‘Code’ émis par l’IBA. Les radios qui feraient fi des directives émis par l’IBA ou qui ne respecteraient pas une condition de leur licence sont aussi concernées. Mais surtout, elle pourra imposer cette sanction après réception d’une complainte d’un membre du public.
  • Un journaliste d’une radio pourra être amené à divulguer la source de ses informations.
  • Un l’Independent Broadcasting Review Panel’ sera mis sur pied, qui passera en revue toute sanction imposée par l’IBA.  Mais ce Panel sera tout sauf indépendant. En effet, son Chairman et les assesseurs seront nommés par le ministre de tutelle « on such terms and conditions as the Minister may determine ». Aucune garantie n’est offerte quant à leur inamovibilité ou indépendance.

Rajen Narsinghen, senior lecturer (UoM)

« Dix fois plus dangereux pour la démocratie que d’autres projets de loi »

Rajen Narsinghen, ‘senior lecturer’ à l’Université de Maurice nous explique les implications de ces amendements.

Selon le premier constat de Rajen Narsinghen, ce projet de loi survient dans le sillage d’autres projets de loi qui ont été présentés récemment, dont le ‘Cybersecurity and Cybercrime Bill’. Et dans toutes ces propositions de loi, on peut voir la même tendance : entraver la liberté d’expression.

Il pointe du doigt le fait que l’IBA aura dorénavant une mainmise sur les licences des radios privées et pourra leur faire payer une forte amende allant jusqu’à Rs 500 000.

À travers de ces amendements, il y aura ainsi une tendance de prendre des sanctions contre les radios privées qui critiquent les agissements du gouvernement. « Cela aura un effet néfaste sur les radios privées car elles ne pourront pas diffuser des choses qui vont à l’encontre au gouvernement », prévient-il.

Qu’en est-il du montant de l’amende, soit Rs 500 000 ? « Le principe de la proportionnalité est bafoué dans cette optique. Dans n’importe quelle société démocratique, le gouvernement ne peut pas imposer des amendes qui sont exorbitants et exagérés. Selon notre Constitution, Maurice est une démocratie. Lorsque les sanctions sont disproportionnées, cela part à l’encontre de la démocratie », explique-t-il.

Pour lui, il est ainsi clair que ces nouveaux amendements constituent une loi anticonstitutionnelle qui portera atteinte à la liberté d’expression et des médias, et qui se révèlera dangereuse pour la démocratie dans l’avenir.

Mais Rajen Narsinghen va encore plus loin : il avance que ce nouveau projet de loi est « dix fois plus dangereux pour la démocratie que d’autres projets de loi ».

Ashok Radhakissoon, ancien directeur de l’IBA

« En cas de sanction, ce sera peine perdue pour les radios de demander une ‘judicial review’ »

Selon l’ancien directeur de l’IBA, Ashok Radhakissoon, la mission des radios privées est de transmettre les informations. Mais comme pour les autres medias, il y aussi cette fonction humanitaire : elles viennent parfois en aide aux personnes en détresse. Pour lui, les radios privées ont pris une place éminente dans le cœur de toute la population.

En ce qui concerne les implications de ces amendements sur les radios privées, il dit noter que la durée des licences a été raccourcie et les frais ont été augmentés. Lorsque la période de renouvellement d’une licence sort de 3 ans pour venir à une année, cela empêchera quelque part les radios d’investir et de se développer.

Il revient sur le fait que si une radio a commis une infraction sous ces amendements, l’IBA aura le droit d’imposer une amende qui pourra aller jusqu’à Rs 500,000, ce qu’il qualifie « d’inacceptable ».

D’autre part, si une radio est sanctionnée par l’IBA et demande une ‘judicial review’, avant que la Cour suprême ne se soit prononcée, l’IBA aura tout le droit d’affirmer et de maintenir sa décision, car ces nouveaux amendements ne permettent pas à un media de demander un sursis à toute sanction.

L’IBA aura le champ libre pour prendre des actions punitives contre les radios privées, ce qui pourrait déboucher sur la fermeture des radios privées.

Des comités existants ont été retirés, comme par exemple le ‘Compliance Committee’, ou encore le ‘Standards Committee’. L’introduction de l’Independent Broadcast Review Panel’ pourra apporter des changements drastiques dans le paysage audiovisuel.

Selon lui, ces amendements vont chambarder le système qui a existé depuis longtemps. « Mais ce qui est clair, c’est qu’il n’y aura plus de liberté d’expression », conclut-il.

Arvin Boolell, Parti travailliste

« Le gouvernement a pour but d’éliminer tous ceux qui s’opposent à lui »

Le député du Parti travailliste Arvin Boolell a lui aussi commenté négativement sur ce projet de loi.

La nouvelle IBA Act va à l’encontre de la démocratie, selon Arvin Boolell. Il affirme que la liberté d’expression sera grandement bafouée par ces amendements.

Selon lui, le gouvernement a pour but d’éliminer tous ceux qui s’opposent à lui, et ces derniers ne seront pas épargnés par ce projet de loi.

Il dénonce le fait que le gouvernement est en train d’utiliser la pandémie comme un paravent dans le but d’apporter ces amendements car il sait pertinemment bien qu’il n’y aura pas de manifestions ou de descentes dans les rues de la capitale ou ailleurs pour contester ce nouveau projet de loi.

Nando Bodha, leader du Rassemblement mauricien

« Les gens auront désormais peur de se tourner vers les radios privées »

Nando Bodha, le leader du Rassemblement mauricien, met en garde que les implications de ce projet de loi sont multiples et dangereuses, car il y aura plusieurs éléments qui rendront le fonctionnement des radios extrêmement difficile.

Premièrement, comment investir et gérer une radio qui aura une licence valable pour un an seulement ? Par ailleurs, le renouvellement deviendra chaque année un parcours de combattant, avec les autorités qui vont tout faire pour rendre l’exercice contraignant, prenant en compte le palmarès de la radio par rapport aux nouvelles infractions qui sont prévues dans le nouveau projet de loi. Bref, plus on est critique à l’égard du pouvoir en place, plus on court le risque de ne pas avoir de renouvellement du permis.

Il revient sur le fait que la radio est devenue la voix du peuple et s’exprime encore avec une certaine liberté. « L’objectif est simple, il faut museler la critique à tous les niveaux », dit-il. « Le pouvoir en place ne peut supporter la critique et veut à tout prix contraindre les médias à ne pas donner à la voix du peuple toute sa résonnance », dit-il. « Il y a là un exercice sournois et cynique de la part du pouvoir pour réduire toutes les libertés et installer subtilement un état autocratique. Cela se voit à tous les niveaux, et le dernier projet de loi relatif à la cybersécurité en fait partie. C’est un plan machiavélique de la part du gouvernement actuel. »

En outre, il ne faut pas oublier que le régime en place a créé des radios parallèles pour compléter le travail de propagande de la Radiotélévision nationale.

Le régime en place a cadenassé toutes les institutions et contrôle tout pour mieux asseoir son pouvoir. « Il veut faire de l’IBA l’instrument politique qui pourra contrôler les émissions et leurs contenus. Il faut absolument libérer l’espace audiovisuel et aller en Cour suprême pour contester cette nouvelle loi. »

 Il est aussi revenu sur le fait concernant l’obligation de toute radio de dévoiler la source de ses informations. Un des principes sacrosaints du journalisme repose sur le fait que le journaliste n’a aucune obligation de révéler la source de ses informations lorsqu’un article est remis en question.

Nando Bodha avance que ce principe de secret fait que beaucoup de personnes s’adressent à la presse pour permettre que la vérité sur beaucoup de dossiers soit connue. Et avec cette nouvelle législation, beaucoup de personnes ne vont pas oser se tourner vers les rédactions des radios par peur de se retrouver dans des situations où un délit a été commis. Selon lui, ce sera un frein à ‘l’investigative reporting’ qui révèle souvent les abus et les scandales du pouvoir.