Arvin Boolell : L’explication du Premier ministre ne tient donc pas la route et s’apparente à une ‘fake news’

  • « Où allons-nous quand un syndicaliste est contraint de faire le contenu de sa déposition « vetted » par la MPA avant qu’il ne dépose devant une cour d’investigation ? N’est-ce pas incroyable qu’une personne arrêtée est contrainte de dire ce que la police veut qu’il dise concernant la mort d’un activiste très en vue du MSM ? Peut-on rester les bras croisés dans une République où le conseiller d’un Premier ministre menace de « finir » le leader d’un parti politique sur Facebook ? »

Le Dr Arvin Boolell revient sur sa suspension, la plainte qu’il a logée en cour contre le Speaker, et aborde, dans la même foulée, l’affaire Britam et Angus Road en long et en large et dont nous en reproduisons des extraits…

Zahirah RADHA

Q : C’est la deuxième fois que vous saisissez la cour pour protester contre votre expulsion. Irez-vous, cette fois-ci, jusqu’au bout de votre action juridique ?

Je vais toujours jusqu’au bout de mes actions, sauf que la dernière fois, je m’étais plié aux conseils émis par mon équipe légale que je remercie d’ailleurs. Je devais aussi respecter la décision des camarades Bhagwan et Bérenger avec qui j’agissais en concertation puisqu’ils avaient également logé des cas en cour pour les mêmes raisons. Je ne pouvais pas me dissocier de cette décision collective.

Le Premier ministre ne nous a pas fait de faveur en présentant une motion pour nous permettre de retourner au Parlement. Il a dû agir sur des conseils légaux suivant le faux pas monumental qu’il a fait en expulsant, avec la complicité du Speaker et de façon arbitraire, injuste et contraire aux provisions de la Constitution, des parlementaires élus démocratiquement par l’électorat pour une période indéterminée, allant jusqu’à la fin de la session parlementaire ou d’une prorogation du Parlement.

Je croyais qu’en tant que « leader of the House », il aurait tiré des leçons de cet épisode et qu’il mettrait fin à l’axe privilégié avec le Speaker, qui est l’arme politique de l’exécutif contre l’opposition parlementaire. Mais notre déception, tout comme celle de la population, a été grande. D’où notre nouvelle plainte. Cette fois-ci, ce sera « no retreat, no surrender ».  

Q : Même si le Premier ministre vient avec une nouvelle motion pour enlever cette suspension ?

Si le Premier ministre présente une nouvelle motion pour que je puisse retourner au Parlement, ce sera un aveu de son erreur monumentale. Mais j’irai quand même de l’avant avec la contestation légale, non seulement parce que mes droits constitutionnels ont été bafoués, mais aussi parce qu’il faut que la séparation des pouvoirs soit respectée. J’irai « all the way » parce que « enough is enough ». La démocratie parlementaire doit primer. Et pour cela, le Speaker doit partir. Je dois faire ressortir que l’ancien Premier ministre Paul Bérenger a dit clairement qu’il témoignera en cour s’il est appelé comme témoin. Des anciens cadres du ministère des Affaires étrangères en feront de même.

Q : Shakeel Mohamed s’en est également remis à la cour pour sa suspension. Avez-vous étudié la possibilité de loger une affaire conjointe ensemble avec ceux qui ont été lésés de leurs droits constitutionnels par le Speaker ?

Il y a une convergence entre nous. Dans le fond, la substance demeure la même : la séparation des pouvoirs et l’anti-constitutionnalité de ces suspensions à l’encontre des représentants du peuple. La plainte que j’ai logée représente le souci et l’inquiétude de la population qui veut revoir l’Assemblée nationale dans sa gloire d’antan et où prime la démocratie parlementaire.

La démocratie est malheureusement en recul. Le rapport V-Dem classe le pays comme une autocratie alors que Maurice était auparavant cité en exemple comme un pays démocratique. C’est extrêmement grave. Aujourd’hui, même le président seychellois qui a fait ses études à Maurice et qui a toujours parlé du pays avec distinction, est venu dire que le parlement seychellois est beaucoup plus civilisé que le nôtre. Au Malawi, des ministres ont été sanctionnés pour corruption présumée. Nous devons en tirer des leçons. Kot nou ti été, kot noune vini zordi !

C’est inquiétant, d’autant que la communauté internationale nous suit de près à travers leurs représentants à Maurice. N’oubliez pas que, dans un mois, des représentants de la FATF seront à Maurice pour nous réévaluer. Je suis inquiet parce que le gouvernement asphyxie le Parlement et la démocratie.  

Q : Il y a beaucoup de scepticisme par rapport à la rencontre que les députés travaillistes ont eu avec le Président concernant le comportement du Speaker. En quoi cette rencontre peut-elle aider à dégager la situation ?

Il ne faut pas oublier que le Président de la République est le garant de notre Constitution et il se doit, de par ses fonctions, de rester au-delà de la mêlée. Il a auparavant été parlementaire, vice-président du Parlement, membre du Parlement panafricain ainsi que ministre. Il suit aussi les débats parlementaires comme le fait tout bon citoyen. Il a clairement dit qu’il transmettra notre message à qui de droit. Il est évident qu’il se sent aussi concerné par cette situation, bien qu’il n’ait pas des droits exécutifs.

Q :  Vous contentez-vous donc de si peu, soit qu’il transmet votre message… ?

Ce n’est pas une question de nous contenter ou pas. Le Président a assumé ses responsabilités en tant que garant de la Constitution. Il n’est pas resté insensible et indifférent sur cette situation. Ce qui en dit déjà long.

Le Speaker ne commande pas le respect dans la Chambre. Le seul moyen de le sanctionner, c’est à travers une motion de censure que j’avais d’ailleurs amenée au Parlement, mais qui n’a pu être votée parce que le gouvernement dispose d’une majorité parlementaire. La tyrannie du nombre l’a emporté sur la démocratie parlementaire.

Comment peut-on rester indifférent quand le Speaker utilise des propos orduriers en lançant à 11 reprises « look at your face » à l’encontre d’un parlementaire ayant un problème d’épiderme ?

Q :  Le Premier ministre dit prendre les explications du Speaker « at face value » …

C’est triste qu’il défende l’indéfendable ! C’est indigne d’un Premier ministre. C’est une situation cornélienne où le Premier ministre est ancré dans la tragédie de son parti et de son gouvernement. Le Speaker est d’ailleurs programmé par le Premier ministre…

Q : Mais puisque le choix final réside avec ce même Premier ministre que vous accusez de programmer le Speaker, ne pensez-vous pas que vous allez tout droit dans le mur ?

Non. Il ne faut pas qu’on reste insensible. On ne peut pas accepter de vivre dans un climat d’opacité et de frayeur à cause des menaces. Où allons-nous quand un syndicaliste est contraint de faire le contenu de sa déposition « vetted » par la MPA avant qu’il ne dépose devant une cour d’investigation ? N’est-ce pas incroyable qu’une personne arrêtée est contrainte de dire ce que la police veut qu’il dise concernant la mort d’un activiste très en vue du MSM ? Peut-on rester les bras croisés dans une République où le conseiller d’un Premier ministre menace de « finir » le leader d’un parti politique sur Facebook ? Mo pena disang courpa dans mo lekor ! Idem pour mes amis du parti et pour la population.

Q : N’est-il pas temps pour que l’opposition revoie sa stratégie ?

Il y a toujours une contrainte sanitaire dans le pays. Je tiens régulièrement des petites réunions dans les quatre coins du pays. Les autres camarades du parti le font aussi. La révolution russe avait été faite par trois personnes. Je ne dis pas qu’il nous en faut une, mais la situation est telle que nous sommes au bord d’un éclatement social. La politique de bas étage prônée par le gouvernement ne résout pas les problèmes.

Q : Le pays est secoué par deux scandales, l’affaire Britam visant le leader d’un parti politique extra-parlementaire et Angus Road qui vise le Premier ministre. N’est-ce pas inquiétant à un moment où les représentants de la FATF attendus à Maurice ?

Voyons d’abord l’affaire Britam. La commission d’enquête n’a pas donné des résultats, sauf de pointer du doigt un ancien ministre des Services financiers. Ce rapport ne comporte aucune conclusion et aucune recommandation. C’est un gaspillage de fonds publics. Le commissaire doit dire si, en tant que chairman du « Financial Reporting Council » et membre de l’« Integrity  Reporting Services Agency », il a audité les auditeurs et les comptables cités dans le rapport. Sa mission, il me semble, a été uniquement de justifier la présence de Satar Hajee Abdoula comme assesseur.

Ce dernier, rappelons-le, a bénéficié, avec la bénédiction du Premier ministre, des honoraires de Rs 26 millions pour quelques jours de travail comme administrateur de BAI. Ses honoraires pour Air Mauritius avoisinent les Rs 80 millions. Sait-on pourquoi l’« Escrow Agent » Kavi Ramano avait déposé « in camera » devant cette commission d’enquête ? Rs 20 milliards de fonds publics ont été dépensées dans l’affaire BAI alors que les souscripteurs sont restés sur leur faim quant à leur remboursement. Le gouvernement a la responsabilité de venir dire combien a été déboursé pour payer le commissaire et ses assesseurs qui ont pondu un rapport qui est « neither here nor there » alors que plusieurs zones d’ombre subsistent.

Cette commission d’enquête sur la vente des actions de Britam (Kenya) est la plus grande arnaque du siècle. Pourquoi le commissaire n’a-t-il pas convoqué ou sommé M. Kapre de BDO de témoigner ? L’objectif est de savoir si les documents remis à M.V Lutchmeeparsad, SCE au ministère des Finances, étaient concluants lors de la réunion décisive pour finaliser la vente. Pourquoi M. Munga, président de Britam Kenya et négociateur en chef, n’a-t-il pas été convoqué ? Les arguments du commissaire Domah pour ne pas permettre à M. Dawood Rawat de la défunte BAI à déposer via Zoom ne tiennent pas la route. Les termes de référence n’excluaient pas l’audition via visioconférence. Souvenez-vous du cas de Boskalis où des témoins hollandais avaient été contre-interrogés au tribunal par un représentant du DPP via visioconférence malgré les tentatives désespérées de sabotage de MTS ?

Pourquoi l’« Escrow Agent » Hon. Ramano a-t-il été autorisé à témoigner devant la commission d’enquête à huis clos ? Pourquoi aucune explication n’a été fournie jusqu’à présent par rapport aux Rs 100 millions manquantes suivant le paiement des actions vendues ? Y a-t-il eu une évaluation des actions faite par l’acheteur et le vendeur et si oui, pourquoi aucune mention n’a été faite à ce sujet ? La valeur des actions était-elle basée sur le prix existant coté en bourse ? Pourquoi un système de « warehousing » ou de « sovereign fund » n’a-t-il pas été mis en place pour acquérir les 23,4% des actions, considérées comme le joyau de BAI Holdings ? Pourquoi la décision concernant la vente de Britam n’avait-elle pas été discutée au conseil des ministres ? La question avait-elle été soulevée au Cabinet et l’ancien ministre des Services financiers avait-il été pointé du doigt ?

J’espère que ceux qui faisaient partie du gouvernement de sir Anerood Jugnauth viennent de l’avant pour dire ce qu’ils savent. Vishnu Lutchmeenaraidoo ne peut pas rester muet. Il doit révéler ce qu’il sait.

Q : Il y a aussi Nando Bodha…

Oui, effectivement. Ils ne peuvent pas rester tranquille. Nous vivons dans un pays où règne non seulement une opacité, mais où s’installe aussi une violence agressive, verbale, mais aussi physique quand un agent politique du MSM a été victime d’un homicide. On ne peut pas traiter de tels dossiers avec légèreté.

Q : Venons-en à Angus Road. Vous avez vous-même fait des révélations dans le sillage de cette affaire. L’ICAC ou la police vous ont-elles convoqué pour verser les éléments d’informations dont vous disposez ?

Non ! En tant que parlementaire responsable, j’ai fait mon travail assidument. J’ai posé pas moins de quatre PNQs à ce sujet. Je maintiens tout ce que j’avais dit à l’intérieur et en dehors du Parlement, comme le Premier ministre m’avait défié de le faire. C’était un travail basé sur des recherches et des informations glanées auprès de plusieurs sources, mais le Premier ministre n’a jamais daigné répondre. Durant la première PNQ, Bhagwan avait été expulsé et le Premier ministre s’était réfugié derrière les provisions de la POCA et de FIAMLA pour fuir en avant. Ma deuxième PNQ avait été saucissonnée et j’avais été expulsé. La troisième et la quatrième question avaient été traitées avec du baratinage.

La conférence de presse que le Premier ministre avait ensuite donnée n’avait pas éclairci les doutes qui persistent toujours. Qu’a-t-il à cacher ? Pourquoi le gouvernement a-t-il mis fin à la « Mutual Legal Assistance » sur ce dossier post-2014 ? Quel est le rôle de Loganaden Govinden qui était un fournisseur du Duty Free shop ? Le Premier ministre doit « come clean » concernant toute cette affaire. L’acquisition du terrain de 7 026 mètres carrés, selon le document publié dans l’Express, est la preuve qu’il y a eu un acquéreur et un vendeur. L’explication du Premier ministre ne tient donc pas la route et s’apparente à une ‘fake news’.

Pourquoi la « Mutual Legal Assistance » n’a-t-elle pas été sollicitée en ce qui concerne le paiement effectué à M. Paddy Rountree à la Coults Bank à Londres ? L’ancien Attorney General Ravi Yerrigadoo n’a pas jugé nécessaire de poursuivre avec cette démarche. L’ICAC a-t-elle délibérément adopté des tactiques dilatoires pour finalement mettre l’affaire de côté ? Quels sont les critères d’attribution d’un prêt de Rs 90 millions à Loganaden Govinden et pourquoi a-t-il tenté de faire des paiements de plus Rs 500 000 en liquide alors que cela va à l’encontre des dispositions de la POCA et de la FIAMLA ?

Q : Il paraît que Loganaden Govinden était à Maurice au moment des diverses révélations faites l’année dernière…

L’ICAC aurait dû le convoquer. Mais à la place de cette convocation, on a vu le contrat du directeur général de la commission anti-corruption être renouvelé. La population avait d’ailleurs été choqué quand l’ICAC avait changé son fusil d’épaule durant le procès Medpoint au Privy Council.

Les conditions sur lesquelles Loganaden Govinden a obtenu un emprunt de la SBM, qui est le bijou de l’État, sont aberrantes. Il y a tellement de questions qui restent sans réponses. La loi fait d’ailleurs provision pour que le directeur de la commission anti-corruption puisse « disclose » certaines informations dans l’intérêt public. L’enquête que traîne l’ICAC depuis ces dernières dix ans doit aboutir.

Le Premier ministre doit s’expliquer sur l’acquisition de ses biens, les paiements effectués et le rôle de Loganaden Govinden, entre autres. Qu’il assume ses responsabilités.

Q : Le PTr soutient-il la démarche visant à porter cette affaire au niveau international ?

Nous sommes solidaires de toute action ayant trait à la lutte contre la fraude et la corruption. Nous voulons que la vérité triomphe.

Plainte d’Arvin Boolell contre le Speaker

Pas de marche arrière cette fois-ci

Arvin Boolell a déposé une plainte en Cour suprême contre le Speaker, Sooroojdev Phokeer, durant la semaine écoulée. C’est Me A. Jankee qui a rédigé la plainte tandis que les services de Sanjay Bhuckory SC, avocat, ont été retenus. Le député rouge ne compte pas retirer sa plainte comme il l’avait fait la dernière fois. Cette fois-ci, les députés de l’Opposition attendent une jurisprudence de la Cour suprême sur les agissements de Sooroojdev Phokeer. Outre le Speaker, le Premier ministre et la ‘clerk’ de l’Assemblée nationale ont aussi été cités comme défendeurs, tandis que l’Attorney-General a été enjoint comme codéfendeur.

Pour rappel, Arvin Boolell avait été expulsé du Parlement le 20 juillet dernier après une altercation avec le Speaker. Sur une motion du Premier ministre, il avait été suspendu de l’Assemblée nationale pour huit séances. Pour Arvin Boolell, son expulsion et sa suspension ne sont pas justifiée. Pour lui, il s’agit d’un « arbitrary punishment » pour avoir soutenu Xavier-Luc Duval lors qu’il posait sa PNQ. Selon Arvin Boolell, cette décision de le suspendre pendant tout ce temps est disproportionnée et violerait ses droits constitutionnels. Bien qu’Arvin Boolell reconnaisse que le Parlement est souverain, c’est la Constitution, comme loi suprême du pays, qui prend précédence sur la souveraineté du Parlement.

Arvin Boolell estime que, comme un député dûment élu, il a le droit constitutionnel de s’assoir dans l’hémicycle. Pour lui, vu que le Speaker a enfreint certaines dispositions de la Constitution, la Cour suprême a la juridiction nécessaire pour entendre sa plainte. Arvin Boolell devait aussi expliquer dans sa plainte qu’il n’avait pas d’autre alternative sous la loi que cette ‘plaint with summons’ pour demander un ‘constitutional relief’ sous les sections 17 et 83 de la Constitution. Arvin Boolell demande à la Cour suprême de rendre un jugement déclaratoire à l’effet que ses droits constitutionnels ont été enfreints par le Speaker et que la décision de le suspendre est anticonstitutionnelle, illégale, de mauvaise foi et nulle et non avenue. Il réclame aussi que la Cour émette un ordre enjoignant les défendeurs de s’abstenir de toute conduite qui porterait préjudice à ses droits constitutionnels.

Ces derniers ont jusqu’au 7 septembre prochain pour déposer leurs défenses.

Autres points essentiels

Notons aussi qu’une liste de toutes les expulsions des membres de l’Assemblée nationale par le Speaker a été mentionnée dans la plainte, sanctions qui démontreraient que le Speaker abuse de ses pouvoirs sous les ‘Standing Orders’ de l’Assemblée nationale, qu’il n’est pas impartial et qu’il favorise la majorité parlementaire.

En outre, il a été fait mention que le Speaker avait été posté comme ambassadeur en Egypte, mais avait dû être rappelé en 2003 dans des raisons qui n’ont jamais été éclaircies à ce jour.

L’incident du 3 août où le Speaker avait lancé à Rajesh Bhagwan, « Look at your face ! », alors que ce dernier souffre de vitiligo, a aussi été mentionné. Selon le plaignant, les agissements du Speaker ternissent l’image de Maurice à l’étranger.