Ashok Subron : « L’élite économique a accaparé ce gouvernement »

Ashok Subron ne fait pas dans la dentelle. Il note des inconsistances dans la position adoptée par l’État concernant la plainte constitutionnelle logée par Rezistans ek Alternativ en cour, blâme Pravind Jugnauth pour son incompétence et tient l’Economic Development Board (EDB) et l’oligarchie économique responsables de tous, ou presque, les maux du pays…

Zahirah RADHA

Q : La plainte constitutionnelle que Rezistans ek Alternativ a logée en cour a connu plusieurs rebondissements ces derniers jours. Comment réagissez-vous à ces développements pour le moins inattendus ?

L’attitude que l’État a choisi d’adopter est assez surprenante et inconsistante. Je dois souligner que quelques semaines avant que l’affaire ne soit prise en cour suprême, on avait adressé une correspondance au Solicitor General, à l’Attorney General et au Premier ministre pour leur demander ce qu’ils comptaient faire. Il ne faut pas oublier qu’en 2014, il y a eu un amendement constitutionnel où l’État avait implicitement admis qu’il y avait un problème avec l’obligation de la classification communale. Deuxièmement, l’État est toujours obligé de se conformer avec le « ruling » du « UN Human Rights Committee ». Troisièmement, le « Constitutional Amendment Bill » que Pravind Jugnauth avait présenté à l’Assemblée nationale avec comme objectif principal de se défaire de l’obligation de la déclaration ethnique lors des élections. En d’autres mots, l’État est conscient qu’il faut le résoudre. Pourquoi donc l’État résiste à la plainte constitutionnelle en cour ?

L’autre inconsistance, c’est quand l’État n’a pas eu de renvoi comme il le souhaitait, il a, « out of the blue », contesté le « bench » présidé par le Chef juge Eddy Balancy. Je préfère ne pas le commenter mais il reste, pour moi, une inconsistance.

Q : Justement, pensez-vous que le chef juge puisse vraiment faire preuve de parti pris dans cette affaire ?

Voyons-le plutôt sous un autre angle. J’ai été pleinement impliqué dans cette affaire de 2005 jusqu’à présent. Durant ces 14 dernières années, il y a eu des juges qui ont donné un jugement en faveur de Rezistans ek Alternativ en 2005. Ensuite, les mêmes juges ont statué qu’on ne peut pas aller au Privy Council. Bref, la cour suprême est relativement petite et presque tous les juges ont été, à un moment ou à un autre, impliqués dans cette affaire. Je ne suis pas un juriste, mais la raison avancée par l’État pour contester la présidence du « full bench » est incroyable. Mais passons, le Chef juge prendra la décision qui s’impose une fois que l’affaire sera prise sur le fond.

Les législateurs n’avaient pas pu changer grande chose en 2014 à l’exception d’un mini amendement constitutionnel. Les présents législateurs n’ont pas été en mesure non plus de faire bouger les choses à part la présentation d’un projet de loi qui comporte des énormités, dont la nomination des députés après les résultats des élections, ce qui a d’ailleurs rendu son vote difficile. Il aurait donc été dans l’intérêt du pays que le « front bench » de la cour suprême tranche sur la question pour que prime la démocratie. Or, l’État a décidé de jouer au trouble-fête. C’est à se demander qui tire les ficelles. J’espère qu’il y aura un sursaut dans les jours qui viennent.

Q : Pourquoi Rezistans ek Alternativ a-t-elle attendu autant de temps avant de vouloir apporter des amendements à sa plainte ?

Il y a un imbroglio légal. Suite au mini-amendement constitutionnel de 2014, le président de la République avait proclamé les nouvelles modalités des élections générales qui devaient suivre. Suite à leur proclamation, celles qui étaient auparavant en vigueur sont devenues caduques alors que notre plainte, faite après les élections de 2010, était en partie basée sur la contestation des règlements qui existaient à cette époque. D’où cet imbroglio légal. Voyez donc vous-même : le mini-amendement constitutionnel était temporaire et n’existe plus maintenant. Or, les « regulations » y relatifs sont toujours applicables. Quand on en a pris connaissance, il a fallu qu’on réadapte et réajuste la plainte pour refléter cette situation.

Q : Les prochaines élections générales sont presque derrière la porte. Quelle sera votre approche au cas où la cour ne livre pas son verdict d’ici-là ?

L’affaire a été appelée « on merits » il y a deux semaines. L’État a tenté d’avoir un renvoi mais il ne l’a pas eu. Ceci dit, le chef juge a fait deux annonces importantes : d’abord il a proposé que d’autres bras de l’État qui sont concernés par cette affaire, dont l’« Electoral Supervisory Commission » et l’« Electoral Commission », soient appelés comme codéfendeurs. Il a aussi annoncé qu’un « full bench » examinera la plainte, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Je pense qu’une fois le problématique de l’amendement est réglé, une nouvelle date sera fixée « for merits ». Selon moi, la cour suprême est en train d’agir en fonction du jugement du Privy Council. Celui-ci avait statué qu’on peut y retourner si les points qu’on soulève ici ne sont pas pris en considération. Mais pourquoi y retourner si la cour suprême peut et est près de les adresser ?

Q : Vous êtes donc confiant pour la suite de l’affaire ?

Tout à fait ! Prenons mon cas. Je suis né et j’ai grandi dans ce pays. Pourquoi donc ne puis-je pas être candidat aux élections si je ne veux pas déclarer mon appartenance ethnique ? Notre combat, c’est que la citoyenneté mauricienne soit reconnue dans le système électoral. Et je suis confiant, tout comme les Nations Unies et des juges l’ont trouvé, qu’on ne peut pas forcer la classification communale.

Q : En tant qu’observateur et acteur politique, quel constat faites-vous sur le plan social et politique en ce moment ?

Nous vivons une période où la société mauricienne est à la croisée des chemins. Il y a presqu’un diktat de l’élite économique qui a accaparé ce gouvernement et l’État. Et cet accaparement s’est fait dans les trois mois qui ont suivi les dernières élections générales. Je suis connu comme un fervent opposant de l’ancien régime PTr-PMSD, mais la vitesse à laquelle le présent gouvernement a été absorbé par l’oligarchie économique est foudroyante. On est arrivé à une situation où Pravind Jugnauth a annoncé, mine de rien, l’année dernière qu’il va vendre les passeports mauriciens, comme s’il s’agissait de petits pains. Il a aussi mis sur pied une instance surnommé l’« Economic Development Board » (EDB) et qui veut abolir toutes les lois de protection d’environnement et de tout prendre entre ses mains. C’est la catastrophe écologique assurée.

Il faut savoir que la destruction des « wetlands » dans le nord est en partie responsable des inondations. Le gouvernement a déboursé Rs 400 millions pour construire des chemins à Les Salines, en défonçant des « wetlands », au profit de Beachcomber et de « New Mauritius Hotels » (NMH). La « smart city » de Pointe d’Esny a déjà eu son permis EIA. Omnicane a aussi annoncé en fanfare un projet de construction dans le sud du pays alors que Mahen Jhugroo n’a même pas encore dit si cette compagnie y obtiendra des pas géométriques qui sont d’une beauté naturelle inestimable. Tout cela aura un impact sur notre écologie. L’EDB, que je surnomme l’« Environment Disaster Board », est composé de personnes qui vivent sur une autre planète et qui ne voient pas le désastre écologique qui nous attend au tournant. Pravind Jugnauth, l’EDB et l’oligarchie économique nous mènent droit vers le précipice.

Q : Mais vous pensez que le peuple jugera le gouvernement uniquement sur la question écologique ?

Ce désastre écologique entraînera des conséquences sociales et socio-économiques extraordinaires. Je ne sais pas d’où Forbes a sorti sa liste concernant les dix personnes les plus riches à Maurice, mais elle ne fait que démontrer que les inégalités salariales se creusent davantage entre les hypers riches et les travailleurs. Le salaire minimal de Pravind Jugnauth ne suffit pas pour combler cet écart grandissant. Ce gouvernement avait été élu en disant qu’il allait mettre un frein à l’accaparement de nos terres sous les Travaillistes, mais le problème s’est au contraire accéléré sous le présent régime. Laissez-moi vous dire que la question des plages sera un argument central lors des prochaines élections. Ceux qui se positionnent en faveur de l’accaparement des plages auront un prix très cher à payer.

Q : Vous venez d’échapper à une arrestation pour un prétendu délit commis il y a un an de cela. Avez-vous l’impression que le gouvernement est intolérant envers les opposants et ceux qui le critiquent ?

Il y a des germes d’intolérance qui sont bien ancrées au gouvernement. Pravind Jugnauth est un schizophrène, un peu à la manière du Dr Jekyll and Mr Hyde. Ce qu’il dit contraste avec ce qu’il fait. Les mesures répressives prises sous ce gouvernement le prouvent. Nous ne sommes pas d’accord que la répression soit appliquée contre des opposants, comme dans le cas des membres du PTr et des manifestants de Saint Paul. Malheureusement, c’est le propre de chaque gouvernement quand il est au pouvoir. Autant que je suis arrêté maintenant, autant j’ai été arrêté sous le régime travailliste.

Le gouvernement gagnera à comprendre la racine de ces contestations sociales. Pourquoi ont-elles eu lieu ? Mais au lieu d’aller à la source de ces problèmes, le gouvernement ne fait que donner carte blanche à l’EDB et à l’oligarchie économique pour faire ce qu’ils veulent.

Q : Vous semblez tenir l’EDB et l’oligarchie économique responsables de tous les maux de ce pays…

Certainement ! Des considérations géopolitiques s’ajoutent aussi à cette liste. Naturellement, ces éléments sont aussi couplés à l’incompétence d’un parti politique et de ses membres. Ces derniers ne militent pas par convictions. Ils sont plus des pouvoiristes et des carriéristes. Plusieurs d’entre eux ont d’ailleurs sauté sur le navire à la veille des élections de 2014. D’où les spécimens comme Tarolah ou Rutnah, pour ne pas citer toute la liste. Sans compter que l’enrichissement du cercle proche au pouvoir est plus que jamais condamnable.

Q : Pravind Jugnauth prétend pourtant le contraire de ce que vous dîtes…

Pravind Jugnauth veut se projeter comme un moderniste, mais en réalité il est très rétrograde. J’ai eu affaire avec lui sur le dossier syndical. Il a prétendu nous écouter mais il n’a rien fait de concret. Prenons l’industrie sucrière par exemple, il a donné sa bénédiction pour qu’un « joint technical committee » se rencontre derrière le dos des laboureurs, des artisans et des petits planteurs pour proposer un détournement de fonds de presque Rs 6 milliards de l’argent public vers l’oligarchie économique. Il a fallu qu’on s’élève contre cette décision pour qu’il se rétracte.

Il y a, par ailleurs, un « dominère » extraordinaire au sein de l’industrie sucrière en ce moment. Les compagnies sucrières font systématiquement du chantage avec les travailleurs pour les forcer de quitter leur emploi. Dans la circonscription de Mahen Seeruttun, des compagnies ont envoyé des lettres aux syndicats pour les informant qu’elles n’embaucheront plus de laboureurs et que la coupe se fera par automatisation. Si on est arrivé à une telle situation, c’est parce que Pravind Jugnauth et Mahen Seeruttun ont tourné le dos aux laboureurs et aux artisans.

Je dois aussi attirer l’attention sur le fait qu’en 2016, le gouvernement avait amendé la Constitution pour obliger les compagnies à soumettre annuellement le nombre de laboureurs qu’elles veulent embaucher sur une base contractuelle. Ce qui devait ensuite permettre au ministre concerné d’établir un pourcentage que ces compagnies doivent respecter. De 2017 à 2019, rien dans ce sens n’a été fait. Voilà un ministre qui passe une loi qu’il viole ensuite lui-même. C’est cette violation de la loi qui permet aux sucriers de faire ce qu’ils veulent des laboureurs, soit en leur mettant à la porte, soit en n’embauchant que des saisonniers. Voilà comment des laboureurs souffrent parce que Pravind Jugnauth et Mahen Seerutten ont été rendus aveugles par l’oligarchie économique. Mais le temps du jugement viendra très prochainement !