Au ministère de la Santé : Le Dr Bhushan Ori est-il un pion de Lakwizinn ?

Depuis les révélations dans l’affaire Molnupiravir et plus récemment, la publication du rapport du ‘Public Accounts Committee’ (PAC), un malaise s’est installé parmi les fonctionnaires du ministère de la Santé. Ces derniers craignent de devoir payer les frais au cas où ils sont appelés à exécuter des ordres venus d’en haut, comme c’est souvent le cas depuis quelque temps. Cette appréhension est encore plus tenace puisque le poste de directeur général des services de Santé est assumé par quelqu’un qui est, à tort ou à raison, jugé proche de Lakwizinn. En effet, le Dr Bhushan Ori est l’époux de Shamila Sonah-Ori, cousine de Kobita Jugnauth et avouée du Premier ministre Pravind Jugnauth. On se souviendra d’ailleurs du tollé qu’avaient soulevé les tentatives du chef du gouvernement pour la caser à l’‘Electoral Supervisory Commission’ et à l’‘Electoral Boundaries Commission’ en 2018.

Un épisode que les fonctionnaires n’ont pas oublié. D’où les craintes qu’ils nourrissent à l’égard du Dr Bhushan Ori. Bien que celui-ci soit un fonctionnaire et non un nominé politique, il n’en demeure pas moins qu’il est bien connecté avec le pouvoir. Est-ce la raison pour laquelle il a été propulsé au poste de directeur général des services de Santé ? C’est là aussi une des plus grandes préoccupations des employés du service civil, surtout ceux de la Santé, qui y voient un cas de favoritisme plutôt qu’une promotion basée sur l’expérience et le mérite. Pour soutenir leurs dires, ils avancent que les critères de sélection pour être éligible à ce poste auraient, au préalable, été délibérément revus et modifiés pour que le costume du directeur général des services de Santé lui sied parfaitement le moment venu, et même si, pour y arriver, les autorités concernées ont dû faire quelques contorsions.

Expertise étrangère pour trouver la perle rare

Pour bien comprendre, il faut revenir en arrière, soit en 2018. La ‘Public Service Commission’ (PSC) avait fait venir, en août 2018, un expert étranger de l’‘All India Institute of Medical Science’ (AIIMS), plus précisément le Dr Randeep Guleria, pour siéger sur le board de la PSC pour procéder à l’audition et éventuellement à un exercice rigoureux de sélection pour trouver un nouveau directeur général des services de Santé. Ce poste était, à l’époque, occupé par la doctoresse Maryam Timol sur une base intérimaire suivant le départ prématuré à la retraite du Dr Vassen Pavaday en 2016. Il fallait donc trouver quelqu’un pour assumer cette responsabilité à plein régime. Mais puisque personne à la PSC n’avait les capacités requises pour évaluer les qualifications adéquates du meilleur candidat pour ce poste hautement technique, l’expertise du Dr Guleria avait été sollicitée.

Pour être éligible au poste de directeur général des services de Santé, il fallait, à cette époque (en 2018), avoir une qualification de base d’une durée minimum d’un an dans un domaine de spécialisation. Il fallait aussi compter 10 ans d’expérience de pratique dans une institution de santé et au moins 5 ans d’expérience en « health policy management », entre autres. Huit candidats avaient postulé, mais deux applications avaient été rejetées. Finalement, aucun des six candidats restants n’avait été retenu pour ce poste, car, selon le consultant indien, personne ne satisfaisait les critères requis. La Dr Timol a donc continué à assurer la suppléance à ce poste, bien que sa candidature eût été rejetée.

Critères modifiés ?

En 2019, un autre exercice de recrutement avait été fait par la PSC pour trouver la perle rare. Il s’était une nouvelle fois avéré non-concluant. Contre toute attente, la PSC a alors pris une décision surprenante. Elle a, en juin 2019, carrément outrepassé l’exercice de recrutement en nommant le Dr Sivalingum Ramen à ce poste, et en écartant au passage la doctoresse Maryam Timol qui en avait pourtant assumé l’intérim depuis octobre 2016. Le hic, c’est que le Dr Ramen, outre d’être un junior, n’avait même pas postulé pour ce poste, contrairement à la Dr Timol, « senior-most specialist » qui s’attendait, elle, à être titularisée comme directrice générale des services de Santé.

« Je ne m’attendais pas tout à fait à ce poste et la PSC m’a appelé pour remplacer le Dr Timol. Je dois faire ressortir que je n’étais pas à l’exercice de sélection en novembre dernier. Je n’avais pas formulé de demande pour ce poste, mais à cause de mon ancienneté, le PSC m’a contacté », avait alors confié le Dr Ramen à la presse. Ce dernier n’y a toutefois pas fait long feu, ayant pris sa retraite quelque temps après. Le Dr Bhushan Ori lui a succédé à ce poste vers la fin de l’année dernière.

Avec le recul, certains pensent que la nomination du Dr Ramen aurait été orchestrée d’en haut et n’aurait été en fait qu’une stratégie pour faire de la place au Dr Bhushan Ori. « Pourquoi la PSC s’était-elle ravisée en rabaissant les critères de sélection pour nommer quelqu’un qui n’avait même pas postulé pour ce poste alors qu’elle voulait initialement trouver le meilleur candidat, quitte à faire venir un consultant étranger pour tenter de le dénicher ? Kifer ine bizin dépense kas dans vide si ti bizin baisse niveau lamem tout court ? » Ce sont là autant de questions auxquelles des employés de la Santé veulent avoir des réponses. D’autant que, selon eux, si les critères n’avaient pas été changés, le Dr Ori n’aurait jamais pu occuper ce poste, n’étant pas un spécialiste, contrairement aux critères initiaux d’éligibilité.

Accaparement des institutions

La marche arrière de la PSC soulève bien des interrogations. A-t-elle effectivement et intentionnellement rabaissé les critères d’éligibilité pour en faire profiter un proche de Lakwizinn ? Nul ne le sait. Ce qui est certain cependant, c’est que les autorités auraient dû, au contraire, rehausser les critères d’éligibilité dans un but ultime de relever le niveau de service offert en ces temps dominés par la pandémie de Covid-19. Rabaisser les critères équivaudrait à mettre en péril la qualité de service offert par le ministère de la Santé. En témoigne la gestion catastrophique de la Covid-19. 

Dans les couloirs du 5ème étage du bâtiment Emmanuel Anquetil, la nomination du Dr Ori n’est pas considérée comme étant innocente puisqu’outre de favoriser un proche de Lakwizinn, elle viserait aussi à avoir la haute main sur l’administration des institutions clés du pays et pour mieux faire accepter certaines instructions venues d’en haut. « C’est inacceptable de manipuler ainsi tout un système afin d’avoir une mainmise sur les institutions », regrettent des fonctionnaires consciencieux.

Le fait que le Dr Ori n’ait jusqu’ici pas encore été entendu par les enquêteurs de l’ICAC dans le sillage de l’enquête sur l’achat du Molnupiravir par le ministère de la Santé auprès de « CPN Distributors Ltd » alimente aussi les spéculations. Son nom a pourtant été cité par Brijendrasingh Naeck à l’ICAC le 6 janvier 2022. Ce dernier avait soutenu que le Dr Ori ainsi que Dalida Allagapen, sœur du ministre Alan Ganoo, avaient une part de responsabilité dans cette affaire. Or, cette enquête semble être au point mort depuis quelque temps. Des liens avec Lakwizinn y sont-ils pour quelque chose ? La question reste posée.