Au nom du progrès

À 90 ans, Sayroon Ramatally sera bientôt déracinée de la maison où elle a passé 70 ans de sa vie ! Cette habitante de Barkly devra, malgré elle, faire place pour le tracé du Metro Express. Son état d’âme traduit toute la souffrance, la douleur et le désarroi qu’elle endure depuis qu’elle a reçu la fâcheuse lettre lui sommant, de façon inhumaine, d’évacuer sa demeure où elle a élu domicile depuis son mariage. Les images et les témoignages sont poignants, déchirants, émouvants et ne peuvent laisser insensibles ceux qui ont un cœur et une conscience. Mais ses protestations, ou plutôt celles de ses enfants puisqu’elle n’a pas le courage de lutter contre cette atrocité qu’on lui fait endurer, ne seront point entendues par le gouvernement. Ses tribulations et ses larmes de détresse n’émouvront point les élus du pouvoir. Aux yeux du Premier ministre d’ailleurs, elle est une « passéiste » qui refuse le progrès. Le développement, voyez-vous, a un prix. Et cette pauvre femme en fera les frais. Comme tant d’autres familles à Barkly et La Butte car l’angoisse est la même pour tous ceux qui ont été priés de plier bagage au profit du Metro Express.

La façon de faire des autorités dépasse le raisonnement et la compréhension. Pire, elle suscite l’indignation et la révolte. Les voix se sont ainsi élevées contre ce drame humain. Elles sont de toutes les communautés et de toutes les classes sociales. Mais comment le ministre des Infrastructures publiques, principal pilote du projet Metro Express, réagit-il pendant que les familles déracinées, la mort dans l’âme, protestent avec véhémence contre la menace de démolition de leurs refuges ? Eh bien, Nando Bodha les envoie balader. « Mone fini travay. Laisse mo alle mo lakaz ». C’est ce qu’il a répondu à un confrère vendredi après-midi. Voilà le genre de traitement que ce ministre de la République réserve à des citoyens en détresse, jetés à la rue par le gouvernement dont il fait partie, alors que lui, il se permet le luxe de se réfugier dans le confort douillet de sa maison. Peut-on encore s’attendre à ce que le régime en place trouve une solution humaine à ces délogements cruels après cet affront du ministre concerné ? Le gouvernement croit-il toujours pouvoir se vanter d’être pro-lepep après toutes les misères qu’il fait endurer à ces pauvres gens ? Y aura-t-il un déclic pour que l’indifférence et l’insouciance sortent enfin de leur torpeur ?

Si cette affaire interpelle, c’est surtout parce qu’elle a été faite d’une façon désorganisée, sans la moindre planification. Il n’y a eu ni de préavis raisonnable, ni de compensation et ni des mesures d’accompagnements. Dans son empressement de démarrer le Metro Express, le gouvernement ne voit pas le tort immense qu’il fait à une section de la population. Au nom du développement, Pravind Jugnauth n’hésitera pas à torpiller la dignité de ces douzaines de familles en leur privant de leurs logements. Mais gare à lui! Car celui qui sème l’injustice moissonne le malheur…