BILAN 2020 : Une année ‘soy’ sur tous les plans

 

Soy. C’est le seul mot qui nous vient à l’esprit pour décrire l’année écoulée. Mais ce n’est pas uniquement à cause de la pandémie Covid-19. La gestion catastrophique du pays en cette période de crise est tout aussi à blâmer…

L’économie en ruine

Incohérences, manque de dialogue et de vision au banc des accusés

L’économie mauricienne a été rendue encore plus vulnérable par la Covid-19. Malgré ce que prétend le gouvernement et le ministre des Finances, la situation économique n’était guère reluisante bien avant cette pandémie. Ce n’est pas l’économiste Kevin Teeroovengadum qui nous dira le contraire. Et il ne manque pas de le souligner non plus. En 2019, la croissance n’a été que de 3.1% au lieu des 3.9% prévue par le gouvernement, rappelle-t-il. Ce qui indique, selon lui, qu’il y avait déjà un ralentissement au niveau de la croissance. Il maintient d’ailleurs que la contraction pour 2020 sera plus sévère, pouvant aller jusqu’à 15% au lieu des 13% estimés par le gouvernement.

Le tourisme est presque à l’arrêt depuis le confinement. « Il n’y a qu’une infime partie du tourisme qui arrive à survivre sur le marché domestique. D’ailleurs, il ne faut pas oublier que, Covid-19 ou pas, Maurice s’est retrouvé sur la liste noire de l’Union Européenne. Comble de malheur, cette bombe est tombée au mauvais moment. Le ‘branding’ de Maurice a aussi pris un coup depuis l’épisode du Wakashio et cela n’arrange pas les choses », souligne l’économiste.

Ce que les décideurs politiques ne comprennent pas, renchérit-il en parlant de l’inclusion de Maurice sur la liste noire de l’UE, c’est qu’il ne suffit pas de voter des lois. C’est l’implémentation de celles-ci qui est importante. Les allégations de corruption et de scandales ternissent davantage l’image du pays, refoulant ainsi les investisseurs. « Toutes ces allégations de corruption ont contribué au ‘brand damage’ de Maurice », se désole-t-il.

Bien d’autres secteurs, dont le secteur d’exportation et le textile, ont également été durement impactés. Le taux d’exportation a d’ailleurs chuté. « Le seul point positif, c’est la dépréciation de la roupie vis-à-vis de l’euro et du livre sterling. Mais en même temps, les importations sont plus coûteuses et ce sont, au final, les consommateurs qui casquent les frais », poursuit Kevin Teeroovendagum. Il fait ressortir, dans la même foulée, que le problème de logistiques au niveau du port ne fait qu’aggraver la situation puisqu’il provoque une hausse du coût du fret, entre autres.

Notre interlocuteur note, par ailleurs, une incohérence du gouvernement en ce qu’il s’agit des dépenses gouvernementales. « Le gouvernement préconise des sacrifices, mais son acte ne reflète pas ce qu’il prêche », fustige-t-il. En pareil moment, le régime en place aurait dû choisir ses priorités en prenant soin que les projets choisis garantissent un « economic value added ». « Malheureusement, je ne vois aucun changement dans sa façon d’opérer. Les projets se poursuivent comme s’il n’y avait pas de crise », déplore l’économiste.

Cette incohérence se reflète aussi dans les signaux contradictoires que le gouvernement envoie à la communauté des affaires. « D’une part, il veut qu’on soit business-friendly et parmi les top-ten en termes de ‘ease of doing business’ et de l’autre, il impose des barrières au secteur privé local et étranger. Les investisseurs se demandent ainsi s’il y a un sens à venir investir à Maurice. Ce n’est guère encourageant pour eux », martèle l’économiste. Certaines déclarations faites par des ministres à l’encontre du secteur privé et qui sont répercutées ailleurs n’aident pas non plus à dégager la situation. Ce qui est dommage, selon lui, car le contexte actuel exige une étroite collaboration entre le gouvernement et le secteur privé.

Tandis que le ministre des Finances se réjouit que le taux de la perte d’emplois soit moins que sa prévision initiale, Kevin Teeroovendagum, lui, dénonce la « façon déguisée » de cacher le chiffre réel du nombre de chômeurs. « Il y a tant de personnes qui sont coincées chez elles et qui reçoivent toujours le ‘Wage Assistance Scheme’. Celles-ci sont dans l’expectative et ne savent pas quand elles seront appelées à reprendre le boulot. Elles sont techniquement au chômage. C’est malheureux qu’en neuf mois, le gouvernement n’est pas venu de l’avant avec un plan pour former ces travailleurs dans d’autres domaines », soutient-il.

Kevin Teeroovengadum craint que le manque de dialogue entre le gouvernement et le secteur privé ne complique davantage la situation durant les prochaines années. « C’est effrayant parce que 2021 sera toujours marquée par des incertitudes, surtout avec les récentes mutations de la Covid-19. Il faudra encore deux à trois ans pour que le vaccin soit disponible dans tous les pays. Dans un moment pareil de crise, il faut que le dialogue prime », insiste l’économiste. Le secteur touristique, souligne-t-il, paie déjà le prix du manque de dialogue entre les autorités gouvernementales et privées. « Le manque de concertation sur les stratégies à adopter nous a coûté très cher alors que tout près de nous, le secteur touristique des Seychelles arrive à garder la tête hors de l’eau grâce à la collaboration gouvernement-secteur privé ».

L’économiste redoute enfin que l’approche adoptée par le gouvernement soit fatale pour notre économie. « Si l’Afrique du sud est en récession aujourd’hui et même avant la Covid, c’est parce que l’ancien président Zuma n’avait fait aucun compromis concernant le secteur privé et qu’il s’était empêtré dans des allégations de corruption et de népotisme et que malheureusement l’économie n’a jamais été sa priorité. Il ne faut pas que Maurice en arrive là ».

 

Plan social

La drogue, un problème majeur

 

Passant en revue la situation sur le plan social, Fezal Jeerooburkhan, membre de « Think Mauritius », note quelques points positifs. D’abord, l’augmentation de la pension de vieillesse a été un soulagement, selon lui, pour les personnes du troisième âge. Idem pour le « Wage Assistance Scheme » qui, dit-il, a permis à un grand nombre de travailleurs de garder la tête hors de l’eau pendant et après le confinement. Il se réjouit aussi que Maurice est « Covid safe ». Ce qui nous a évité bien de problèmes.

Cependant, notre interlocuteur ne reste pas insensible aux nombreux problèmes qui continuent à nous miner. La perte du pouvoir d’achat suivant la dévaluation de la roupie pèse très lourd dans la corbeille ménagère. Ainsi, beaucoup de foyers arrivent difficilement à joindre les deux bouts. La hausse du chômage, provoquée en grande partie par la Covid-19, a aussi eu un impact très négatif sur le plan social. « Le nombre de chômeurs, qui tourne aux alentours de 62 000, est très inquiétant, d’autant que 30% d’entre eux sont âgés entre 16 et 24 ans. Je me fais surtout des soucis pour leur avenir », avoue Fezal Jeerooburkhan. La situation à Air Mauritius est aussi pointée du doigt. « Beaucoup d’employés ont perdu leurs emplois ou ont vu leurs salaires réduits », soutient-il.

Autre fléau qui ronge notre société : la drogue. Celle-ci est en hausse constante et qui continue d’affecter plusieurs familles. « Des familles souffrent terriblement à cause de la drogue. Certaines de ces familles sont même prises en otage par leurs propres enfants. C’est extrêmement désolant », poursuit-il. Sans compter que la drogue engendre aussi une hausse du nombre de vols et d’attaques, surtout contre les vieilles personnes. La fourniture d’eau pose aussi problème dans certains endroits. « Malgré toutes les promesses et les milliards de roupies dépensées, on n’arrive toujours pas à avoir l’eau sur une base 24/7 en dépit de ce qui avait été promis », déplore-t-il.

Le chamboulement dans le calendrier scolaire a également impacté de nombreuses familles. Mais ce qui révolte Fezal Jeerooburkhan le plus, c’est la façon dont des familles ont été jetées à la rue en plein confinement. « C’est inhumain ! Le gouvernement aurait pu attendre la fin du confinement pour agir. D’ailleurs, la plupart de ces familles dorment toujours à la belle étoile », se désole-t-il. Enfin, dit-il, le naufrage du Wakashio a aussi apporté son lot de problèmes. Ce sont surtout des pêcheurs et d’autres opérateurs économiques liés à la mer qui étaient durement éprouvés par cette catastrophe qui a aussi entraîné dans son sillage, une pollution indescriptible.

Abordant le ‘law and order’, notre interlocuteur estime que c’est un dossier brûlant qui nécessite une prise en charge urgente et immédiate. « Ces derniers temps, on trouve des cadavres un peu partout dans la nature. Les scénarios se ressemblent. Ce qui fait croire qu’il y a des liens entre ces corps retrouvés. Mais malheureusement, la police fait la sourde oreille. Je ne sais pas s’il y a une sorte de protection occulte qui empêche à la police d’agir librement et correctement », souligne-t-il.

Fezal Jeerooburkhan déplore par ailleurs que le taux d’accidents soit toujours en hausse. « Même les policiers sont surpris au volant en état d’ivresse maintenant. Qui fera respecter la loi s’ils la violent eux-mêmes ? », ironise-t-il. Il estime enfin que les grands travaux routiers posent un gros problème de sécurité pour les usagers de la route par manque de planification.

Plan politique

« Une année très noire »

2020 a été l’une des pires années que Maurice ait vécu de son histoire. C’est l’analyse de l’observateur politique Jocelyn Chan Low. La série noire a débuté, selon lui, depuis les dernières élections générales. « Le pouvoir est entre les mains d’un gouvernement minoritaire. Qui plus est, il a tenté de verrouiller toutes les institutions. Les organismes régulateurs ne sont plus des chiens de garde, mais des chiens du gouvernement », lance-t-il. Il déplore également les tentatives répétées d’étouffer la liberté de la presse, comme en témoigne les mesures répressives subies par l’Express et Top FM.

Le viol de la démocratie parlementaire est aussi dénoncé par Jocelyn Chan Low. « Je n’ai jamais vu un Speaker agir de la sorte. D’ailleurs, je ne pense pas qu’il y en a un autre comme lui ailleurs dans le monde », ironise l’observateur politique. Évoquant la pandémie Covid-19, il estime que, malgré que le pire ait été évité en dépit de la fermeture tardive de nos frontières, il ne faut pas qu’on ferme les yeux sur le scandale concernant l’achat d’équipements médicaux et des médicaments durant le confinement. Le Wakashio, poursuit-il, a démontré l’incompétence de certains. Il énumère dans la même foulée les nombreux scandales ayant secoué le pays cette année-ci. Il dit ainsi attendre les conclusions de l’enquête sur l’affaire Kistnen d’autant que celle-ci comporte des « ramifications mafieuses ».

Jocelyn Chan Low estime qu’il y a quand même eu quelques points positifs. « D’abord, l’Opposition a compris qu’elle ne peut plus aller dans un ordre dispersé. Bien sûr, aucune unité ne peut être parfaite, mais le plus important c’est que les différents partis de l’opposition travaillent ensemble », dit-il. Autre satisfaction pour lui, le réveil des citoyens qu’il trouve salutaire. « Cela montre que les Mauriciens ne sont plus des moutons ». Il se réjouit aussi du rôle joué par certains membres du barreau, dont Roshi Bhadain et Rama Valayden, pour dénoncer les affaires Angus Road et Kistnen, entre autres.

L’observateur politique trouve toutefois inconcevable que le gouvernement « s’en fout royalement du ras-le-bol du peuple et de l’opinion publique ». Ce qui lui fait dire que 2020 a été une année très noire pour le pays.