[Budget 2025-2026] Entre espoirs et réalités économiques

Le jeudi 5 juin, tous les regards convergeront vers l’Assemblée nationale. Navin Ramgoolam, dans son double rôle de Premier ministre et de ministre des Finances, y dévoilera le très attendu Budget 2025-2026 — déjà annoncé comme difficile par les principaux acteurs de la scène politique. Si l’annonce officielle a été faite à la clôture des travaux parlementaires le 13 mai, les signes avant-coureurs d’un exercice périlleux étaient visibles depuis plusieurs semaines.

Le pays traverse une phase économique délicate. La dette publique atteint désormais près de 90 % du PIB, avec une hausse de Rs 20 milliards enregistrée en à peine trois mois, entre décembre 2024 et mars 2025. Le rapport State of the Economy, présenté en décembre dernier, dressait déjà un constat alarmant : des finances publiques sous pression, une croissance ralentie, et des inégalités qui se creusent. Mais au-delà des chiffres, ce sont les réalités sociales qui imposent leur poids : précarité persistante, chômage structurel, démographie vieillissante, et profondes disparités économiques.

Dans ce climat tendu, Navin Ramgoolam a tenté de tempérer les attentes. Il a rappelé que l’État ne dispose pas de baguette magique, et que les caisses sont presque vides après des années de dérive budgétaire. Pourtant, les attentes citoyennes, nourries par les promesses de l’Alliance du changement, restent élevées : baisse des prix du carburant, suppression de la redevance télé, accès gratuit à Internet, création d’un fonds de Rs 10 milliards pour stabiliser les prix…

Ce Budget pourrait toutefois marquer un tournant. Non pas par des annonces spectaculaires — car le contexte ne s’y prête guère — mais parce qu’il constituera un test de crédibilité pour le nouveau gouvernement. Sa capacité à poser les jalons d’une relance responsable, tout en protégeant les plus vulnérables, sera scrutée de près. Le 5 juin, il ne s’agira pas simplement d’un exercice comptable. Il sera question d’un choix de cap, peut-être même des premiers pas vers un nouveau contrat social.

Vinaye Ancharaz : « Une rupture avec le passé »

Pour l’économiste Vinaye Ancharaz, les défis que le gouvernement devra affronter dans le prochain budget découlent directement du State of the Economy Report publié peu après l’arrivée au pouvoir de l’Alliance du changement. Ce rapport, dit-il, « a mis en lumière de graves manquements dans la gestion des finances publiques : manipulations de chiffres, sous-estimation de la dette et absence de rigueur budgétaire ». Mais au-delà des constats, ce sont les solutions qu’il faudra désormais apporter.

Le maître-mot pour lui est clair : consolidation fiscale. « C’est un terme qu’on retrouve dans les analyses du FMI, de Moody’s ou encore de S&P. Il signifie tout simplement remettre de l’ordre dans les finances publiques. Cela implique de mieux maîtriser les dépenses d’un côté, et d’augmenter les revenus de l’autre. » Or, ces deux volets s’annoncent particulièrement ardus à gérer, dans un contexte marqué par la stagnation économique et une dette publique qui frôle les 90 % du PIB.

Selon lui, les marges de manœuvre sont très limitées. « Chaque année, le rapport de l’Audit met en évidence des gaspillages énormes. Il faut un meilleur contrôle des dépenses publiques. Mais certaines de ces dépenses sont incompressibles, comme la pension de vieillesse, qui représente à elle seule près d’un tiers du budget. Peut-on vraiment y toucher dans le contexte actuel ? C’est toute la difficulté. » Il pointe également la charge de la dette : « Le service de la dette – intérêts et remboursement du capital – accapare déjà 25 % du budget. »

À cela s’ajoute l’impératif d’augmenter les revenus de l’État, principalement à travers la fiscalité. « Mais ce n’est pas chose évidente non plus. Il faudra peut-être envisager une réforme en profondeur du système des pensions, avec des éléments de progressivité et de justice fiscale, pour alléger la pression sur les finances publiques. »

Relancer l’économie, mais comment ?

Au-delà de la discipline budgétaire, la relance économique est, selon lui, une autre priorité incontournable. « On n’a pas vu émerger de nouveaux piliers économiques au cours de la dernière décennie. L’industrie pharmaceutique, par exemple, n’a jamais vraiment décollé. Il est temps d’investir sérieusement dans des secteurs innovants comme les biotechnologies, les technologies de pointe, ou encore l’intelligence artificielle. »

Mais relancer suppose aussi revitaliser les secteurs traditionnels. « Le tourisme, par exemple, affiche une croissance nulle cette année. Est-ce que ça signifie que le secteur a atteint un plafond ? Il faut redynamiser l’offre, diversifier les marchés, repenser les produits. Même constat pour le secteur manufacturier, en déclin à cause du coût élevé de la main-d’œuvre… et de la pénurie de main-d’œuvre, paradoxalement. Il faut miser sur un manufacturing de haute technologie. »

Des attentes populaires à tempérer

Quant aux attentes de la population, l’économiste appelle à la lucidité. « Pendant des années, la population s’est habituée à recevoir des cadeaux budgétaires : allocations, subventions, baisses de prix. Mais le contexte a changé. L’héritage laissé par l’ancienne administration est lourd à tous les niveaux — économique, financier, institutionnel. Il faudra faire preuve de patience. Je ne pense pas que ce budget sera un budget de cadeaux. »

Pour lui, le Budget 2025-2026 a une portée symbolique forte. « C’est le premier budget du nouveau gouvernement. Il doit envoyer un message clair : ce gouvernement est sérieux, il est là pour redresser le pays. Il y aura sans doute un début de réformes, mais elles seront introduites progressivement. On ne va pas bousculer les choses, surtout dans un contexte politique post-électoral comme celui d’un 60–0.Ce budget doit marquer une rupture avec le passé, où on dépensait sans se soucier de la soutenabilité. On en paie aujourd’hui le prix, avec une dette qui dépasse les Rs 600 milliards », conclut-il.

Le 5 juin, c’est bien plus qu’un budget que le gouvernement devra défendre : c’est une vision, une cohérence, et surtout, une promesse de redressement crédible dans une conjoncture sous haute tension.