Le gouvernement pose les jalons d’un nouveau cap socio-économique, fondé sur la méritocratie, l’efficacité et la justice sociale. Objectif : soutenir les plus vulnérables tout en assurant des opportunités équitables pour tous. C’est dans cette dynamique que le Premier ministre, le Dr Navin Ramgoolam, a lancé ce jeudi après-midi les consultations budgétaires pour l’exercice 2025-2026, au Sir Harilall Vaghjee Hall à Port-Louis. Le ministre délégué aux Finances, Dhaneshwar Damry, ainsi que plusieurs personnalités éminentes étaient présents. L’événement a rassemblé un large éventail d’acteurs : représentants d’associations professionnelles et commerciales, syndicats, ONG et organisations de la société civile.

Dans son allocution, le Premier ministre a souligné l’importance de bien comprendre la situation économique actuelle avant d’entamer les discussions. « Nous avons hérité d’une situation critique et insoutenable, avec une dette publique atteignant Rs 644 milliards, soit près de 90 % du PIB », a-t-il déploré. Il a mis en garde contre le risque d’une dégradation de la note souveraine par l’agence Moody’s, qui pourrait nuire aux investissements et à la stabilité économique. Toutefois, grâce à des négociations menées par une équipe dédiée, Moody’s a accepté de maintenir sa notation sous condition de réformes rigoureuses. « Nous sommes toujours sous la surveillance de Moody’s », a-t-il précisé.

Le chef du gouvernement a réaffirmé sa volonté de redresser la situation socio-économique du pays et d’éviter que les générations futures ne paient les erreurs du passé. Dans cette optique, il a annoncé la réintroduction du Performance-Based Budgeting dans chaque ministère, afin de garantir plus de transparence et de responsabilité dans la gestion des finances publiques. Son bureau assurera un suivi strict de cette mesure.
Il a lancé un appel à la coopération de toutes les parties prenantes, soulignant la nécessité d’une approche disciplinée durant les consultations. Parmi ses priorités :
- Lutter contre la mauvaise utilisation des fonds publics ;
- Réduire la bureaucratie dans le secteur public ;
- Renforcer les secteurs stratégiques comme le tourisme et l’exportation.
Ce budget s’annonce comme un tournant dans la gestion économique, avec des réformes destinées à restaurer la confiance et assurer une croissance durable.
Radhakrishna Sadien : « Un signal clair a été envoyé »

Parmi les premières réactions, celle de Radhakrishna Sadien, président de la State Employees Welfare Federation (SEF), se veut à la fois attentive et critique. Il salue un discours « réaliste et pragmatique », soulignant que le Premier ministre a exposé sans détour la gravité de la situation économique. « Chaque dépense devra désormais être justifiée et optimisée. » Il estime que la discipline budgétaire est une démarche essentielle, mais qu’elle doit s’accompagner de transparence et d’une participation active des acteurs concernés.
Le syndicaliste plaide pour un dialogue de fond avec la population afin de mieux faire accepter les décisions. « Un dialogue social est indispensable pour clarifier les objectifs, les progrès attendus et les délais. Sans cela, il y a un risque de frustration et d’attentes irréalistes. » Il alerte aussi sur le manque de ressources dans des secteurs essentiels, en particulier la santé publique, déjà confrontée à de nombreuses difficultés. « Le ministère de la Santé ne peut pas mener une politique de prévention efficace faute de moyens. » La pandémie de Covid-19, ainsi que la situation sanitaire actuelle due à la dengue et au chikungunya, montrent l’urgence d’investir davantage dans la prévention et les infrastructures. D’autres enjeux majeurs, comme l’accès à l’eau potable ou la lutte contre la drogue, nécessitent aussi, selon lui, une approche proactive.
Enfin, Radhakrishna Sadien appelle à un renforcement des capacités de la fonction publique, tant en ressources humaines que matérielles. « Un gouvernement ne peut réussir sans une fonction publique compétente et bien équipée. » Il insiste sur la nécessité d’ajustements salariaux en priorité pour éviter la démotivation, ainsi qu’un recrutement ciblé dans des secteurs stratégiques comme l’éducation, la santé et l’agriculture. Il plaide aussi pour la modernisation des équipements et de meilleures conditions de travail. Selon lui, des services publics performants sont indispensables à la réussite d’une relance économique durable et inclusive.
Gheerishsing Gopaul : « Il est grand temps de recruter massivement dans la fonction publique »

Gheerishsing Gopaul, secrétaire général de la Government Services Employees Association (GSEA), se dit préoccupé par les perspectives économiques tracées par le Premier ministre. Selon lui, les attentes des syndicats risquent fort de ne pas être comblées, compte tenu du ton donné par le chef du gouvernement. « La situation économique décrite par le Premier ministre est difficile. Il a été clair depuis son message du 1er janvier : l’attente des syndicats ne correspondra peut-être pas à ce que le gouvernement pourra offrir », affirme-t-il.
L’un des problèmes majeurs qu’il soulève reste le sous-effectif chronique dans la fonction publique. Il rappelle que les services publics ne peuvent fonctionner sans leurs agents. « On parle de services publics, mais on oublie que ce sont les fonctionnaires qui les font vivre. Depuis plus de deux ans, beaucoup de postes sont vacants, et cela pèse lourdement sur ceux qui restent. » Cette situation entraîne une surcharge de travail pour les fonctionnaires en poste, qui doivent souvent assumer plusieurs responsabilités à la fois. « On a un salaire pour une seule personne, mais on fait le travail de plusieurs », déplore-t-il. Pour lui, il est urgent de mettre en place un plan de recrutement structuré et massif dans tous les ministères.
Le syndicaliste insiste particulièrement sur les besoins urgents dans trois secteurs clés : la santé, l’éducation et les infrastructures. Il critique le dernier budget, qui selon lui, a fait l’impasse sur le recrutement de personnels spécialisés. « Le dernier budget n’a pas répondu à ces attentes. On a recruté principalement des MSO, mais qu’en est-il des postes spécialisés, indispensables à l’exécution des politiques publiques ? »
Autre point d’alerte : les heures supplémentaires impayées, notamment dans le secteur de la santé. Gheerishsing Gopaul rapporte que certains agents attendent leur rémunération depuis plus d’un an. « Si les ministères disposaient de suffisamment de personnel, il n’y aurait pas besoin de payer autant d’heures supplémentaires. Ce serait économiquement plus viable. »
Vinaye Ancharaz : « Ce budget doit marquer une rupture avec le passé »

L’économiste Vinaye Ancharaz situe les consultations budgétaires dans un contexte économique particulièrement délicat. Il rappelle que ce budget est le premier de l’actuel gouvernement, élaboré seulement quelques semaines après la présentation du programme gouvernemental. « On a hérité d’une économie fragilisée. Plusieurs maldonnes ont été mises à jour, et même les chiffres de croissance ont dû être révisés à la baisse, passant de 6,5 % à 5,1 %, puis à 4,7 % selon Statistics Mauritius », souligne-t-il.
Il évoque également la situation de la dette publique, précisant que le ratio dette/PIB dépasse toujours les 80 %, ce qui représente un seuil critique, et met en garde contre le récent rapport de Moody’s, qui a abaissé la perspective de la note souveraine de stable à négative, même si le pays conserve encore son statut d’investment grade. Pour l’économiste, ce signal doit être pris très au sérieux. « Moody’s recommande un plan de consolidation budgétaire. Cela implique un meilleur contrôle des dépenses, mais aussi une hausse des recettes pour réduire la dépendance à l’endettement. »
Selon lui, le prochain budget devra clairement refléter cette volonté de changement. « Ce gouvernement ne peut pas poursuivre la politique du “cadeau facile” héritée de l’ère précédente. Cette approche populiste, centrée sur la dépense, a fortement contribué à la situation actuelle. À titre d’exemple, rien que pour l’exercice 2023-2024, le gouvernement a emprunté Rs 148 milliards, soit près de 48 % de ses revenus », explique-t-il.
L’économiste appelle ainsi à une rupture budgétaire : « On ne peut pas continuer à dépenser sans discernement. Il faut faire des choix responsables, même si cela implique de déplaire à court terme. » Il admet que certains postes de dépenses, comme la sécurité sociale, sont incompressibles, mais estime qu’il existe des marges de manœuvre dans d’autres domaines. Il insiste sur la nécessité de faire comprendre à la population qu’un nouveau cap doit être adopté : « Ce budget doit être celui des réformes structurelles, poser les bases d’une économie résiliente, moderne, digitalisée et diversifiée. »
Vinaye Ancharaz regrette qu’aucun nouveau pilier économique n’ait vu le jour au cours de la dernière décennie. « On a beaucoup parlé d’une industrie pharmaceutique, mais cela n’a jamais dépassé le stade des promesses. » Il appelle donc à encourager de nouveaux pôles de développement, notamment dans la FinTech, l’intelligence artificielle et les technologies numériques.
Enfin, il souligne que la lenteur administrative et l’absence de digitalisation freinent fortement l’efficacité de l’État. « Le rapport du Directeur de l’audit pointe le manque d’informatisation comme l’une des causes majeures de retards et de gaspillages. Le plan de transformation digitale du secteur public est à la traîne. Il faut l’accélérer. » Pour lui, l’enjeu de ce budget est clair : « Il s’agit de jeter les bases de l’économie de demain », conclut-il.