Caméras non opérationnelles dans les prisons : Une aubaine pour toute tentative de ‘cover up’

 

À ce jour, 339 caméras CCTV sur 544 ne sont pas opérationnelles à la prison de Melrose, soit 3 caméras sur 5. Un problème qui concernerait toutes les prisons de l’île, selon nos interlocuteurs. Or, c’est là une situation alarmante, après le nombre recensé de cas de brutalité, voire de torture, contre les prisonniers dans nos geôles. Le nombre de détenus qui ont trouvé la mort dans les cellules dans des circonstances troublantes inquiète aussi beaucoup les défenseurs des droits humains. Se pose alors l’épineuse question : et si des caméras non opérationnelles profitaient à certains dans leur tentative de ‘cover-up’ dans des cas de mauvais traitement ? Nous abordons le sujet avec des avocats spécialistes du domaine des droits humains, tels que Rama Valayden et Sanjeev Teeluckdharry.

Le Premier ministre met les rongeurs et les pannes d’électricité en cause…

Le 4 août dernier, le député du MMM, Aadil Ameer Meea, avait posé une question à l’Assemblée nationale concernant les caméras non-opérationnelles à la ‘High Security Prison’ de Melrose. La question visait à faire la lumière sur les zones floues autour de l’allocation du contrat pour l’installation de ces cameras CCTV et la somme dépensée, et le plus inquiétant, sur le nombre de caméras qui ne sont pas opérationnelles.

Selon la réponse du Premier ministre, c’est le ‘joint-venture’ Beijing Zhuzong / Hyvec Partners qui a décroché le contrat pour la construction de la prison de Melrose et pour l’installation des caméras, qui a été achevée le 31 août 2013.

Le Premier ministre a indiqué que 339 caméras CCTV sur 544 ne sont pas opérationnelles à la prison de Melrose. L’entrepreneur des travaux avait expliqué que le problème est dû à cause des rongeurs et des pannes d’électricité fréquentes, ce qui aurait endommagé les caméras.

Me Rama Valayden

RAMA VALAYDEN « Insolite que des rats aient pu endommager 339 caméras sur 554  »

Me Rama Valayden, avocat spécialisé dans le domaine des droits humains, et dont les services ont été retenus dans plusieurs cas de brutalité policière allégués, explique que le problème de brutalité dans les prisons ne date pas d’hier mais depuis des années. « L’origine du problème découle du fait qu’il n’y a pas de vérification au quotidien dans des prisons », nous explique-t-il.

Il revient sur la réponse du Premier ministre à l’Assemblée nationale, qui avait affirmé que c’étaient des rats qui avaient causé cette défaillance des caméras à Melrose. « Je trouve cela insolite que des rats aient pu endommager 339 caméras sur 554 », ironise l’homme de loi. Or, ce problème ne concerne pas uniquement la prison de Melrose, mais toutes les prisons du pays, nous fait-il comprendre.

 « Les ‘cover-ups’ dans ce genre de cas démontrent carrément que nos gouvernants s’en fichent complètement des droits de l’Homme ! Si ce genre de situation persiste, petit à petit, le pays va perdre la face, et à cause de la négligence de Vinod Appadoo, le gouvernement devra payer des dommages aux familles des détenus victimes de brutalité dans les prisons. Et ces dommages sont puisés de l’argent des contribuables », nous explique Rama Valayden.

En ce qui concerne l’ex-commissaire des prisons, Vinod Appadoo, l’avocat se demande pourquoi le chef du gouvernement et certains ministres essaient de sauver la peau de ce personnage. L’avocat revient sur les rapports du Public Accounts Committee (PAC) et de l’Audit par rapport aux prisons. Pour lui, c’est chagrinant qu’en 2020, il n’y a pas de véritable débat autour de ces rapports, ce qui aurait permis plus d’éclairage sur certains sujets, et moins de fraudes et de gaspillage dans le pays. Mais malheureusement, de nos jours, ces rapports font l’actualité seulement pour quelque temps.

 

L’absence de caméras : un danger pour les prisonniers et pour les gardes-chiourmes

Rama Valayden fait comprendre la gravité de la situation avec les caméras non opérationnelles. « C’est grave parce que cela représente un danger non seulement pour les prisonniers mais aussi pour les gardes-chiourmes », explique-t-il. L’homme de loi explicite les dangers présents quand il n’y pas de caméras opérationnelles couvrant certains endroits dans la prison :

  • Les détenus peuvent faire preuve de violence envers les gardes-chiourmes.
  • Des prisonniers peuvent s’en prendre à d’autres prisonniers, plus faibles physiquement, pour assouvir leurs pulsions, d’ou la pratique de la sodomie dans les prisons de l’île.
  • Également, ce sont des gardes-chiourmes qui peuvent profiter du fait que les caméras ne sont pas opérationnelles pour tabasser, voire torturer les prisonniers.
  • Il y a aussi la formation de ‘gangs’ qui incitent des bagarres raciales, ce qui est rendu plus facile par l’absence de caméras.
  • Finalement, les détenus ont de plus grandes chances de faire entrer des colis illicites dans les prisons.

Me Sanjeev Teeluckdharry, avocat

Sanjeev Teeluckdhary« Pour faire des ‘cover-ups’, on trouve commode de dire que les caméras ne sont pas opérationnelles »

L’avocat Sanjeev Teeluckdharry nous fait comprendre sans ambages que dans les prisons mauriciennes, il y les pires violations des droits humains. On a tous pu avoir un aperçu de ce problème pendant le confinement, avec le décès de Caël Permes à La Bastille. L’avocat explique que dans beaucoup de cas, il y a le « tampering with evidence », avec les images CCTV truquées ou effacées.

« Il est malheureux que les prisons du pays figurent parmi les prisons les plus sévères du monde sur Netflix, alors que l’initiative pour réparer les caméras est inexistante », nous dit-il. Ce qui laisse la porte ouverte à tous les abus, et où les droits humains sont bafoués sans vergogne : les prisonniers sont battus, et se font même tuer dans les cellules.

L’avocat s’interroge : est-ce que c’est pour faire des ‘cover-ups’ que l’on trouve commode de dire que les caméras ne sont pas opérationnelles ?

Sanjeev Teeluckdharry est d’accord que les prisonniers ont été condamnés car ils ont enfreint la loi mais il n’appartient pas aux ‘prison officers’ d’infliger des punitions, encore moins de torturer ou de blesser les prisonniers. « Dans un état de droit, c’est du ressort de la justice de décider de la sentence qui doit être infligée à un détenu », affirme-t-il.

« This is a prison, this is not mama’s house »

vinod AppadooDans un documentaire sur Netflix, intitulé ‘Inside The World’s Toughest Prisons’, les prisons principales de Maurice sont, assez étonnamment, considérées comme étant parmi les prisons les plus dures au monde pour les détenus.

Un entretien avec l’ancien commissaire des prisons Vinod Appadoo figurait en bonne place dans le documentaire. Ce dernier avait déclaré, en parlant des prisons mauriciennes, que « This is a prison, this is not mama’s house ».

Quelque temps après la sortie du documentaire sur Netflix, Vinod Appadoo devait relater à la presse que dans une correspondance reçue du commissaire des prisons du Brésil, ce dernier lui aurait dit : « We need this kind of director in the Brazilian system ». Les grands esprits se rejoignent…

Les hommes de loi que nous avons interrogés ne trouvent pas que c’est là une occasion de se bomber le torse, même si on a été pris comme exemple au niveau international. « Il existe trop de lacunes dans le système pénitentiaire de Maurice pour être fier de quoi que ce soit », nous fait remarquer Me Rama Valayden.

En outre, le documentaire ne fait nullement mention des multiples cas de brutalités en prison  et de détenus décédés en cellule, qui se sont produits sous le ‘watch’ de Vinod Appadoo. De plus, avec 339 caméras sur 554 qui ne sont pas opérationnels, il n’y a là aucune raison de pavoiser.

 

La NPMD, bizarrement, ne fait aucune mention des caméras non opérationnelles

La National Preventive Mechanism Division (NPMD) a été mise en place en 2014 au sein de la National Human Rights Commission (NHRC). Les objectifs de cette division : effectuer des descentes dans des prisons et les centres de détention de l’ile pour réprimer les cas de brutalité et de torture, trouver la source des problèmes et assurer que les prisonniers soient en sécurité.

Les descentes des officiers de la NPMD peuvent être faites à n’importe quelle heure, même si aucune complainte n’a été consignée.

La NPMD, dans son rapport annuel de 2019, fait ressortir que ses officiers ont effectué 60 visites dans les prisons principales de l’ile. Prenant en considération tous les centres de détention de l’ile (y compris les postes de police), le nombre total de visites s’élève alors à 127.

Durant ces visites, les officiers de la NPMD ont enregistré 75 cas de non-respect des droits des détenus. Depuis, 65 de ces cas ont été résolus, mais 10 sont toujours en cours de résolution. Il est aussi fait mention d’un suicide à la Bastille le 1er avril 2019.

La NPMD a recommandé dans son rapport qu’il y ait un meilleur système de « screening ». Mais le rapport de huit chapitres et de 15 pages ne fait à aucun moment mention des caméras non opérationnelles des prisons de l’ile.

Le commissaire des prisons, Mario Nobin : « Le PM a déjà tout répondu »

Mario NobinJoint au téléphone pour une clarification sur le remplacement et la réparation des caméras, l’ancien commissaire de la force policière, qui a récemment été nommé commissaire des prisons, Mario Nobin dit ne pas souhaiter faire de commentaires. Le Premier ministre, dans sa réponse à Aadil Ameer Meea, a déjà tout répondu, nous a-t-il expliqué. De l’autre côté, il y a déjà un ‘High Level Committee’ qui se planche sur le « whole camera issue ». Il a quand même tenu à dire qu’il va apporter sa collaboration pour résoudre le problème de caméras non opérationnelles.

 

L’affaire Caël Permes : aurait-on éteint les caméras avant de torturer le détenu ?

cael permesLe décès de Caël Permes, 29 ans, à la Bastille le 5 mai dernier, a permis de soulever le voile sur ce qui se passe en prison, et dans ce cas, on peut voir l’importance de caméras de surveillance dans les centres de détention.

Le détenu avait été transféré de la prison centrale de Beau-Bassin à La Bastille dans l’après-midi du mardi 5 mai, soit quelques heures avant d’être retrouvé mort. Un transfert brusque dont on ne sait pas encore sur ordre de qui, et pourquoi.

Selon le Dr Sudesh Kumar Gungadin et le Dr Prem Chamane, qui avaient pratiqué l’autopsie sur le défunt, des blessures au niveau du dos, des coudes et des jambes, ont été décelés, indiquant qu’il a été battu. Le décès a été attribué à une hémorragie causée par de multiples blessures

Les enquêteurs de la police avaient essayé de visionner les images des caméras de la prison, mais elles étaient éteintes ce jour-là.

L’enquête a permis l’arrestation de plusieurs gardes-chiourmes dans cette affaire, dont un qui a comparu en cour le 15 mai sous une charge provisoire de ‘computer misuse’, étant soupçonné d’avoir manipulé les caméras de la prison le 5 mai avant l’arrivée de Caël Permes. Trois ‘lead prison officers’, sur qui pèse une charge d’assassinat, ont aussi été arrêtés dans cette affaire.

 

 

Neevedita Nundowah