Centre d’Oncologie de Candos : Un véritable cancer

  • Les derniers chiffres sur le cancer à Maurice datent de 2014

Situation exaspérante au Centre d’Oncologie de l’hôpital Victoria, la situation du cancer à Maurice continue son ascension, les chiffres manquent à l’appel, des projets salvateurs tardent à être concrétisés, pendant ce temps les patients souffrant du cancer continuent à croire dans un avenir meilleur, tout en vivant un calvaire à chaque rendez-vous chez le médecin.  A voir sur notre page Facebook, les images de notre enquête sur les lieux et écouter les témoignages des patients. 

Le dernier rapport de santé sur les cas cancéreux à Maurice remonte à 2014. 2387 cas ont été enregistrés pour cette année, une hausse de 280 cas comparés à l’année précédente. Or, cette maladie a provoqué 12,7% de décès chez les hommes et aussi bien chez les femmes. À savoir qu’en seulement six mois,  le cancer a tué en moyenne plus de 1000 personnes en 2014 uniquement. Et par rapport à 2013, les nouveaux cas enregistrés ont augmenté de 13% chez les hommes et de 1,4% chez les femmes. Mais depuis, aucun chiffre pour mieux cerner la situation actuelle n’est disponible au ministère de la Santé. Ce manque de chiffres même si la tendance est en hausse, fait peur. On se demande comment est-ce qu’à Maurice, les autorités concernées ne sont pas en possession de ces chiffres vitaux ?

 

Situation exaspérante au Centre d’Oncologie

Il est le seul sur le sol mauricien. Ce centre accueille au quotidien plusieurs personnes souffrant de diffèrent types de cancer. Mais pour ces patients, aller au rendez-vous est un véritable calvaire. Entre les longues heures d’attente et la lenteur du service, ils ne savent plus à quel saint se vouer, mais concèdent qu’ils n’ont pas le choix et doivent quand même aller à leur rendez-vous pour empêcher que leur état de santé ne s’aggrave, voire risquer la mort.

Nous nous sommes rendus sur les lieux en fin de semaine pour constater de visu et avoir les témoignages des patients eux-mêmes et nous sommes ressortis de Candos avec un mal de tête terrible.

 

Aires de stationnement complètement submergées

Il ne faut pas oublier que les patients qui fréquentent ce centre médical, viennent des quatre coins du pays.  Si certains préfèrent prendre le bus de chez eux pour se rendre à l’hôpital Victoria, d’autres qui sont dans un stade avancé de leur maladie doivent se rendre en voiture à leur rendez-vous. Il n’est un secret pour personne que l’hôpital Victoria n’est pas un hôpital spécialisé.  La présence de plusieurs unités médicales et le nombre de personnes qui visite cet établissement hospitalier fait que trouver une place pour se garer relève à trouver une aiguille dans une botte de foin.  Ce qui n’est pas pour faciliter la tâche aux patients cancéreux mais aussi à ceux souffrant d’autres maladies.

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Longues heures d’attente

« Implémentation d’un nouveau National Cancer Centre à Vacoas »

Nous arrivés à Candos vers 09h10, jeudi matin, et déjà la salle du Centre d’Oncologie est pleine à craquer.  En arrivant sur les lieux, c’est le chaos, et avec la chaleur qui commence à pointer le bout de son nez, la circulation humaine dans ce centre est dense. De loin, on arrive à entendre une infirmière qui appelle un à un les noms des patients. Les minutes passent et le nombre ne cesse d’augmenter.

Il est 9h30 quand nous rencontrons Fazila qui habite dans la capitale.  Cela fait quelques mois qu’elle a découvert qu’elle souffre d’un cancer. Fazila n’est pas au bout de ses peines car elle n’est qu’au début de son traitement, un traitement qui est généralement long.  Cette dame nous raconte alors comment se passent ses rendez-vous à l’hôpital Victoria : « Je dois être là très tôt le matin.  Aujourd’hui je suis arrivée à l’hôpital vers 8h30. Une heure après je suis toujours dans l’attente de passer devant le médecin. »  Quelques instants après, l’infirmière de service appelle le nom de Fazila qui se dirige dans une autre salle pour y être auscultée.

Pendant ce temps, nous avons continué notre enquête et nous avons rencontrés une infirmière. Cette dernière se montre rétissant mais finira par nous parlés après avoir été convaincu qu’elle ne risque rien.

«Nous avons un grave problème d’espace. Comme vous le voyez ce n’est pas une grande salle.  De plus il faut le reconnaître nous avons un grave problème dû au manque de personnel au Centre d’Oncologie. »  Cette thèse a été confirmée au Parlement, le 28 juin dernier, par le ministre de la Santé qui avait répondu à une question du député Bhagwan qui voulait savoir si effectivement il y a un manque de personnel dans ce centre. «Well this is an area, Mr Deputy Speaker, Sir, where we have a shortage of manpower ».

Les minutes défilent et l’attente est de plus en plus longue. Soudain notre attention est attirée par une dame qui quitte le Centre d’Oncologie. On l’aborde et elle nous raconte à son tour ce qu’elle vit : «Cela fait quelques mois que j’ai appris que j’ai un Cancer.  Je n’ai pas grand-chose à dire sur le traitement car mon état semble s’améliorer selon mon médecin. Mais c’est avec le service que j’ai un problème. On perd trop de temps et c’est stressant d’attendre des heures. » Caroline (prénom modifié) nous quitte et se dirige vers une autre salle située à quelques centaines de mètres du Centre d’Oncologie où elle va faire sa séance de chimiothérapie.

Comme Fazila et Caroline, Farouk nous fait le même constat. Fazila ressort finalement avec ses papiers en main. «J’ai eu les résultats de mes tests sanguins et le docteur m’a demandé que je dois continuer à faire mon traitement de chimio. »  On l’accompagne alors jusqu’à la salle où elle passera le reste de la journée. «Regarde l’heure il est 11h30. Je vais encore devoir patienter des heures et des heures encore pour pouvoir rentrer chez moi. Je suis une personne malade, je n’ai personne pour m’accompagner. Je vais finir vers 16h ou 16h30 cela dépend du nombre de personnes qu’il y a là-bas. » 

Apres quelques minutes de marche dans les entrailles de cet établissement hospitalier, nous arrivons enfin à la salle où plusieurs autres patients attendent pour leur séance de chimio.  Fazila est à bout de force : « Comme attendu, la salle est pleine. Allons attendre. »

Fazila, Caroline et Farouk ne sont que des exemples, quelques voix qui expriment leur désarroi. Mais ce n’est que le tip of the iceberg.  Comme eux, il y a bel et bien des centaines de patients qui souffrent non seulement de par leur maladie mais aussi puisqu’ils doivent faire face à un système malade.

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Des projets qui tardent à venir

Cela fait des années que les politiciens chantent la même chanson concernant le traitement des cancers à Maurice.  On va se baser sur quelques récentes déclarations des deux plus récents ministres de la Santé, à savoir Lormush Bundhoo et le ministre de la Santé actuel Anil Gayan.

En 2014, après la visite du professeur Khayat de l’hôpital Pitié-Salpêtrière de Paris, le ministre de la Santé d’alors avait annoncé la signature d’un accord entre son ministère et cet établissement français qui verra la mise en place d’un nouveau plan d’action basé sur les spécificités de contrôle du cancer dans l’île, la formation des oncologistes et infirmières à l’hôpital de Paris, le traitement des cas complexes et un soutien à La National Cancer Agency. En sus de cela, Lormush Bundhoo avait aussi annoncé en grande pompe la construction de deux centres pour le traitement du cancer : à Port-Louis et à Flacq.

Deux années plus tard, le ministre est parti et les projets aussi.

En début d’année, le ministre Gayan avait déclaré qu’un architecte spécialisé viendra de l’Inde pour la construction du « bunker » qui abritera les équipements radioactifs pour l’hôpital du cancer (NdlR, c’est l’ex-clinique Medpoint qui sera reconvertie en hôpital), sauf si les actions ont été entreprises en secret, on se demande pourquoi on n’entend rien sur les développements s’il y en a.

Se basant sur les déclarations du ministre, on comprendra que les projets à Maurice sont retardés à cause d’un manque de compétences locales.  Il a aussi dit qu’il y a du retard sur les travaux de l’hôpital du cancer puisque les procédures de «procurement » sont trop lourdes. Ce n’est pas tout. Le ministre de la Santé avait aussi dit en début d’année que le dernier budget allait contenir des provisions pour ces projets, mais RIEN.

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Paroles, paroles, paroles…

Ils ont fait des promesses depuis des années et continuent de plus belle.  Au Parlement le mardi 28 juin dernier, Anil Gayan a fait une liste de projets qui seront mis sur pied dans le but de combattre le cancer à l’île Maurice.  Dans cette liste, on y trouve l’adaptation d’une nouvelle législation pour adresser le problème du cancer, créer des stratégies visant à renforcer le programme de vaccination et les campagnes de sensibilisation, accorder une meilleure accommodation et des facilités de traitement aux patients. Et pour ne pas finir, l’implémentation d’un nouveau National Cancer Centre à Vacoas.

Dans l’attente de la réalisation de ces projets, la situation reste entière et le Centre d’Oncologie de Candos est un véritable cancer.

 

Dr Satish Boolell : « Le cancer est le parent pauvre de la médicine à Maurice »

Choqué, le docteur Satish Boolell nous explique que le traitement du cancer à Maurice est  aux yeux de tous les patients, déplorable.  Tout le concept du traitement de cette maladie doit être  revu, c’est ce qu’il affirme en tant que médecin. Dans sa thèse, il ajoute aussi que les Mauriciens ont une image mortelle de ceux qui sont atteints de cancer. Précisant qu’il faudrait faire des campagnes de partage avec les citoyens, surtout en ce qui concerne  les services disponibles à l’hôpital Victoria et ceux dans des centres privés, car le cancer, dit-il, n’est plus  irrémédiable.  « Le cancer ne tue pas nécessairement ».

Il poursuit en pesant sur les mots suivants : inefficacité à l’hôpital et manque de soutien aux malades.  Les patients auraient préféré être chez eux avec l’appui de la famille qu’à ’hôpital où le service est à pointer du doigt, selon lui. Cependant, l’aide sociale a aussi été énumérée dans ses propos. « L’aide sociale pour les familles des  personnes cancéreuses n’est sous aucun registre, comment se fait-il ?, se demande-t-il. En d’autres mots, le système autour de cette politique reste reprochable.

« Mon fils est cancérologue en Australie et la politique d’information à ce sujet est toutefois meilleure qu’à Maurice », relate notre interlocuteur.  Il dit être conscient que notre petite île n’est pas aussi compétente que l’Europe, mais les  experts médicaux et spécialistes de chez nous devraient être plus avancés dans les études carcinologiques.  Il y a, certes, un gros manque de recherches dans ce milieu sensible, selon Dr Satish Boolell. « Le cancer est le parent pauvre de la médicine à Maurice ».

L’encadrement des ONG est aussi un point qui  inquiète l’ex médecin légiste. Il souligne que les ONG devraient avoir le soutien et la possibilité de venir en aide aux victimes. Le docteur explique que ces organisations sont des éventuels recours.