Complicité criminelle

Trois mois de cela, le Parlement était parti en vacances sur fond d’allégations de haute trahison visant le Premier ministre lui-même. Et ce mardi, c’est avec la queue entre les jambes que le gouvernement reprendra le chemin de l’hémicycle. Découillonné parce que ses tentatives d’acheter des députés de l’opposition pour renforcer sa majorité se sont soldées par un échec. Déculotté parce que le rapport de la magistrate Vidya Mungroo-Jugurnath suite à l’enquête judiciaire sur la mort de Soopramanien Kistnen met à nu le ‘money politics’ du MSM, l’incompétence de la police, la mauvaise gestion du pays et la corruption qui gangrène nos institutions. Ébranlé par les interminables scandales qui le secouent. Mais pourtant, c’est sans aucune vergogne que le gouvernement de Pravind Jugnauth s’agrippera toujours au pouvoir alors qu’il aurait dû ‘lev paké allé’ dès les premières révélations concernant les contrats et les achats scandaleux durant le premier confinement. La mauvaise gouvernance du MSM, parait-il, est bien plus tenace que la Covid-19 elle-même. Hélas !

Le rapport de la magistrate Vidya Mungroo-Jugurnath est éloquent. Non seulement démasque-t-il l’incompétence accablante de la police, mais il dévoile aussi sa probable complicité criminelle avec le pouvoir. Il est clair que les enquêteurs dans cette affaire étaient soit des bons à rien, soit ils ont cédé aux ordres venus d’en haut pour faire un cover-up dans l’affaire Kistnen. D’où leurs premières conclusions à l’effet qu’il s’agissait d’un suicide alors qu’il était évident, au vu des nombreuses pistes retrouvées sur place, qu’il concernait en fait un homicide. S’ils ont obéi à de quelconques instructions, cela ne relèverait pas moins d’une collusion exécrable entre le pouvoir et la police. D’autant qu’un ministre de la République, également colistier du Premier ministre, était concerné. Ce qui nous montre à quel point nos dirigeants et nos institutions sont pourris jusqu’à la moelle. Les trois circonstances citées par la magistrate Jugurnath pour expliquer les motifs qui peuvent être connectés à ce crime sont explicites et pointent tous vers la mauvaise gestion du gouvernement MSM de Pravind Jugnauth.

Primo, le rapport relève l’affaire de « constituency clerk » pour laquelle l’ex-ministre Yogida Sawmynaden percevait une allocation de Rs 15 000 alors que Simla Kistnen, l’épouse de l’ex-agent MSM, maintient n’avoir jamais occupé ce poste ou touché un seul sou de cet argent. Secundo, la magistrate cite les Kistnen Papers qui ont, selon elle, « brought to light some shocking information in relation to practices during the general elections ». Et tertio, la magistrate fait état de l’affaire « procurement » qui avait révélé l’existence d’un réseau lié au pouvoir, principalement l’ex-ministre Yogida Sawmynaden, pour s’enrichir sur le dos des contribuables pendant que la pandémie de Covid-19 affligeait déjà la population. Les caisses de la STC ont été saignées à blanc lors de cette opération « rempli pos » tandis qu’aujourd’hui encore, les automobilistes sont contraints de payer une taxe de Rs 2 sur chaque litre de carburant acheté pour renflouer ces mêmes caisses.

Yogida Sawmynaden mérite-t-il sa place au sein du Parlement après ce rapport accablant de la magistrate Jugurnath ? NON ! Pourtant, il est toujours actif aux côtés du Premier ministre dans sa circonscription. Ce dernier avait d’ailleurs soutenu que son ancien ministre était victime d’une cabale et qu’il lui faisait entièrement confiance, à la manière dont Ivan Collendavelloo avait pris fait et cause pour Alvarro Sobrinho. Pravind Jugnauth osera-t-il dire la même chose aujourd’hui après le rapport de la magistrate Jugurnath ? S’il le fait, cela indiquera qu’il n’a aucune décence morale. Mais l’on se demande en même temps comment il pourra contraindre Yogida Sawmynaden à la démission quand il est tout aussi à blâmer dans toute cette sordide affaire. En tant que Premier ministre, disposant ainsi de toutes les informations provenant des services de renseignement, comment pouvait-il ignorer ce qui se tramait derrière son dos par un membre de son cabinet ministériel ? Les mains et les pieds de Pravind Jugnauth ssemblent être liés, le rendant incapable d’agir…

Ceux qui jubilaient parce que le Dr Navin Ramgoolam a choisi de mettre un terme à sa pétition électorale au no. 10 pour des raisons tactiques devraient sans doute avoir honte aujourd’hui. Car l’ex-Premier ministre et leader du PTr a eu raison sur la toute la ligne en parlant d’élections truquées. C’est écrit noir sur blanc dans le rapport Jugurnath. « Upon perusal of these documents, it appears that if these documents are genuine, a number of offences may have been committed by the people named in these documents. Two very disturbing elements which emerged from these documents and the testimonies of witnesses are the registration of foreign nationals as voters in Constituency No. 8 against financial payment to secure votes and the money which was used as expenses during the campaign which may have exceeded the sum prescribed by law ». C’est là une gifle sonore que donne la magistrate à nul autre que le Premier ministre. Car qui dit circonscription no. 8 dit d’abord Pravind Jugnauth. Ainsi que ses deux colistiers, Yogida Sawmynaden et la ministre de l’Éducation, Leela Devi Dookun-Luchoomun.

Qui, au sein du gouvernement, pourra encore prétendre que les dernières élections étaient ‘free and fair’, sachant que le ‘recount’ au no. 19 avait également révélé des « glaring discrepancies », selon le jugement de la Cour suprême ? La magistrate Jugurnath recommande une enquête en profondeur pour déterminer s’il y a eu violations sous la « Representation of the People Act », la « Prevention of Corruption Act » et la « Financial Intelligence and Anti-Money Laundering Act » lors de la campagne électorale de 2019. Or, nous savons tous que ni la police ni l’ICAC ne sont aptes à diriger une telle enquête. D’ailleurs, tout ce que contient le rapport de la magistrate Jugurnath blâme directement Pravind Jugnauth. Car il est non seulement visé, en tant que ministre de l’Intérieur, par le « new level of incompetence » de la police, mais aussi par les pratiques corrompues au no. 8 pendant les dernières élections et les contrats alloués à travers l’« emergency procurement ».  Que nous reste-t-il donc à faire pour libérer notre pays du joug de la mafia et de la corruption, hormis d’accentuer la pression pour faire partir le gouvernement ?