Covilen Narsinghen : « Nous proposons une réflexion approfondie sur le droit de vote des Mauriciens de la diaspora »

  • « Il nous faut repenser l’économie mauricienne »
  • « Je crois en la vision holistique du Dr. Ramgoolam »

En séjour au pays, Covilen Narsinghen, président du ‘Mauritius Global Diaspora’ (MGD), est sur tous les fronts et de toutes les batailles. Il multiplie les rencontres, tantôt avec des Mauriciens de toutes les couches sociales, tantôt avec des dirigeants politiques. Le but : s’enquérir des préoccupations de ses compatriotes, tâter le pouls dans le pays, et finalement faire avancer certaines causes qui lui tiennent à cœur, dont le droit de vote des expatriés mauriciens. Il s’est livré à cœur ouvert avec nous…

Par Zahirah RADHA

Q : Vous êtes à la tête de la ‘Mauritius Global Diaspora’ depuis sa fondation en 2021 et de Mauradio, une webradio visant à connecter Maurice à sa diaspora. Qu’est-ce qui explique votre engagement personnel, et aussi celui de tous ceux qui vous soutiennent dans cette démarche ?

La ‘Mauritius Global Diaspora’ a été fondée à la suite d’une réflexion sur l’injustice dont a été victime notre démocratie en 2019. Cette entorse aux règles du système électoral avait provoqué une telle levée de boucliers au sein de la diaspora et à Maurice que l’inaction n’était pas une option. La mission principale de notre ONG était et reste la préservation de notre démocratie menacée de tout bord par des agents anti-démocratiques et désormais carrément mafieux. Quant à Mauradio, c’est une radio dont l’objectif est de faire circuler l’information et la culture entre Maurice et sa diaspora pour un enrichissement mutuel. Indépendante, elle n’est pour autant pas dépourvue de valeurs et se propose aussi d’offrir une voix aux Mauriciens dont les libertés et droits civiques prennent des coups chaque jour qui passe.

Q : Pensez-vous que la diaspora a son mot à dire concernant la gestion du pays, sachant que jusqu’ici les expatriés n’ont pas le droit de vote ?

Je pense que la réponse est évidente. Toute personne qui porte Maurice dans son cœur et qui connaît le pays assez intimement a pour devoir de contribuer au débat. Ce serait de la folie d’exclure des centaines de milliers de compatriotes du processus démocratique. Et au nom de quoi finalement ? Au contraire, il nous est important de comprendre les effets de la mondialisation sur les identités. Aujourd’hui, les Mauriciens qui quittent le pays sont d’une génération avec une forte identité nationale ou ce qu’on appelle le sens du mauricianisme. De plus, la technologie leur permet de s’informer en permanence de ce qui se passe au pays et de sa gestion. Ils visitent aussi le pays et contribuent en devises étrangères, sans compter les investissements et les milliards de roupies envoyés de l’étranger à leurs familles.

Dans cette logique, nous proposons en ce moment même une réflexion approfondie sur le droit de vote des expatriés mauriciens et bientôt, nous ferons circuler l’information sur les réseaux sociaux et dans la presse. D’ailleurs, j’aimerai rendre hommage à feu Loïc Ahnee qui nous a quitté récemment et qui était un soldat inlassable du droit de vote des Mauriciens de la diaspora.

Q : De quelle façon la diaspora mauricienne peut-elle contribuer au développement du pays ?

En plus de payer des impôts fonciers sur l’immobilier à Maurice, les Mauriciens vivant à l’étranger effectuent des transferts de fonds qui, selon les rapports de la Banque de Maurice, s’élèvent à au moins Rs 3 milliards par an. À cela s’ajoutent les transferts de fonds non-officiels sous forme de devises étrangères directement reversés aux familles restées au pays. Les citoyens vivant à l’étranger contribuent financièrement à l’économie locale (par l’envoi de fonds et les investissements immobiliers) et au bien-être des familles (par les dons directs). Il est indéniable qu’ils recherchent la prospérité de Maurice et qu’ils ne soutiendront pas des politiques contraires aux intérêts nationaux.

Il convient de noter que deux phénomènes renforcent le poids et l’importance de ces contributions financières : les Mauriciens vivant à l’étranger sont désormais en lice pour les postes les plus prisés et ne se limitent pas aux emplois subalternes réservés aux immigrés comme autrefois, augmentant ainsi leurs revenus potentiels. Simultanément, la classe travailleuse mauricienne, décimée par l’inflation, une économie en déclin et un climat des affaires qui s’est détérioré au cours de la dernière décennie, dépend de la diaspora pour vivre décemment.

Cette contribution ne se limite toutefois pas à des contributions matérielles. L’expérience, la sagesse et l’héritage de valeurs ne peuvent être sous-estimés, à tel point que certains pays comme la Chine, par exemple, valorisent ces citoyens « non-productifs » autant, sinon plus, que la main-d’œuvre productive. La diaspora, constituant une démographie qui a voyagé, éduquée et possédant une expérience internationale, injecte en permanence de nouvelles idées et de nouvelles expressions culturelles dans le paysage mauricien.

Les interactions de la diaspora et de la population locale ont définitivement influencé la culture, la langue, l’économie et bien sûr le débat démocratique avant les élections, car ils représentent une démographie qui comprend bien les systèmes démocratiques et électoraux, vivant eux-mêmes souvent dans des démocraties avancées. Ils apporteraient une nouvelle perspective sur les problèmes mauriciens en s’appuyant sur leur expérience à l’étranger et seraient plus intéressés à soutenir des idées politiques qui promeuvent la bonne gouvernance et une politique fondée sur des valeurs (inclusion, diversité, méritocratie, transparence, responsabilité) plutôt que de soutenir les candidats selon leur profil ethnique.

Permettre à la diaspora de voter mettrait aussi fin à la « mentalité insulaire » des partis politiques et les inciterait à rechercher des idées et des propositions auprès de personnes compétentes et qualifiées de la diaspora qui ont intérêt au développement harmonieux du pays.

Q : Avez-vous eu l’occasion de discuter du droit de vote de la diaspora mauricienne avec des dirigeants politiques que vous avez sans doute eu l’occasion de rencontrer durant votre visite à Maurice ?

Effectivement, nous avons discuté du droit de vote des Mauriciens de la diaspora et je suis très reconnaissant envers le Dr. Navin Ramgoolam pour son ouverture d’esprit et sa vision inclusive de la diaspora dans la destinée du pays. Paul Bérenger a été tout aussi réceptif, car du haut de son expérience, il mesure certainement l’enjeu dont il est question.

Q : Qu’est-ce qui explique votre présence à la marche pacifique tenue par les associations tamoules pour protester contre la décision gouvernementale de reprendre le terrain initialement alloué à Réduit Triangle pour la construction du CCT ?

Le bataille pour le terrain de Triangle Réduit continue. La MGD a été en fait l’un des premiers à tirer la sonnette d’alarme pour dénoncer une appropriation honteuse de terrains sur lesquels la culture mauricienne devait fleurir. Nous avions travaillé avec le leader de l’opposition d’alors pour dénoncer les actions du gouvernement. Nous avions aussi aidé à préparer la résistance sur le terrain avant que les hordes gouvernementales viennent chasser des citoyens dans leur bon droit. Ma participation à cette marche pacifique est donc une suite logique de mon action, en tant que lanceur d’alerte et organisateur. Ma position a été constante depuis le début et elle se résume en une phrase : Rann nou laterre. Ni plus ni moins.

Q : Vous avez également été présent ailleurs sur le terrain. Quel constat faites-vous de la situation actuelle dans le pays ?

La situation économique est catastrophique. Personnellement, ma visite au pays me coûte une fortune juste pour mes nécessités de base. Les chiffres ne mentent pas de toute façon. Les prix s’enflamment et Maurice commence à ressembler à ces pays où la richesse ostentatoire d’un quartier détonne par rapport à la misère noire qui règne dans le quartier d’à-côté. Outre les soucis économiques, je note une forte hausse de l’insécurité. Personne ne se sent à l’abri de toxicomanes ou mafieux qui maraudent après la tombée de la nuit. Ajouté à cela, l’impossibilité de fonder une entreprise ou de progresser professionnellement sans un bon nom de famille ou un bon carnet d’adresse. Ce n’est pas surprenant que tous les jeunes et moins jeunes qui peuvent se le permettre quitte le navire pour l’étranger.

La mauvaise gestion du pays se fait sentir dans la rue. Le peuple souffre et il est très en colère.

Q : Quelles sont les préoccupations majeures des Mauriciens, selon vous ?

Encore une fois, la situation économique est au plus bas. Il faut se méfier. Ces grosses cylindrées qui grondent fièrement dans nos villes, les villas huppés et les restaurants pleins à craquer ne sont pas des signes de prospérité nécessairement. Jetez un coup d’œil au niveau d’endettement des Mauriciens. La dette publique et privée a atteint des sommets inquiétants. Tous les leviers financiers pour faire durer le manège ont été épuisés. Bientôt le château de sable s’effondrera et la crise économique qui s’abattra risque d’être l’une des plus violentes qu’on ait connues. Attachez vos ceintures, la descente sera rude lorsque les Mauriciens réaliseront qu’une fois le MSM à court d’idées pour épater la galerie, celle-ci s’effondra sur nos têtes et beaucoup d’entre nous ne s’en remettront jamais.

Q : Quels engagements un éventuel gouvernement doit-il prendre, selon vous, pour changer l’orientation sociale, politique et économique du pays pour un avenir prospère ?

Je crois en la vision holistique du Dr. Ramgoolam. Récemment, nous avons discuté de l’extension du congé de maternité à un an pour toutes les Mauriciennes. Ce projet fait partie d’un éventail de solutions destinées justement à résoudre les problèmes majeurs auxquelles font face notre pays.

D’abord, je suis pour une révision de la Constitution afin d’ajuster notre démocratie aux besoins du 21e siècle. Certaines réformes constitutionnelles sont nécessaires pour redessiner un système électoral qui manque d’équilibre et de justice. Nous avons un gros souci, je pense, au niveau des infrastructures. L’île Maurice est congestionnée et les services de bases manquent. L’insécurité relève de la responsabilité – ou plutôt de l’irresponsabilité – du Premier ministre et ministre de l’Intérieur qui a perdu le contrôle des territoires de la République. La police, les agents et les membres du gouvernement sont désormais persona non grata dans certains quartiers qui ont souffert de leur négligence quasi criminelle.

La situation sociale est elle aussi désastreuse. Les Mauriciens veulent partir, ne fondent plus de famille et l’épidémie en ce qui concerne la santé mentale commence à peine. La situation économique finalement est en lambeaux. Il nous faut, je pense, repenser l’économie mauricienne. Je suis contre la politique néo-libérale du gouvernement qui graduellement vend Maurice à des individus ou entreprises infréquentables. La privatisation à outrance, même de nos plages aujourd’hui, est tout simplement inacceptable.