Criminalité : Quand la répression ne suffit plus

Forensic investigator working at a crime scene

En 2020, il y a  eu 35 homicides à Maurice, avec intention de tuer ou d’infliger des blessures graves. C’est quand même beaucoup pour un petit pays comme Maurice. Autre sujet d’inquiétude, les autres crimes impliquant la violence.

. Premièrement, y a-t-il une application rigoureuse des lois ? Si oui, est-ce que cela a un effet dissuasif ? Deuxièmement, est-ce que des services ou des soutiens psychologiques auraient permis d’empêcher certains crimes ? Et finalement, est-ce qu’un programme de réhabilitation aurait diminué le taux de récidive ?

Quelques crimes qui ont secoué le pays

  • En mai dernier, tout le pays a été choqué en apprenant que le corps d’un habitant de Cité Vallijee, Dany Sardes, 44 ans, avait été retrouvé dans un congélateur. Il n’avait pas donné de signe de vie depuis deux mois. C’est un dénommé Rajiv Sowambar, un habitant de Mahébourg, qui est passé aux aveux pour le meurtre de son ami, à cause d’une dispute pour une question d’argent. Il l’aurait roué des coups avant de l’agresser avec un marteau alors qu’il était sous l’influence de l’alcool. L’accusé a ensuite vendu les affaires de la victime.
  • Une Camerounaise, Anita Michelle Nguefack Espe Ropa, 36 ans, a avoué le meurtre de son époux, Rafal Topasz Ropa, un ressortissant polonais âgé de 49 ans. Selon cette femme, qui est aussi une mère de deux enfants âgés de neuf et de deux ans, elle a agi par légitime défense lorsqu’elle avait ôté la vie de l’homme. Selon ses dires, ce dernier la faisait souvent subir des sévices sexuels. Elle l’a donc poussé dans un escalier dans une tentative de se défendre, avant d’appeler sa nourrice à l’aide. C’est cette dernière qui a alerté la police.
  • Le pays avait encore été bouleversé quand les cadavres de deux femmes, Zahira Ramputh et Hema Coonjobeeharry, avaient été retrouvés dans un verger de letchis à Mare d’Albert. C’est un dénommé Umyad Ebrahim qui avait été interpellé dans cette affaire. Il aurait avoué avoir étranglé Hema Coonjobeeharry après une dispute, avant d’enterrer son corps. Par contre, le suspect a indiqué que Zahira Ramputh s’est suicidée et que par panique il aurait enterré le corps de cette dernière. Umyad Ebrahim attend toujours son procès.
  • Une dispute conjugale qui s’est terminée en drame mortel. Jyoti Dussoye, 32 ans, est retrouvée sans vie dans son lit, avec des blessures au visage. Son époux, Jeetendra Dussoye, soupçonné d’être le responsable derrière sa mort, est introuvable à ce jour malgré plusieurs recherches de la police. Selon des proches, le couple se disputait souvent. L’autopsie pratiquée sur la victime a attribué son décès à une strangulation. 
  • Tout récemment, Suresh Khoobloll, 73 ans, a trouvé la mort aux mains de son épouse, Danwantee Khoobloll, 60 ans, avec qui il a passé plus de 40 ans ensemble. Cette dernière, au début, avait fait croire aux limiers que la victime avait fait une chute. Mais durant son interrogatoire, la femme a confirmé qu’elle était l’agresseur de son époux. L’habitant de Mahébourg est décédé des suites d’une hémorragie crânienne. C’est une dispute qui a mal tourné entre le couple. La sexagénaire reste en détention policière.

Les homicides en chiffres

D’après le ‘Global Peace Index’ de 2021, pendant la période de 2019 à 2020, le pays n’a enregistré qu’une légère détérioration en ce qui concerne le taux de criminalité générale.

Le changement le plus important s’est produit par rapport aux homicides. L’index du taux d’homicides à Maurice est ainsi passé de 1,8 à 2,9 points pour 100 000 habitants, chiffre qui reflète certaines affaires récentes que le pays a connues.

   2019    2020
  Crimes    5.1  5.3
  Délits1    30.4  38.4
1Incluant les offenses liées à la drogue mais excluant les contraventions.

En 2020, 24 des 35 victimes d’homicide intentionnel étaient des hommes, ce qui constitue un pourcentage de 68,6 %. Onze des 35 victimes (soit un pourcentage de 31,4 %) ont été tuées dans le cadre familial, dont 7 (soit un pourcentage de 63,6 %) étaient liées à leurs agresseurs.

Les agressions en chiffres

Quelques 53,4 % des 9 035 victimes d’agressions enregistrées en 2020 étaient des hommes et plus de la moitié (51,5 %) étaient liées à leurs agresseurs.

Quelque 56,8 % des victimes ont été agressées dans le cadre familial.

30,4% ont été agressées dans des lieux publics tels que les zones commerciales, les rues et les plages publiques.

Les 12,8 % restantes ont été agressées dans des établissements d’enseignement et dans d’autres lieux (travail, hôpital, aéroport, concerts etc.).

En 2020, le nombre de condamnés a culminé dans la tranche d’âge des 22-25 ans par rapport à la tranche d’âge des 26-30 ans en 2019.

Les vols en chiffres

En ce qui concerne les cambriolages de nuit, pour la période de janvier à août 2020, il y a eu 498 cas et pour janvier à aout 2021, il y a eu 359 cas.

Pour les cambriolages commis de jour, 374 cas ont été enregistrés de janvier à août 2020 et 359 cas ont été enregistrés de janvier à août 2021.

Pour les ‘larceny with aggravating circumstances’, soient les vols avec des circonstances aggravantes, de janvier à août 2020, il y avait 209 cas et de janvier à août 2021, 140 cas.

Il y avait eu 190 cas de ‘larceny on public road’ de janvier à août 2020, contre 171 cas de janvier à août 2021.

Les condamnations prononcées

Sur les 3 345 condamnés emprisonnés en 2020, parmi les infractions commises, on retrouve le vol (27,7 %), le vol qualifié (20,6 %), le cambriolage (13,1 %), les délits en matière de drogue (7,4 %), les ‘Breaches of Protection Order’ (6,0 %) et les agressions (2,0 %).

(Source : Statistics Mauritius)

Il faudrait plus se pencher sur les facteurs psychosociaux

Ibrahim Koodoruth

Selon le sociologue Ibrahim Koodoruth, il y a plusieurs raisons sociales qui expliquent ces crimes.

Nombre de crimes sont liés à la dépendance aux substances telles que l’alcool ou la drogue. Il y a aussi bon nombre de crimes qui sont passionnels de nature et qui sont liés à l’infidélité, entre autres. Avec la détérioration du climat économique, il peut aussi y avoir un problème d’argent car plusieurs personnes ne peuvent pas joindre les deux bouts.

« Beaucoup de personnes qui commettent ces genres de crime demandent un encadrement et un soutien. Il y a beaucoup de personnes qui demandent une attention particulière, comme des conseils ou une aide sociale  », nous indique notre interlocuteur.

Le sociologue devait aussi ajouter que bon nombre de crimes ont été commis sous l’effet de la colère. Quand une personne est sous l’effet de la colère, elle n’a pas le temps de réfléchir aux conséquences de son acte, surtout aux conséquences légales. Pour lui, en général, ces personnes ne sont souvent pas dans un état normal et ne réfléchissent pas logiquement. « Une personne qui est dans un état lucide sait qu’il y a des lois, contrairement à une personne qui est dans état émotionnel et irrationnel et qui agit sans réfléchir », explique-t-il.

Le sociologue estime que dans plusieurs cas, il aurait fallu que le criminel en puissance ait un soutien psychologique ou tout simplement, quelqu’un à qui se confier. Ce ne sont pas les lois qui résoudront ce genre de problème mais plutôt un soutien psychologique au sein de la communauté selon notre interlocuteur.

Or, ce dernier trouve malheureux qu’aujourd’hui, nous vivons dans une société égoïste où chacun pense seulement pour soi et laisse les autres à leur sort, où ils auront de fortes chances de commettre l’irréparable.

Maurice a besoin d’une véritable politique de réhabilitation

Pour Ibrahim Koodoruth, il est malheureux que les personnes qui sortent de prison deviennent « deux fois pli pire » par rapport à ce qu’ils étaient auparavant. Il dénonce l’absence généralisée de toute politique de réhabilitation et de réinsertion des prisonniers a Maurice.

 « On s’attend à ce que dans notre système pénitencier, il y ait une politique de réhabilitation pour les personnes qui purgent leurs peines, par l’organisation de diverses activités et par la tenue de séances de thérapie, entre autres, afin de changer leur état d’esprit pour qu’ils ne récidivent  pas à leur sortie de prison », fait-il ressortir

Il plaide pour que le système pénitencier vienne avec un programme de réhabilitation et qu’il y ait un suivi des prisonniers à leur sortie de prison pour éviter qu’ils ne deviennent plus dangereux.

Pourquoi un détenu ne retient-il pas la leçon après un séjour en prison et pourquoi ne change-t-il pas de comportement ? Le sociologue nous explique que très souvent, il y a la perte des amis et l’éloignement avec les proches. Il y a aussi une stigmatisation qui met la personne à l’écart, ce qui peut entraîner ce dernier à récidiver. D’où l’importance d’une politique de réinsertion des prisonniers dans la société.

Qui plus est, quand un détenu rencontre d’autres détenus en prison, malheureusement il peut devenir encore pire. La prison peut être une véritable « université du crime », où les prisonniers, au contact d’autres prisonniers encore plus endurcis, deviennent encore plus dangereux.

 « Il est ainsi bien important de savoir où caser un prisonnier en prison », dit-il.

Les peines prévues par le Code pénal

Comme on peut le constater ci-dessous, le Code pénal fait provision de peines suffisamment sévères en ce qui concerne les homicides et les agressions.

Section 222 du Code pénal – Peine prévue pour le meurtre et infanticide

“Any person who is convicted of – (a) murder or murder of a newly born child, shall be sentenced to penal servitude for 45 years; (b) attempt at murder or attempt at murder of a newly born child, shall be liable to penal servitude for 45 years.”

Section 223 du Code pénal – Peine prévue pour les homicides autres que le meurtre

“Any person guilty of manslaughter preceding, accompanying or following another crime shall be liable to penal servitude for life. (2) Any person who attempts to commit manslaughter in the cases mentioned in this section shall be liable to penal servitude. (3) In every other case, a person guilty of manslaughter shall be liable to penal servitude for life or for a term not exceeding 20 years.”

Section 228 du Code pénal – Agression avec circonstances aggravantes

Tout individu qui, volontairement aura causé des blessures, porté des coups, ou commis toute autre violence ou voie de fait, s’il est résulté de ces actes de violence une maladie ou incapacité de travail personnel pendant plus de 20 jours, sera puni d’une peine d’emprisonnement et d’une amende n’excédant pas 100 000 roupies.

Lorsque par l’effet des violences exprimées à l’alinéa (1), la personne maltraitée aura eu un bras, une jambe, une cuisse cassée, aura perdu la vue, ou même l’usage d’un œil, le coupable sera puni de servitude pénale n’excédant pas 20 ans et d’une amende n’excédant pas Rs 100 000.

Si les coups portés ou les blessures faites volontairement mais sans l’intention de donner la mort, l’ont pourtant occasionné, le coupable sera puni de servitude pénale n’excédant pas 20 ans.

Section 229 du Code pénal – Agression préméditée

Where there has been premeditation or lying in wait, the punishment, if death has ensued, shall be penal servitude, and if death has not ensued, shall be penal servitude for a term not exceeding 10 years.

Section 230 Code penal – Agression

Lorsque les blessures, les coups ou autres violences ou voies de fait n’auront occasionné aucune maladie ni incapacité de travail comme mentionné dans la section 228, le coupable sera puni d’une peine d’emprisonnement qui ne pourra excéder 2 ans, et d’une amende qui n’excédera pas 50 000 roupies.

S’il y a eu préméditation ou guet-apens, le coupable sera puni d’une peine d’emprisonnement et d’une amende qui ne pourra excéder 100 000 roupies.

La sévérité des lois n’est pas remise en question

Pour l’avocat Shahzad Mungroo, en général, les lois sont assez sévères pour les crimes spécifiques dont les meurtres et le trafic de drogue, entre autres. « Le système est déjà en place pour que les tribunaux imposent une sentence assez sévère », selon l’homme de loi.

Ce dernier estime donc que les lois sont déjà en place pour les différents délits, mais au niveau de la réalité, c’est une tout autre affaire. « On peut imposer une loi plus sévère mais cela n’empêchera pas la commission de certains crimes, par exemple cela n’empêchera pas un mari violent d’agresser sa femme, », souligne-t-il. Le problème dépasse le cadre purement légal, fait-il ressortir.