Croissance de 9% en 2021 : Prévision surréaliste ?

Les analyses du ministre des Finances concernant une prétendue reprise économique continuent à faire des remous. Le Grand Argentier divague-t-il ? Ou souhaite-t-il simplement dorer la pilule ? En tout cas, il provoque l’ire des professionnels qui n’hésitent pas à « call his bluff ». L’économiste Kevin Teeroovengadum est un de ceux-là. Arguments à l’appui, ce dernier explique pourquoi la croissance ne pourra pas atteindre la barre de 9% l’année prochaine.

 

Croissance

Le taux de 5% plus réaliste que les 9% prévus par Padayachy

Alors que le ministre des Finances prévoit que la contraction économique pour 2020 sera de l’ordre de 13%, l’économiste Kevin Teeroovengadum estime, lui, qu’elle sera encore plus sévère, pouvant aller au-dessus de15% du PIB. Les incertitudes et le manque de visibilité au niveau international ainsi que la situation catastrophique dans laquelle se trouve le tourisme mauricien en seraient la cause. D’ailleurs, poursuit notre interlocuteur, même le FMI et l’OCDE ont reconnu que la reprise au niveau mondial risque de prendre plus de temps qu’ils avaient initialement prévu. Le manque de disponibilité des vaccins contre la Covid-19 et la guerre froide entre les États-Unis et la Chine n’arrangeant pas les choses, ce n’est donc qu’en 2022-2023 que cette reprise globale pourrait pointer le bout de son nez. Ce qui aura certainement un impact sur l’économie mauricienne.

Quant à la prévision d’une croissance de 9% pour l’année prochaine, Kevin Teeroovengadum trouve tout à fait « logique » qu’une croissance devrait succéder à la contraction enregistrée cette année-ci. Il estime cependant qu’elle sera inférieure aux 9% prévus par Renganaden Padayachy. « Il ne faut pas oublier que la Covid-19 sera toujours dans les parages en 2021 et que notre tourisme, qui est un des piliers clés de notre économie, en pâtira encore. On estime d’ailleurs que le nombre de touristes qu’on aura l’année prochaine pourrait potentiellement être le même que celui que le pays accueillait en 1995. Notre économie sera donc impactée », poursuit notre interlocuteur. Tout compte fait, la croissance la plus réaliste que le pays pourra réaliser l’année prochaine tournera autour de 5%, avance-t-il.

L’économiste se veut prudent. « Au lieu de débattre sur le pourcentage de la croissance qui est un faux débat, ce serait plus logique de se focaliser sur le type de croissance qu’on va générer. C’est la qualité de la croissance qui est importante et non pas la quantité », insiste Kevin Teeroovengadum. « J’aurai préféré que le gouvernement investisse dans l’agriculture et la technologie au lieu des projets d’éléphants blancs. Le béton n’apportera pas grand-chose dans ce nouveau paradigme. Il faut ainsi s’assurer qu’on ait un retour sur investissements », poursuit-il. Il faut aussi garder en tête le fait que le pays, les sociétés du secteur privé et même beaucoup de Mauriciens seront encore plus endettés après la crise provoquée par la Covid-19. « Même avec une croissance, on aura un lourd fardeau en termes de dettes qu’on sera obligé de trimbaler pendant une très longue période, voire une décennie et une raison de plus pourquoi on a besoin des investissements qui vont créer de la valeur réelle », prévient-il.

Tourisme

La situation envenimée par l’absence d’une stratégie efficiente

Le tourisme n’est pas sorti de l’auberge malgré l’ouverture de nos frontières. Le marché français, qui constitue une grosse part de notre marché touristique, sera considérablement affecté, surtout avec les nouvelles mesures imposées par le gouvernement d’Emmanuel Macron. Certains hôtels ont déjà été mis en mode ‘mothball’ pour une période d’une année au minimum, alors que d’autres se sont convertis en centres de quarantaine ou se sont ouverts aux Mauriciens. Néanmoins, le marché domestique est loin de faire le poids et ne pourra à lui seul, ou presque, renverser la vapeur. En l’absence d’une stratégie efficace et efficiente pour relancer le tourisme, ce n’est qu’en 2023 qu’on pourra enfin voir les hôtels opérer normalement. Ce qui est dommage, se désole Kevin Teeroovengadum qui pense que le gouvernement aurait dû suivre l’exemple des Seychelles qui a mis en place une « very smart cohesive strategy » avec un rebranding hyper innovant ayant pour slogan « Experience Seychelles : Our home, your sanctuary », un protocole d’accueil qui ne donne pas l’impression d’encloisonner les touristes, et une ouverture des frontières depuis le début d’août. Grâce à l’efficacité de celle-ci, les  Seychelles ont pu, en septembre de cette année, récolter plus de 50% des revenus qu’ils avaient encaissés à la même période l’année dernière et la plupart des lignes aériennes reviennent très rapidement sur Mahé.

L’économiste est d’avis qu’un ‘professional rebranding’ de notre destination, couplé d’un protocole smart et efficient et d’une clientèle sélective aurait pu nous permettre de garder la tête hors de l’eau. « On aurait pu cibler des touristes étrangers, tels que des Français, qui sont en situation de pré-retraite et retraite pour séjourner pendant six mois ou plus. Ce qui leur aurait permis de fuir la Covid-19 et l’hiver dans leurs pays tout en profitant du soleil mauricien. Cette mesure aurait d’ailleurs été en parfaite symbiose avec la « silver economy » que prônait le gouvernement depuis plusieurs années », renchérit-il. Ce qui le pousse à conclure qu’on a raté une occasion en or de présenter un produit unique, non seulement dans l’océan indien mais aussi à travers le monde.

 

Liste noire de l’UE

Les investissements en chute

Certes, l’inclusion de Maurice sur la liste noire de l’Union Européenne n’est guère réjouissante. Mais heureusement pour nous, cette situation pourrait presque passer inaperçue en raison de la forte prévalence de la Covid-19 à travers le monde, ironise Kevin Teeroovengadum. Il prévoit que le pays pourrait s’en sortir d’ici Juillet 2021 si les mesures appropriées sont prises à temps. Certaines institutions, note-t-il, ont déjà pris les taureaux par les cornes et ont commencé un exercice de « nettoyage » tant attendu. Mais entretemps, on devra composer avec les conséquences provoquées par cette situation inédite. D’abord, les investissements, surtout ceux de l’Europe, seront affectés car il y certaines institutions européennes qui ne peuvent pas ‘deal’ un pays qui est sur la liste noire. D’ores et déjà, d’autres effets se font ressortir car Maurice ne peut pas tirer bénéfice de la GIFT City de l’Inde. « Notre part de marché sur l’Inde est en train d’être grignoté par d’autres pays tels que les îles Cayman, la Hollande, et le Singapour », observe l’économiste. Ce qui n’augure rien de bon pour notre économie.