Cry, beloved Motherland

Le Champ-de-Mars sera tristement désert en ce 12 mars 2023. Pas uniquement parce que le ‘Mauritius Turf Club’ (MTC) a été contraint de baisser les rideaux après 200 ans d’histoire de courses hippiques à cause d’une politique accapareuse et de copinage au sommet du gouvernement. Mais aussi et surtout parce qu’il ne vibrera pas au chant de l’hymne national au moment où nous célébrons les 55 ans de l’Indépendance, aujourd’hui. Le Champ-de-Mars, où le drapeau mauricien avait été hissé pour la toute première fois le 12 mars 1968, ne sera pas drapé aux couleurs de notre quadricolore alors qu’il a traditionnellement accueilli les célébrations officielles et protocolaires pendant plus d’un demi-siècle. C’est tout un symbole, voire même tout un pan de notre histoire, qui s’efface. Lentement mais surement. Et probablement délibérément.

Ce n’est que le jeudi 9 mars, soit trois jours avant l’Indépendance, qu’on a appris, après que le Conseil des ministres se soit exceptionnellement réuni ce jour-là, que la cérémonie du lever du drapeau aura lieu à la State House en ce dimanche, et ce en l’absence d’un invité officiel. On ne peut que se demander si ce manque d’égard pour une date si importante pour l’histoire de notre pays n’a pas un but précis : celui de censurer l’histoire du pays, en faisant abstraction de l’apport monumental de Sir Seewoosagur Ramgoolam pour l’obtention de notre indépendance en 1968. La question se pose puisque depuis un certain temps, les communiqués officiels du gouvernement, et même les reportages de la MBC, font mention, par exemple, de « l’aéroport de Plaisance » et du « jardin botanique de Pamplemousses » au lieu de « SSR International Airport » et de « SSR Botanical Garden » respectivement. Une façon somme toute très subtile de gommer le nom de SSR, et d’estomper l’histoire du pays.  

Et dire que nous nous indignons devant le manque, ou l’absence, de patriotisme de nos enfants. À qui la faute si on ne réagit pas quand il le faut ? Notre société est aujourd’hui à la dérive. En atteste la chanson honnie entonnée par un groupe d’élèves du collège Royal de Curepipe. L’ancien vice-Président Raouf Bundhun a raison de dire qu’il n’y a plus de « one people, one nation ». Notre société est plus que jamais fragmentée et divisée. La conséquence d’une politique divisionniste et communaliste prônée par le gouvernement MSM, avec le soutien de certains groupes extrémistes. Même les paroles « in peace, justice and liberty » sonnent désormais faux. Notre quiétude et notre sécurité sont plus que jamais menacées par l’insécurité grandissante, les vols, les crimes, la drogue, la corruption, le blanchiment d’argent. La justice et la méritocratie ne font plus que pâle figure devant le népotisme, la discrimination et le favoritisme, fut-il pour les recrutements dans le service civil, les nominations à des postes clés ou dans l’octroi des contrats publics. Nos libertés, qu’elles soient d’expression ou de mouvement, ne tiennent plus qu’à un fil, les lois régressives et la police répressive étant mises à contribution pour sanctionner toute forme de contestation.

De jour en jour, nous glissons dangereusement vers une autocratie. Le récent rapport de V-Dem cite d’ailleurs Maurice parmi les douze pays autocratiques, aux côtés de Bénin, Botswana, Burkina Faso, Burundi, Tchad, Comores, Ghana, Côte d’Ivoire, Mali, Mozambique et Ouganda. « Democracy seems to hang on by a thread in Mauritius », souligne le rapport rendu public cette semaine. Maurice y est cité comme faisant partie des pays où la censure de la presse s’est aggravée durant ces dix dernières années. « Mauritius – once hailed as the only liberal democracy in Sub-Saharan Africa – recently introduced several regulations that restrict the work of broadcasting companies and journalists », note V-Dem. Pour rappel, c’est pour la troisième année consécutive que cette institution nous a placé sur une liste rouge en termes de démocratie. Mais le gouvernement s’en moque visiblement.

Le constat est dur en ce 12 mars. 55 ans après l’Indépendance, le pays fait face à d’énormes défis, tant sur le plan démocratique qu’économique et social. Il est paralysé par une crise institutionnelle où le Premier ministre est lui-même le premier fautif, irrespectueux qu’il est envers la séparation des pouvoirs, comme le démontre ses attaques à peine voilées contre le DPP. Notre pays est asphyxié par une économie parallèle caractérisée par la corruption, le blanchiment d’argent et le trafic de drogue, comme en témoigne l’affaire Franklin. Le pays est à genoux. La population souffre atrocement. Cry, beloved Motherland.