Dawood Rawat : « Anerood m’avait convoqué au Réduit pour me demander de racheter Medpoint »

 

  • « Cet édifice a ébranlé un ordre économique établi, bousculé des pratiques qui datent du 17ème siècle. C’est cela mon crime […] Le fait que je porte le nom de Rawat et que ma famille soit originaire du Gujerat ne me donnent pas la légitimité de m’aventurer dans certains secteurs de l’économie »

 

  • « Il y a d’abord le MSM d’Anerood et puis celui de son fils. Je me souviens des fois où le père disait que les contributions devaient lui parvenir et non à son fils »

 

  • « Je n’ai jamais nié être ‘un’ des amis de Ramgoolam. Cette amitié est un héritage familial. Cette amitié n’a jamais influencé mes affaires. Cette amitié, je l’ai payé cher. Cette amitié, je l’assume »

 

C’est par le biais d’une vidéo retransmise en direct sur Facebook en début de semaine que Dawood Rawat a choisi de rompre le silence afin de donner enfin sa part de vérité. Une position qui soulève pourtant plusieurs interrogations, surtout à l’approche des prochains législatives. Dans cet entretien exclusif que le Chairman Emeritus du groupe BAI nous a accordé, il s’explique sur ses motifs et dit certaines vérités qui risquent de froisser quelques-uns…

Zahirah RADHA

 

Q : Pourquoi avez-vous attendu jusqu’à la fin du mandat du gouvernement pour révéler votre part de vérité sur toute l’affaire BAI ?

Depuis que je me suis adressé directement à la population, cette question ne cesse de revenir et j’ai constaté des commentaires très désobligeants, voir absurdes sur les réseaux sociaux. Est-ce que les gens qui continuent à me vilipender se rendent compte que depuis le 3 avril 2015, on m’accuse de tous les péchés d’Israël alors qu’il n’y a que quelque semaines, en réponse à une question au Parlement, on a appris qu’aucune charge n’a pu être retenue contre ma personne ainsi que tous ceux qui ont été inquiétés dans le sillage de cette affaire ?

J’ai  maintenu le silence tout au long de ce périple inhumain, laissant la liberté absolue au gouvernement d’enquêter comme bon lui semble. N’oublions pas qu’une armada d’experts issus du privé aussi bien que du secteur public se sont attelés afin de démontrer une quelconque culpabilité. Rendez-vous à l’évidence que toutes les grosses pontes, que ce soit du PricewaterhouseCoopers (PwC), EY ou BDO, ont toutes été sollicitées dans cette affaire. Ces mêmes gens qui ont torturé ma famille, qui m’ont dépouillé de mon labeur, gommé 50 ans de ma vie et qui se sont permis de me calomnier, viennent maintenant avouer qu’il n’y a aucune charge contre nous. Comprenez que leurs enquêtes, leur justice, toute la batterie de ressources dont ils disposent, n’ont pas pu établir les charges qu’ils ont fomentées contre moi.

Il est maintenant de mon devoir de réagir. Cela quel que soit les circonstances, élections ou pas.  Ce n’est pas moi qui ai choisi ce moment. À vrai dire, même le timing de ma réaction a été décidé par ce gouvernement. Il faut donc arrêter de  délirer !

Q : Mais votre décision a-t-elle été guidée par une quelconque motivation politique ?

Je suis victime d’une machination politique. L’ensemble de la BAI a été victime d’un génocide économique qui dure depuis des décennies. Croyez-moi, c’est loin d’être fini. Je n’ai jamais nié être ‘un’ des amis de Ramgoolam. Cette amitié est un héritage familial. Cette amitié n’a jamais influencé mes affaires. Cette amitié, je l’ai payé cher. Cette amitié, je l’assume. Durant toute ma carrière, je me suis tenu à l’écart de la politique et ce n’est pas aujourd’hui que je vais rompre avec cette philosophie. Je me bats pour la seule et unique vérité. Je me bats pour que la justice triomphe enfin. Je me bats pour toutes ces personnes qui m’ont accompagné au cours de ces 50 ans dans la construction d’un édifice parti d’absolument rien.

Cet édifice a ébranlé un ordre économique établi, bousculé des pratiques qui datent du 17ème siècle. C’est cela mon crime. Voilà de quoi je suis coupable.  Selon l’ordre établi, le fait que je porte le nom de Rawat et que ma famille soit originaire du Gujerat ne me donnent pas la légitimité de m’aventurer dans certains secteurs de l’économie. Selon la vision de certains, j’aurai été parfait au comptoir d’une mercerie à la rue La Corderie. Cette guerre est avant toute chose une guerre pour des droits fondamentaux, dont celui d’exister.  Ce serait donc trop simpliste de résumer ma prise de position à une quelconque motivation politique.

Q : Mais savez-vous pourquoi vous avez été ciblé en premier lieu alors que avez financé le MSM à coup de millions de roupies aux dernières élections ?

Il ne faut pas oublier le constat fait par l’homme de l’ombre des Jugnauths, Sattar Hajee Abdoullah, qui m’a fait comprendre que le MSM est un monstre à deux têtes. Il y a d’abord le MSM d’Anerood et puis celui de son fils. Je me souviens des fois où le père disait que les contributions devaient lui parvenir et non à son fils. Je crois qu’il faut aussi dissiper les amalgames ou mauvaises interprétations autour des contributions aux partis politiques. Il n’y a personne que je connais issu du milieu privé non traditionnel qui va verser son argent durement gagné aux politiciens. Ce sont toujours les partis et leurs dirigeants qui provoquent  cette générosité forcée. Dans un monde civilisé on qualifierait cela comme de « l’extorsion ».

Dans le cas de la BAI, les choses ne se sont pas passées comme le font croire des articles de presse ou les divagations de certains. Durant la période de 2010, des cadres au sein du management tissaient leurs relations avec les politiciens à coups de contributions. Je dois dire que c’était bien après que j’ai su que la compagnie avait contribué la totalité de Rs 19 millions aux coffres du Sun Trust. Cette somme avait été échelonnée en plusieurs tranches selon les limites autorisées par les signataires. Je le dis haut et fort qu’a aucun moment je n’ai donné des instructions ou autorisé ces transferts.

Par contre, je suis au courant des sommes remises à Soodhun régulièrement. Et ce jusqu’en juin 2014. Je me souviens, une fois, il m’avait demandé s’il pouvait prendre Rs 250 000  de la somme qu’il était venu récupérer. J’avais répondu que cela relevait de la prérogative de son leader, à qui cette somme était destinée. Je ne pouvais me douter qu’il allait remettre uniquement Rs 250 000 à Anerood et garder le reste pour lui. Quand je raconte que je ne m’ingère jamais dans la gestion du quotidien de l’entreprise, les Mauriciens peinent à le croire. Pourtant c’est la vérité. J’avais recruté des hommes et des femmes qui sont les plus compétents à travers le monde pour gérer les affaires de la compagnie. C’est justement pour cette raison qu’aucune charge n’a été retenue contre eux et que plusieurs sont toujours en poste.

Pour en revenir à l’essentiel de votre question, il faut réaliser que les élections  coutent des milliards de roupies. Donc, même en assumant que la BAI avait financé certains partis à coup de quelques millions de roupies, d’où provient le reste du montant ? J’ai entendu dire que M. Lindsay Rivière, l’homme de PWC, a chiffré les dépenses que les partis politiques devront décaisser lors des prochaines élections à plus de deux milliards de roupies. Maintenant que la BAI a été exterminée, comment expliquer la source de cet argent ? Il faut cesser de faire l’autruche. Ce qui c’est passé en 2014, c’est simple. Suivant mon refus et mon incapacité de me plier à leurs revendications, ils ont dû se rabattre sur la proposition des puissants du pays, qui en retour, ont réclamé ma tête.

Q : Sentez-vous que vos proches et vous-même êtes maintenant à l’abri des attaques de part et d’autre, d’où les révélations promises ?

Je profite de cette occasion pour expliquer une fois de plus ce choix de rester en France. Bien que j’aie construit un hôpital  de renom au service de mon pays, en 2015, sur les conseils de mes médecins, j’ai dû me rendre en Europe pour une intervention très délicate. D’ailleurs, au moment de l’attaque sur la BAI, j’étais toujours en traitement, avec même pas un tiers de mes moyens. C’est sur le conseil de mes avocats, de la famille et surtout à contrecœur que je mène une vie d’exilé en France. Tout au long du mois d’avril 2015, les conditions étaient réunies pour m’achever.

Si j’ai tenu bon, c’est parce que la flamme qui m’anime, c’est celle de la vérité. Je ne souhaite à personne de vivre ce que ma famille a traversé. Mais rendons-nous à l’évidence que personne n’est en sécurité. Même pas vous. À ce jour, il n’y a aucune charge inscrite ou retenue contre ma personne et pourtant je suis fiché par l’Interpol à la demande du gouvernement mauricien. C’est Pravind Jugnauth, Premier ministre de la république de l’île Maurice, l’homme le mieux renseigné  lui-même, qui est venu dire que les institutions ont été accaparées par la mafia. Personne n’a cru bon de lui demander des détails, ni lui en tant que juriste n’a songé à porter plainte. Pourtant, on  s’acharne contre moi uniquement parce que j’ai marché sur le gazon dont certains clament être les seuls propriétaires.

Q : En quoi exactement consistent ces preuves que vous dîtes détenir ?

La première révélation vient de SAJ lui-même et cela au Parlement. Je constate d’ailleurs que les médias qui ont été partie prenante de cette meute de lynchage depuis 2015, ont été très timides. Quant aux autres révélations, ce sont des informations qui sont visibles au cerveau éclairé. Je vais décortiquer les attaques et souligner le rôle de chacun dans toute cette affaire. C’est une histoire de tyrans, de trahisons et de vautours. Je compte aussi raconter des apartés. Par exemple, si je vous disais qu’alors qu’il était président de la République, Anerood m’avait convoqué au Réduit pour me demander de racheter Medpoint. C’était juste au moment où je m’embarquais dans la construction de l’hôpital Apollo. Dommage que personne ne s’est attardé sur les actionnaires d’Omega Ark. Ne voyez-vous pas bizarre que l’unique conférence de presse de cette société pour annoncer la reprise d’Apollo avait été tenue dans le boardroom du ministère des Finances ?

Q : Que comptez-vous faire une fois que vous les aurez révélées publiquement ?

Ce que vous qualifiez de révélations sont ce que moi j’appelle un rétablissement des faits. C’est une action publique ou encore un exercice de communication visant à apporter ma version des faits. Les moyens dont je dispose ne sont pas comparables au fanfare et la machinerie fasciste de ce gouvernement. Le combat pour la vérité et ma demande de réparation au nom de toutes les victimes est une action légale. Ce qui implique une longue procédure devant les instances judiciaires. J’aurai tant voulu qu’une commission d’enquête soit instituée pour tirer cette affaire au clair. D’où l’importance de s’interroger sur « qui a peur d’une commission d’enquête ? ».

Q : Roshi Badhain a accusé Vishnu Lutchmeenaraidoo d’avoir orchestré la révocation du permis de la Bramer Bank. Êtes vous surpris par la façon dont ce dernier a démissionné du gouvernement sans donner la moindre explication que soit surtout sur la BAI ?

Il y a autant de questions qu’il faut poser sur Lutchmeenaraidoo qui a participé à toute cette orchestration, ayant admis lui-même qu’il pourchassait la BAI depuis 2010. La plus grande question aujourd’hui c’est pourquoi personne, que ce soit la presse, le gouvernement ou autres autorités compétentes, n’a posé de questions sur les biens accumulés par Vishnu Lutchmeenaraidoo. Ce n’est guère surprenant pourquoi Bérenger l’a surnommé Rasoir.

Q : What next ?

Il faut d’abord situer les torts et évaluer l’ampleur des dégâts. Notre bataille se poursuit…