Démocratie bafouée

Irrégularités, il y en a bel et bien eu aux dernières élections générales tenues il y a plus de deux ans de cela. Ce ne sont plus que de simples allégations formulées par des mauvais perdants, comme Lakwizinn et ses ‘chatwas’ tentaient désespérément de le faire croire. Désormais, c’est la Cour suprême elle-même qui en fait état à travers le verdict livré et signé par les juges Narain et Mootoo, vendredi. Ceux-ci ont ordonné un nouveau décompte au no. 19 compte tenu, entre autres, des « glaring and unexplained discrepancies in the Recapitulation of Votes form that are on record and point prima facie to mistakes in the counting process ».

Ces irrégularités, il faut le souligner, ont été révélées de façon fortuite, poussant les juges à trancher en faveur d’un ‘recount’ pour faire respecter le processus démocratique bien que le ‘recapitulative sheet’ ne figurait techniquement pas dans la pétition électorale de Jenny Adebiro, dont les avocats n’avaient pas eu accès à ce document initialement. Si ces anomalies arithmétiques n’avaient pas été étalées au grand jour, le manque honteux de professionnalisme de la Commission électorale et de l’« Electoral Supervisory Commission » (ESC) aurait été sciemment dissimulé, comme on cache la poussière sous le tapis. Quoique l’indépendance, l’intégrité et la crédibilité de ces instances en avaient déjà pris un coup depuis leurs explications inénarrables sur le T-square.

Quel que soit l’issue de ce nouveau décompte au no. 19, que celui-ci soit favorable à l’Opposition ou pas, il n’en demeure pas moins que la démocratie a été bafouée. Puisque le vœu de l’électorat de Stanley/ Rose-Hill n’a pas été traduit en réalité. Et ce, pendant plus de deux ans. Par la faute d’un ‘Returning Officer’ irresponsable qui a comptabilisé plus de bulletins qu’il y en avait officiellement. Au nez et à la barbe de la Commission électorale et l’ESC. Honteux ! Le Commissaire électoral Irfan Rahman, grassement payé des deniers publics, a certainement des comptes à rendre. Il relève de sa responsabilité d’assurer que les élections se déroulent dans les meilleures conditions et qu’en cas d’anomalies, de les rapporter dans les plus brefs délais pour ne pas fausser le processus démocratique. Or, il a failli lamentablement dans son rôle aux dernières élections. Démissionnera-t-il de son poste ou s’agrippera-t-il à son siège comme on en voit souvent dans les rangs du gouvernement ?

Et si ces anomalies flagrantes ne relevaient pas que d’un cas exceptionnel ? S’il ne s’agissait pas que d’une « erreur », mais bien d’une fraude ? Le gouvernement a-t-il été élu sur la base d’élections « mardayes », comme l’a clamé l’Opposition dès le départ ? Les doutes sont plus que jamais permis et prennent même tout leur sens eu égard aux bulletins de vote qui erraient dans la nature, les morts qui se sont miraculeusement rendus aux urnes pour accomplir leur devoir civique et les Bangladais qui ont été autorisés à voter au grand dam de la diaspora mauricienne. Il est évident, aujourd’hui encore plus qu’hier, que les dernières élections n’ont pas été « free and fair ». N’empêche que le gouvernement, en dépit de ces secousses et bien d’autres encore, poursuit son petit bonhomme de chemin, ayant déjà arrivé à mi-mandat.

Un nouveau ‘counting’ au no.19 pourrait toutefois le débalancer. D’autant que c’est le siège du leader d’un partenaire de l’alliance gouvernementale qui est en jeu. Les choses se compliquent donc pour Ivan Collendavelloo qui se voit de nouveau assaillir par le sort, après avoir perdu sa place de ‘Deputy Prime Minister’ dans le sillage de l’affaire St-Louis qui traîne toujours, comme les autres cas où sont impliqués des proches du pouvoir. À sa sortie de la Cour vendredi, le leader du ML, qui a d’habitude la parole facile, a été très avare de commentaires, avant de se ressaisir et de déclarer sur les ondes d’une radio privée que ceux qui ont fauté doivent en assumer les conséquences. Vise-t-il la Commission électorale, l’ESC ou quelqu’un d’autre ? En tout cas, « dal pas pou cuit », semble-t-il encore prévenir.

Entretemps, en dépit du cyclone qui s’abat sur l’Hôtel du gouvernement, le Premier ministre, lui, prétend toujours que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Après avoir soigneusement laissé le soin à Bhojraj Ghoorbin d’annoncer la non-tenue du pèlerinage vers Grand-Bassin cette année, une tactique savamment orchestrée pour ne pas s’attirer personnellement les foudres de ses coreligionnaires, il continue à courtiser la communauté majoritaire en lui brandissant la carotte … Modi !

En effet, après avoir virtuellement accueilli son homologue indien pour l’inauguration d’au moins quatre projets cette semaine, Pravind Jugnauth lui a lancé une nouvelle invitation à une autre cérémonie « coupe ruban », celle du Metro Express, prévue pour la fin de cette année. Une stratégie bien calculée visant à démontrer sa proximité avec ‘Bharat Mata’, dans le but de titiller l’électorat hindou qu’il souhaite à tout prix maintenir sous ses ailes, avec l’appui prononcé de Dulthumun, Ghoorbin et consorts. Car, sans le soutien de cet important électorat, Pravind Jugnauth est politiquement mort.

Pravind Jugnauth a d’ailleurs obtenu auprès du gouvernement indien une extension de sa ligne de crédit pour le Metro Express, projet dont il était résolument contre avant les élections de 2014 et dans le sillage duquel il avait même enjoint Narendra Modi, à travers une correspondance datée du 28 octobre 2014, de ne pas discuter avec le gouvernement de Navin Ramgoolam pendant la campagne électorale. Alors que les économistes s’accordent à dire que les travaux du Metro Express devraient être mis « on hold » en attendant que l’économie reprenne, le Premier ministre ne fait encore qu’à sa tête et continue d’endetter le pays pour des projets qui ne sont nullement prioritaires.

Il faudra aussi surveiller comment les Rs 400 millions que l’Inde nous a également accordé pour des projets dans les domaines de la santé et de l’éducation seront utilisées. Seront-elles dilapidées sur des contrats scandaleux comme on en a encore vu récemment dans l’affaire Molnupiravir ? Ou seront-elles utilisées à bon escient pour moderniser, équiper et renforcer les ressources et les capacités de nos services de santé pour pallier aux manquements dont on a fait l’amère expérience en pleine pandémie ? Verra-t-on enfin la mise en place d’un système fiable d’enseignement en ligne à l’instar de l’ePathshala pour ne plus pénaliser l’éducation de nos enfants ?

Quand un gouvernement endette ainsi le pays, il doit être tenu « accountable » de l’utilisation qu’il en fait. On ose espérer que le Premier ministre, qui avait plaidé l’ignorance dans l’affaire Molnupiravir, veillera au grain et que ces fonds ne seront pas jetés par la fenêtre pour enrichir des « chatwas » qui « pas met deluile dan zorey » alors que la population continue de souffrir de l’inflation et de la hausse vertigineuse du coût de la vie provoquées, entre autres, par la dépréciation de la roupie pour convenir à la Banque de Maurice qui a consenti à ce que ses réserves soient dévalisées pour renflouer les caisses de l’État.

Décidément, on en a tout vu depuis le début de cette nouvelle année. Que ce soit sur le plan politique ou économique. Et dire qu’il nous reste encore onze mois avant que 2022 ne tire à sa fin. Et qu’il y a théoriquement encore plus de deux ans avant les prochaines élections générales.