Déportation des travailleurs migrants sans papier

À qui la faute ?

Tout le long de l’année, plusieurs travailleurs étrangers doivent retourner dans leurs pays, déportés par les autorités mauriciennes, pour diverses raisons. La raison principale étant le fait qu’ils travaillent sans papier, un acte illégal, non seulement à Maurice mais dans la plupart d’autres pays. Au-delà de la déportation, les travailleurs subissent également une humiliation incroyable, alors qu’ils n’ont rien demandé… Le point.

Marwan Dawood

On se serait cru dans un film de Hollywood où le FBI débarque dans une favéla brésilienne à la poursuite d’un dangereux criminel et de ses complices. Aux petites heures du matin, le jeudi 17 janvier dernier, les officiers du Passport and Immigration Office (PIO) débarquaient dans ce qui paraît être un hospice pour les travailleurs étrangers. La presse est conviée à cette opération qui finit par l’arrestation de 45 étrangers. Une scène qui a provoqué l’indignation des associations militant pour la protection des droits humains.

Une opération qui vient à la fois mettre en exergue les conditions impitoyables dans lesquelles le recrutement des travailleurs étrangers est fait, l’exploitation de l’être humain (cela alors que nous sommes à quelques jours de la commémoration de l’Abolition de l’esclavage), mais aussi le fait que ces travailleurs au noir, qui sont venus avec l’idée de se faire des sous pour subvenir aux besoins de leurs familles, finissent bien souvent par retourner dans leurs pays respectifs et fréquemment sans un rond.

Cependant, la question n’est pas ce que font ces travailleurs sans papier sur le sol mauricien mais comment sont-ils arrivés là ? Depuis des décennies, le syndicaliste et président de la Textile Manufacturing & Allied Workers Union, Fayzal Ally Beegun dénonce la présence d’une « mafia d’agents recruteurs ». Sunday Times a maintes fois fait état dans ses colonnes de ce problème, sans aucune réaction des autorités.

La triste vérité

Que ce soit au Bangladesh, à Madagascar, au Sri Lanka ou encore en Inde, le principe est le même. On vend aux travailleurs le rêve d’une île paradisiaque où il est facile de se faire de l’argent. Ce rêve est miroité par des agents recruteurs, qui selon plusieurs sources concordantes, sont des étrangers mariés à des Mauriciennes.  Ce qui leur offre la facilité de faire le va-et-vient entre Maurice et le pays d’origine des travailleurs. Cependant, une fois engagé, le travailleur met le cap sur Maurice sans vraiment comprendre qu’il sera livré à lui-même. Nous avons effectué plusieurs visites dans les dortoirs des travailleurs étrangers et nous savons que la situation n’évolue jamais.

Une fois leurs permis de travail expiré, les travailleurs sont nombreux à rester à Maurice puisque les employeurs préfèrent qu’ils restent. Ce qui permet aux employeurs d’économiser, au lieu de faire venir de nouveaux travailleurs. Ces derniers travaillent alors au noir. Ils sont également très nombreux à fuir les employeurs, par crainte des répressions et par l’exploitation qu’ils subissent.

Le ministère du Travail suit la situation de très près

Il n’existe à Maurice aucun registre des déportés. Il n’existe pas de statistiques tangibles pouvant faire un état de la situation. Cependant, au ministère du Travail, on avance qu’il n’y a pas beaucoup de travailleurs étrangers qui travaillent clandestinement sur le sol mauricien. Pourtant, à chaque descente des officiers du Passport and Immigration Office (PIO), au moins une trentaine de personnes sont arrêtées.

Au ministère du Travail, toutefois, on affirme que plusieurs aspects du processus de recrutement ont été revus afin de limiter les dégâts. En ce moment même, au moins 80 agents recruteurs venant de divers pays détiennent une Recruitment Licence. Ces personnes doivent ainsi dépenser la somme de Rs 12 000 annuellement tout en offrant une garantie bancaire de Rs 500 000.

Notre interlocuteur au ministère concède toutefois qu’il y a des brebis galeuses dans le milieu. « Il y a des employeurs qui sont à blâmer. Il y a des recruteurs qui agissent de manière illégale et il faut que leurs noms soient affichés sur la liste du ministère et que les employés soient invités à venir porter plainte », dit-il.

L’île Maurice se fie pourtant à la main d’œuvre étrangère

En novembre dernier, le Conseil des ministres a avalisé les amendements à la loi visant à assouplir les conditions entourant les permis de travail accordés aux ressortissants étrangers. Il n’est un secret pour personne que plusieurs secteurs à Maurice aujourd’hui nécessitent une main d’œuvre étrangère. De ce fait, le gouvernement fera de sorte, avec les amendements, que le contrat de travail s’étende sur huit années. Le délai d’octroi du permis de travail sera réduit à 15 jours, contre 40 selon les procédures actuellement en vigueur. Le document devrait, par ailleurs, être remplacé par une « smart card ». Le quota de travailleurs étrangers comparativement aux Mauriciens sera aussi revu.

Les  demandes de l’association DIS-MOI ?

Dans un communiqué de presse envoyé vendredi dernier, l’ONG DIS-MOI qui milite pour les droits humains exhorte les autorités à :
• Respecter leur obligation de solidarité en traitant les travailleurs au noir non pas comme des  criminels, mais comme des travailleurs migrants sans documents, et cela humainement et dignement.
• Mettre en place des mécanismes de surveillance pour que les droits des travailleurs migrants soient protégés dans le cadre des opérations de recrutement.
• Veiller à ce que les procédures basiques comme la présentation d’un mandat de perquisition soient respectées. Que la communication se fasse dans un langage compréhensible par les travailleurs migrants par rapport à leurs droits fondamentaux et de leur expliquer les raisons de leur arrestation et de leur possible déportation.
• Veiller à ce que toute personne ait accès au droit fondamental de solliciter les conseils d’un homme de loi.
• Agir pour que les travailleurs migrants puissent avoir accès, sans discrimination, aux mêmes avantages qu’un citoyen mauricien.
• Que leur droit à la vie privée ne soit pas inutilement bafoué à des fins bassement et purement médiatiques, lors des opérations de police, en les exposant au dénigrement populaire.
• Se rappeler que ce pays s’est construit grâce aux efforts combinés de travailleurs migrants et forcés, entre autres.
On peut également lire : « Les migrants sont rarement bien accueillis dans les pays où ils s’installent. Ils subissent souvent des discriminations qui limitent leur accès à des emplois, aux soins ou à l’éducation. Les travailleurs migrants à Maurice sont particulièrement exposés. Ils sont souvent contraints d’accepter des conditions de travail très dures qui peuvent s’apparenter à de l’esclavagisme. Les discours, les pratiques et les actes qui dénigrent et déshumanisent les travailleurs migrants ont contribué à faire percevoir ces personnes comme une menace ou des moins que rien. Le droit international reconnait et énonce les droits des réfugiés et migrants. Il est urgent que ces droits soient pleinement respectés et appliqués. Les droits humains n’ont pas de frontières. »

Fayzal Ally Beegun : « Qui sont les vrais coupables ? »

Le syndicaliste et président de la Textile Manufacturing & Allied Workers Union, Fayzal Ally Beegun ne mâche pas ses mots contre les autorités mauriciennes concernant les opérations de ‘crackdown’ visant à humilier les travailleurs étrangers. « Ceux qui sont arrêtés n’habitent pas sous un pont ou au bord de la mer. Ils habitent dans une maison avec un propriétaire. Pourquoi les patrons ne sont pas inquiétés ? Où sont passés ceux qui emploient ces personnes ? Pourquoi il y a une justice à deux vitesses ? Il faut savoir ce que vont faire les autorités pour combattre la clandestinité, car à la source, ce sont les Mauriciens sans scrupules qui les hébergent et leur donnent du travail. Il faut que ces personnes soient également arrêtées », dit-il. Ce dernier se réfère alors au Human Trafficking Report des États-Unis pour tirer à boulets rouges sur les autorités mauriciennes. « Il ne faut pas que les gens parlent de trafic humain etc. Chaque année, nous sommes la cibles des critiques car nous ne respectons pas les droits humains avec des opérations similaires », dit le syndicaliste.   

Que dit le dernier rapport du Human Trafficking de 2018 ?

Rétention des passeports des travailleurs étrangers, aucune aide pour les rapatrier, absence de registre des victimes de trafic humain… Autant de réprimandes faites à Maurice dans le dernier rapport de Washington en mars 2018. Ainsi, comme depuis trois ans déjà, Maurice reste dans la catégorie Tier 2, soit les pays considérés comme les moins bons élèves. Le rapport note que bien que le Combatting of Trafficking In Persons Act de 2009 ait été voté, le pays n’atteint pas les critères standards pour l’élimination du trafic humain. Maurice se fait notamment taper sur les doigts concernant l’insuffisance des mesures prises pour réduire les cas de prostitution, ainsi que d’exploitation des travailleurs étrangers.

Le document relève également le manque de coordination entre ceux qui font appliquer les lois et ceux qui poursuivent les contrevenants. Un manquement qui pousse les victimes à ne pas aller de l’avant avec leurs plaintes. Cela s’applique dans les cas de prostitution infantile, prostitution des adultes et aussi des travailleurs étrangers exploités. Le rapport reproche, dans la foulée, à l’État mauricien de ne pas avoir un mécanisme central de collecte d’informations.

Malgré tout, le département d’État américain note que quatre cas de prostitution infantile ont été rapportés, impliquant six individus dont un ressortissant français. À ce jour, des poursuites ont été entamées contre 26 personnes. Reste que le processus judiciaire prend trop de temps.

Que dit la convention ?

Les personnes qui souhaitent se renseigner sur la convention citée par Me José Moirt afin de connaître l’importance d’une telle convention visant à protéger la vie humaine peuvent le faire sur le lien suivant : https://www.ohchr.org/fr/professionalinterest.

 

Inspecteur Shiva Coothen : « Nous voulons avant tout éviter toute exploitation »

Au niveau de la police, l’inspecteur Shiva Coothen se prononce sur les opérations. « Nous devons avoir un contrôle. Cela se fait dans tous les pays du monde.  Il est important pour la sécurité de l’étranger qu’il soit repéré et rapatrié dans son pays pour éviter qu’il soit exploité sur le territoire mauricien. Nous faisons cela dans le respect de l’individu », dit l’Inspecteur Shiva Coothen.

José Moirt : « Pourquoi on ne traque pas les trafiquants ? »

Comme Fayzal Ally Beegun, Me José Moirt, engagé dans la protection des droits humains, monte également au créneau face au dernier exercice du PIO en date du jeudi 17 janvier. « Les travailleurs étrangers sont traités sous nos lois de l’immigration. Ce qui s’est passé la semaine dernière ressemble à un film », clame l’homme de loi. Cependant, ce dernier affirme que tout cela est dû au fait que l’État mauricien n’est pas signataire de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille de 1990. «Tout le monde dit que nous avons besoin des travailleurs étrangers, c’est un mal nécessaire. Mais où est le mal ? Je ne comprends pas quel mal y a-t-il lorsque des personnes travaillent honnêtement loin de leurs pays », explique Me José Moirt.

Pour lui, les opérations ‘crackdown’ ressemblent à celles de l’ADSU dans le combat contre la drogue. « À chaque fois, ce sont les consommateurs qui sont attrapés mais jamais les trafiquants. Pourquoi on ne traque pas les trafiquants ? », assène-t-il.