Dr M. Shaan Goonoo : « Des analyses concernant l’efficacité des vaccins inoculés jusqu’ici doivent être effectuées »

Issu du village de Triolet, M. Shaan Goonoo est un jeune médecin exerçant au Royaume Uni. En tant que vrai patriote, il s’intéresse de près à tout ce qui se passe à Maurice, surtout dans le domaine de la santé. C’est donc sans surprise que ce professionnel se spécialisant en médecine interne et l’endocrinologie (diabète) a suivi, à travers les réseaux sociaux, l’évolution de la Covid-19 chez nous. Dans l’entretien qui suit, il jette un regard objectif et éclairé sur la gestion de cette pandémie, tout en émettant des suggestions…

Propos recueillis par Z. RADHA

Q : En tant que jeune médecin exerçant à l’étranger, quelle analyse faites-vous de la gestion de la pandémie Covid-19 à Maurice ?

Nous devrons d’abord reconnaître que les ressources disponibles, incluant les recherches et les développements, au sein du système de santé mauricien sont limitées par rapport à celles du Royaume-Uni. Il serait donc sévère de dire que la première vague a été mal gérée bien qu’il y ait eu, au départ, des couacs, comme le port des PPE à l’aéroport.

Ayant suivi la situation de près à travers les réseaux sociaux, j’estime que les meilleures décisions ont été la mise sur pied d’une équipe de ‘contact tracing’ et le protocole de quarantaine mis en place. Ce qui a mené éventuellement, ensemble avec d’autres mesures prises par le ministère, à la réduction du nombre de cas.

Ceci dit, la pandémie nous a permis de constater plusieurs failles préexistantes dans le système de santé mauricien. En outre, je ne pense pas qu’entre mai 2020 et mars 2021, beaucoup a été fait pour préparer le pays à une deuxième vague bien que les frontières aient été ouvertes, soutenues par des mesures de quarantaine. D’autant qu’un relâchement a été noté parmi les Mauriciens qui ont été nombreux à adopter une attitude de « laisser aller ».

Q : La deuxième vague était donc inévitable ?

Évidemment. On a soudainement vu une résurgence de cas alors que des efforts étaient apparemment toujours en cours pour obtenir des vaccins visant à immuniser 60% de la population. Je dois souligner, en passant, qu’il était fort improbable que le virus de transmission au départ de la deuxième vague pût être transmis par un chou-chou ou une pomme !

Cela nous attriste énormément que plusieurs patients de dialyses aient perdu la vie dans des circonstances douloureuses. J’espère qu’à Maurice, le CPAP, l’ECMO, le Dexamethasone ou le Tocilizumab sont utilisés pour traiter les patients contaminés car ils ont démontré des résultats promettants dans des cas d’infections sévères de Covid-19.

Je constate aussi que les professionnels de santé ne se bousculent pas pour se faire vacciner. Je me demande d’où vient cette réticence : est-ce un manque de confiance dans l’efficacité des vaccins ou l’incapacité des autorités d’adresser leurs préoccupations. Il faut, dans la même foulée, que le public, surtout ceux souffrant de comorbidités, prenne conscience de l’importance de se faire vacciner, surtout avec l’émergence des nouveaux variants.

Q : Où se situent les faiblesses au niveau des mesures prises, selon vous ?

Primo, il y avait, depuis décembre 2020, un manque de proactivité pour obtenir un nombre adéquat de vaccins, qu’ils soient Pfizer, Moderna ou Oxford AstraZeneca puisqu’on comptait trop sur la ‘COVAX Facility’. Celle-ci, arrivée en retard, prouve qu’il y a toujours des inégalités en matière de santé. Secundo, les préoccupations des professionnels de la santé, des ONGs et des patients n’ont pas été prises en considération, comme il le fallait. Tertio, des professionnels de santé n’ont pas été suffisamment éduqués sur la gestion de la pandémie entre deux vagues.

Quarto, tous les patients n’ont pas été dépistés avant d’être admis dans les institutions de santé. Cette mesure n’a malheureusement été prise que récemment. J’espère néanmoins qu’elle se poursuivra tant que la majorité de la population ne soit pas vaccinée. Quinto, des leçons n’ont pas été tirées de la première vague alors qu’elle aurait dû servir de « wake up call » pour réformer notre système de santé qui est presqu’obsolète. Finalement, la communication n’a pas toujours été précise et factuelle.

Q : A-t-on des raisons de s’inquiéter de la présence des variants anglais et sud-africain sur le sol mauricien ?

Bonne question! Plus un nouveau variant est identifié vite, plus il peut être isolé vite, en imposant des mesures plus restrictives visant à empêcher d’autres mutations et propagations. Il faut savoir que le consortium ‘Covid-19 Genomics (COG-UK)’ avait identifié une mutation E484K dans le variant britannique B.1.1.7, aussi connu comme Kent, détecté à Maurice parmi les passagers venus de l’étranger suivant les résultats du séquençage génomique.

Cette mutation avait été déjà trouvée dans le variant sud-africain (B.1.351), aussi dépisté parmi le séquençage, et brésilien. Elle est plus résistante aux défenses immunitaires de l’organisme et rend le virus plus transmissible. Ce qui fait que la présence de ce variant est inquiétante, surtout si elle n’est pas contenue le plus vite possible.

Le « variant of investigation » B.1.1.318, a également été décelé dans la majorité des cas locaux à Maurice. Selon le « Technical Briefing » du « SARS-CoV-2 variants of concern and variants under investigation in England » en date du 13 mai 2021, il ressort que sur chaque 190 cas recensés, un décès lié à ce variant est enregistré dans un délai de 28 jours suivant un test PCR. Le taux de fatalité associé à ce variant est de 0, 5%.

Par conséquent, c’est important de maintenir un protocole rigoureux de quarantaine ainsi que le respect sans faille des mesures de contrôle et de prévention à tous les niveaux. Heureusement que le variant indien B.1.617 n’a pas encore été signalé à Maurice. Ce dernier a démontré une résistance accrue aux anticorps, réduisant même l’efficacité des vaccins anti-Covid-19.

Q : Qu’auriez-vous proposé pour une gestion plus efficace de la pandémie chez nous ?

Les autorités mauriciennes peuvent réclamer l’aide du gouvernement britannique qui a lancé, le 26 janvier dernier, une « New Variant Assessment Platform ». Celle-ci est un service d’expertise génomique pour identifier les nouveaux variants pour les pays qui n’ont pas les ressources nécessaires pour le faire. Il faut aussi que des analyses concernant l’efficacité des vaccins soient effectuées pour qu’on puisse analyser la situation.

Le nombre de tests de surtension et de séquençage parmi les divers clusters doit également être augmenté pour identifier les nouveaux variants. Les données peuvent ensuite être partagées au ‘GISAID Initiative’. Ce qui permettrait aux autorités mauriciennes de mieux s’armer pour faire face au développement de la pandémie.

Finalement, les laboratoires publics et privés devraient être appelés à comparer la qualité des différents vaccins que Maurice a reçus depuis décembre 2020 en vertu des normes établies par le ‘Global Advisory Committee Vaccine Safety’ (GACVS), et de quantifier le niveau d’anticorps produits par ces différents types de vaccins en les catégorisant sous différents groupes d’âge.