Drogue : Un fléau qui a la peau dure

Le Premier ministre, Pravind Jugnauth, a exprimé son agacement face aux interrogations de la presse concernant plusieurs affaires de drogue visant des opposants. Le chef du gouvernement s’est exprimé à l’Université de Maurice lors d’une intervention devant les étudiants, dans le cadre de la Journée internationale contre la drogue, célébrée le 26 juin. Pravind Jugnauth a appelé les médias à contribuer à la lutte contre la drogue, au lieu de se limiter à écrire sur des cas de “planting” pour faire sensation. Selon le PM, cela crée un climat de terreur dans le pays, et entrave son combat contre le crime organisé lié à la drogue.

Mais force est de constater que malgré ses rappels répétitifs selon lesquels son gouvernement s’engage fermement contre le trafic de drogue, la prolifération, la vente et les conséquences croissantes liées à l’utilisation de substances continuent de se développer au détriment de la nation mauricienne, en particulier de la jeunesse. Sollicité pour son expérience dans la lutte contre la drogue, Sam Lauthan, travailleur social de longue date et un des assesseurs de la commission Paul Lam Shang Leen, soutient que la mafia est tellement puissante qu’elle s’est infiltrée partout, comme l’a fait d’ailleurs ressortir le Premier ministre lui-même.

« Comment savaient-ils que nous ne vérifions pas les bonbonnes de gaz et les tractopelles ? Ce ne sont que deux exemples de la manière dont les failles du système sont exploitées ! », souligne Sam Lauthan. Il explique que les trafiquants disposent de ressources illimitées, qui dépassent le PIB du pays. « The sky is the limit », affirme-t-il. Le travailleur social évoque également la capacité des cartels de drogue à mettre en place des systèmes de blanchiment d’argent, notamment à travers les crypto-monnaies, et affirme qu’ils peuvent tout contrôler, selon son expérience en tant qu’ancien assesseur de la Commission d’enquête sur la drogue.

Selon le travailleur social, le PM n’a d’autre choix que de faire face à la mafia de front. Il suggère à ce dernier de s’entourer de personnes compétentes pour lutter contre la prolifération de la drogue à Maurice, et est d’avis que les officiers corrompus et malhonnêtes, ainsi que les trafiquants, doivent être sévèrement jugés. « Si ces officiers corrompus pouvaient voir ne serait-ce qu’un pour cent des larmes des mamans, des épouses et des filles des victimes de la drogue, que nous, les travailleurs de terrain, affrontons quotidiennement, peut-être qu’ils auraient le courage d’affronter la mafia », laisse entendre Sam Lauthan.

Imran Dhannoo : « La presse est un outil essentiel pour transmettre le message »

Pour le travailleur social Imran Dhannoo, la situation de la drogue est très alarmante. Le nombre de nouveaux cas ne cesse d’augmenter ces dernières années, explique-t-il en tant que responsable du centre Dr Idrice Goomany. Il souligne que les cas recensés sont aussi fréquents en ville que dans les régions rurales.

Il évoque le lancement de son dernier programme préventif, mis en place pour lutter contre le rajeunissement des consommateurs de substances, en collaboration avec l’UNODC (United Nations Office on Drugs and Crime). Le programme “Family United” vise à impliquer à la fois les enfants et leurs parents. Des sessions de deux heures par semaine sont dispensées séparément aux parents et aux enfants (âgés de 11 à 16 ans) pendant la première heure, puis une formation combinée pour les adultes et les enfants est proposée durant le reste du programme. Les sessions s’étalent sur une période de quatre semaines. L’objectif est de faciliter le dialogue et d’améliorer la relation entre parents et adolescents, qui sont vulnérables à la tentation de consommer des drogues.

Selon Imran Dhannoo, la prévention ne doit pas se limiter à la sphère familiale, mais doit également s’étendre aux domaines politique, social et économique. « Nous avons besoin d’une approche multifactorielle pour lutter contre ce fléau. Malheureusement, de nombreuses familles ont déjà été victimes d’abus de substances, c’est pourquoi nous ciblons des endroits dits ‘vulnérables’ afin d’étendre notre champ d’action. Nous venons de lancer des formations, notamment le programme ‘Family United’ avec la Madrassah de la Mosquée Noor E Islam, et nous souhaitons nous étendre pour toucher davantage de personnes. »

Giovanni, 15 ans : « Je suis accro à la drogue synthétique »

C’est dans un faubourg de la capitale que nous avons rencontré Giovanni.  Cet adolescent de 15 ans, consommateur de drogue synthétique, a attiré notre attention. Assis devant un distributeur automatique, il mendie, non pas pour de la nourriture, mais pour se procurer de la drogue. Après avoir engagé la conversation, l’adolescent accepte de nous parler de sa descente aux enfers, la consommation de drogue synthétique.

« Mo pena parent ek mo ti pe rest kot mo grand-mère, aster mo zis al dormi laba, mo pass mo letemps lor chemin, mo bzn trouve Rs 250 tou les zour pu mo pren mo bann dose, sinon mo lekor tremble. Fer 2 ans depi ki mo pren synthétique tou les zour. Ena foi mo oblizie kokin. Des fois bann marchant la donn credit, des fois zot pa done », nous confie Giovanni, avant d’interrompre la conversation pour nous demander de l’argent.

Le fléau de la drogue ne touche plus seulement les personnes les plus démunies socialement, comme c’était le cas auparavant. Aujourd’hui, toutes les sphères sociales comptent des usagers de substances. Selon Imran Dhannoo, président du Centre Idriss Goomany à Plaine Verte, on observe également une féminisation des consommateurs de drogue sur le territoire mauricien.

Kajal, chef d’équipe dans un centre d’appel : « Mo oblize consommer pu tini pression travay »

Cadre travaillant dans une entreprise de BPO depuis plusieurs années, Kajal nous parle de la pression professionnelle. La jeune femme de 33 ans consomme régulièrement du cannabis pour décompresser, car elle évolue dans un environnement où elle subit beaucoup de pression.

« Mo prend zis cannabis, preske tou le zour, mo bann chef pren lot zafer la, zot kav afford. Li pu hypocrite pu dir ki dans le monde professionnel pena consomateur de drogue, partou ena li, mo pu mem dir ki cannabis li aide mwa pu relax ek mo kav mo travay bien, sinon mo ti pu fini fer enn ‘burn-out ! Mo sagrin ki dimounn zot regard al zis lor bann ti dimounn ki rentre dans enn problem addiction, zot tou pense ki zis sa bann dimounn la ki drogué, mais la vérité c’est que dans le monde des affaires aussi, il existe « toxicos sociables », confie-t-elle.