Économie : Maurice à la traîne, selon Kevin Teeroovengadum

L’année 2021 a été désastreuse sur le plan économique alors que le Gouvernement attendait une reprise rapide. Pourtant, Maurice aurait dû logiquement se remettre sur les rails du développement économique après l’année dernière, dominée et paralysée par la pandémie. Le constat est donc très amer en cette fin d’année. Ce n’est pas l’économiste Kevin Teeroovengadum qui nous dira le contraire. Ce dernier se désole que Maurice soit toujours à la traîne alors que l’économie mondiale a déjà repris son souffle et que les pays développés, dont les États-Unis et l’Angleterre, ont presque rattrapé le retard accumulé depuis l’année dernière en raison de la pandémie.

Après une décroissance de -15% l’année dernière, notre faible taux de croissance pour 2021, de l’ordre de 4%, en témoigne, malgré les prévisions farfelues du ministre des Finances. Ce dernier, l’on se souviendra, croyaient dur comme fer que la croissance s’élèverait à hauteur de 9 % cette année-ci, en dépit du scepticisme affiché par des professionnels du secteur, alors que la Banque de Maurice prévoyait, elle, que le taux de croissance sera de 7, 9%. Le réveil, on le présume, doit être très rude pour Renganaden Padayachy et le Gouverneur de la Banque centrale qui a pourtant décroché le prix de « Central Bank Governor of the Year » par l’« African Business Leadership Awards 2021 ». La preuve que tout ce qui brille n’est pas or.

Kevin Teeroovengadum nous explique que le pays a raté le coche à plusieurs niveaux. La dépréciation de la roupie face au dollar a lourdement impacté sur le pouvoir d’achat des Mauriciens et sur l’inflation. L’économiste dénonce d’ailleurs le taux officiel de l’inflation, de l’ordre de 3%, alors que partout dans le monde, le taux d’inflation est bien plus élevé. A titre d’exemple, il a dépassé la barre de 7% en Amérique et a atteint les 5.2% en Allemagne et tout récemment la ‘Bank of England’ a déjà commencé à augmenter son taux d’intérêt pour contrer l’inflation galopante. « Personne ne croit au chiffre avancé par les autorités. C’est un joke », fulmine l’économiste.

La pilule est encore plus amère à avaler sur le plan du « Foreign Direct Investment » (FDI). « Cette année a été la pire qu’on a connu depuis les quinze dernières années. Concrètement pourtant, l’investissement direct étranger aurait dû être meilleure que l’année dernière quand pratiquement tout le monde était en confinement. Les derniers résultats de janvier à juin, d’environ 100 millions de dollars, sont catastrophiques », souligne notre interlocuteur. Il se dit même effrayé par la dette publique qui frôle la barre de 100%, d’autant que les dettes externes contractées auprès des pays amis ont pratiquement doublé.

Kevin Teeroovengadum note aussi une certaine disparité au niveau de l’exportation. En dépit de la dépréciation de la roupie, qui aurait dû arithmétiquement jouer en notre faveur en raison de la compétitivité du prix sur le plan international, le taux d’exportation a baissé alors que les importations, elles, ne cessent d’augmenter. Ce qui sous-entend que le pays roule sur un déficit commercial et budgétaire. « C’est une des raisons pourquoi le gouvernement a dû encaisser une ‘one-off contribution’ de la Banque centrale », rappelle-t-il.

La situation sur le plan touristique n’est guère reluisante, Maurice se trouvant loin derrière ses compétiteurs en termes d’arrivées touristiques. « Je l’ai déjà dit récemment, notre pays est retourné 20 ans en arrière au niveau du tourisme et je ne vois aucune stratégie qui a été mise en place pour le redresser, à l’opposé des Maldives dont les arrivées touristiques ont dépassé la barre de 1.3 million cette année », déplore l’économiste. Au final, pratiquement tous les indicateurs économiques sont au rouge. Le seul point positif, poursuit-il, c’est notre sortie de la liste des « high-risk juridictions » de la FATF et de la liste noire de l’Union Européenne (UE).

« Nous avons perdu une année entière tandis que l’économie mondiale respire de nouveau. Nous n’avons pas réussi à atteindre nos objectifs », martèle Kevin Teeroovengadum qui tient le manque de vision du gouvernement comme le principal responsable de cette situation. « Il y a eu un manque criant de transparence au niveau du constat de notre état économique, résultant en une incapacité à situer nos forces et nos faiblesses. Ce qui fait que des mesures appropriées n’ont pu être prises pour résoudre les problèmes auxquels nous sommes confrontés. Ce qui est dommage parce que nous aurions pu émerger de cette pandémie plus fort si seulement nous avions une meilleure vision stratégique au lieu de procéder ‘by trial and error’ », dit-il, en fustigeant l’incohérence gouvernementale.

« D’un côté, le gouvernement a accordé des subsides de l’ordre de Rs 500 millions aux importateurs en juillet-août alors qu’à la même période, le Premier ministre évoquait l’importance de l’autosuffisance. C’est non seulement incohérent, mais aussi insensé » insiste Kevin Teeroovengadum qui regrette l’absence d’un plan cohésif, une vision économique ambitieuse et des personnes compétentes pour sortir le pays du marasme économique où il se trouve. « Il sera intéressant de voir comment le ministre des Finances va équilibrer le budget l’année prochaine, sachant qu’au début de 2022, on saura si Moody’s va rétrograder le rating de Maurice de Baa2 à Baa3 », conclut-il.