[EDITO] Dictature en marche

Sommes-nous en Corée du Nord ? Maurice est en tout cas bien parti pour devenir une dictature autocratique. Notre pays, déjà sur la voie d’une autocratie selon le deuxième rapport consécutif de V-Dem, est carrément sous l’emprise d’un régime dictatorial, caractérisé par des arrestations arbitraires et le renvoi des élections municipales. Des signes qui ne trompent pas. Le gouvernement, manifestement paniqué devant la colère généralisée qui s’est répandue dans le pays et des manifestations hostiles de part et d’autre, se réfugie derrière des mesures répressives pour instaurer la peur, en croyant sans doute qu’il va faire taire les voix discordantes. Le Premier ministre, Pravind Jugnauth, a d’ailleurs donné le ton, vendredi, en lançant des menaces à peine voilées contre ceux qui agissent contre la loi. Sauf que cette « loi », version MSM et appliquée à la lettre par notre police servile, dépasse franchement notre entendement.

Si l’utilisation du mot « gopia » est contraire à la loi, au point d’en être une « arrestable offence », alors le Premier ministre doit également être inquiété pour avoir traité le député Rajesh Bhagwan de « gopia » – bien qu’il dise ignorer la définition – en plein milieu des travaux parlementaires. Sera-t-il arrêté, détenu et traduit en cour au même titre que le travailleur social d’Hermitage, bien qu’il soit un peu trop tard pour qu’il soit rappelé à l’ordre par le Loudspeaker-goalkeeper pour avoir prononcé un « unparliamentary word » ? Parce qu’à notre humble avis, si cette « offense », s’applique à un citoyen soucieux du sort de son prochain, elle doit aussi s’appliquer à un Premier ministre indifférent à la souffrance du peuple.

Et si les « eyes filled with rage » suffisent pour qu’un président de village soit, comme dans le précédent cas, arrêté, détenu et traité comme un criminel, le ministre Bobby Hurreeram devrait également subir le même traitement par la police pour s’en être pris d’une façon rageuse à Shakeel Mohamed au sein de l’hémicycle en juin 2020 et dont les images des travaux parlementaires peuvent en attester. Les députés Bhagwan et Mohamed devraient peut-être songer à s’en remettre à la police, histoire de voir si Pravind Jugnauth et Bobby Hurreeram seront inquiétés ou s’ils arriveront, eux, à « get off the hook ». Ne serait-ce que pour prouver que la « loi », dans notre pays, est instrumentalisée et qu’elle n’est brandie que pour persécuter et terroriser les opposants de la politique gouvernementale.

Et pendant que la « loi » MSM sévit contre les citoyens « fouter dezord », Pravind Jugnauth a trouvé un autre moyen pour prendre en otage notre semblant de démocratie. En renvoyant encore une fois les municipales, le gouvernement se dispense d’une tâche herculéenne : celle de devoir faire face aux citadins. Car l’impopularité du régime en place est telle que ses représentants risqueraient d’être chassés à coups de « balié » et de « kalchoul » lors des rassemblements et des porte-à-porte, comme nous l’avions dit dans ces mêmes colonnes la semaine dernière. La Covid-19, qui est sous contrôle lorsqu’il s’agit des campagnes promotionnelles pour attirer les touristes qui peuvent entrer au pays sans tests PCR, est une menace potentiellement dangereuse pour les citadins devant se rendre aux urnes pour donner une bonne correction à ce gouvernement, comme on en a récemment vu à Rodrigues où le même Pravind Jugnauth avait maintenu les élections régionales en dépit de la flambée de cas. Étrangement, ou pas, la décision de renvoyer les municipales est tombée pile au moment où une partie de l’Opposition a lancé sa campagne en vue des municipales, mais aussi dans le sillage des manifestations hostiles contre le pouvoir.

Le jeu de Pravind Jugnauth est bien trop évident pour qu’on n’y voie pas clair. Notre démocratie, du moins le peu qu’il nous en reste, et notre liberté sont en otages. Et la dictature est en marche.