[EDITO] Pravind Jugnauth vs. Navin Ramgoolam

Pravind Jugnauth attend-t-il qu’il y ait mort d’homme avant qu’il ne libère enfin le pays ? Comme l’a fait Mahinda Rajapaksa au Sri Lanka en restant agrippé au pouvoir malgré la grave crise économique, jusqu’à ce qu’il ne soit contraint à la démission, lundi dernier, suivant de violentes manifestations ayant fait cinq morts et un peu moins de 200 blessés. Le Premier ministre préfère-t-il que le pays s’écroule sous le poids de la misère et de la souffrance marquées par l’incompétence et la faillite de son gouvernement de réorienter sa politique économique ? Malgré les similarités déroutantes entre la crise économique au Sri Lanka et la nôtre, le gouvernement n’est point enclin à en tirer des leçons. Il se croit invincible. Nonobstant les récentes manifestations citoyennes témoignant de la colère grandissante du peuple. Et en dépit de la motion de blâme dont il a fait l’objet au Parlement cette semaine. Motion qui a été rejetée, comme attendu. Puisque le gouvernement détient la majorité de sièges au Parlement, malgré ses 37% de votes aux dernières élections.

L’arrêt de mort de cette motion de blâme ne surprend guère. Personne ne s’attendait, bien qu’on l’espérât de tout cœur, à ce qu’il y ait un sursaut de conscience parmi les élus de la majorité. La conscience, ils n’en ont tout simplement pas. Même pas parmi ceux qui, en privé, sont mécontents de certaines actions gouvernementales. Encore moins parmi les représentants du gouvernement qui siègent sur le ‘Public Accounts Committee’ (PAC). Ceux-là même, comme l’a souligné Shakeel Mohamed, qui ont bienveillamment signé le rapport ayant mis à nu les mensonges du ministre de la Santé Kailesh Jagutpal sur l’achat des comprimés Molnupiravir sous « emergency procurement ». Par contre, ce que l’on déduit des discours provenant des rangs de la majorité, c’est qu’ils n’ont rien compris sur la gravité de la situation. Une motion de « no confidence », survenant à Maurice après 26 longues années contre un gouvernement au Parlement, avait pourtant de quoi les faire fléchir et réfléchir. Il n’en a été rien de tel pour le gouvernement qui en a fait une moquerie.

Le gouvernement, pour justifier ses actions, brandit la carte d’un récent sondage, réalisé sur un échantillon de 600 personnes, qui donne Pravind Jugnauth et le MSM favoris. Un sondage qui ne reflète pourtant pas le ras-le-bol généralisé dans le pays. Parce qu’il a été effectué à partir d’un échantillon restreint, avant même les derniers événements qui ont bouleversé le pays. À l’instar des manifestations et des émeutes spontanées survenues à Camp Levieux et ailleurs. Ou la déportation du Slovaque Peter Uricek en défiant un ordre de la cour et menant à la toute première marche de protestation des avocats. Ou encore le bras de fer avec le MTC. Qu’à cela ne tienne, pour le gouvernement, il s’agit de pain bénit. Car il le réconforte dans son illusion qu’il est fort et intouchable. Et lui rend encore plus arrogant. Plus méprisant. Plus pouvoiriste. Sans réaliser que ce n’est qu’un mirage. Dans la rue, la réalité est toute autre. Une réalité qui n’est ni plaisant à voir, ni plaisant à vivre. Parce que la cherté de la vie devient insoutenable pour la majorité de familles mauriciennes qui souffrent énormément.

Gageons que si les rassemblements de plus de 50 personnes n’étaient pas toujours interdits, celles-ci descendraient rageusement dans les rues, comme au Sri Lanka, pour protester. Contre la mauvaise gouvernance. Contre les gaspillages outranciers des fonds publics. Contre le comportement ‘dominère’ et l’attitude ‘fezer’ du gouvernement. Contre sa politique de toujours écorcher vif les consommateurs pour financer ses propres extravagances. Contre la pénurie des médicaments dans les hôpitaux depuis plusieurs mois. Contre le maintien des taxes excessives sur les carburants. Contre ses tentatives répétées de réduire au silence ses opposants à travers divers moyens répressifs. Contre sa mainmise sur la police pour arriver à ses fins. Contre la façon dont il tente de mettre systématiquement des bâtons dans les roues du DPP, perçu comme un opposant. Contre les agissements du Speaker qui empêche l’opposition de fonctionner au Parlement. Contre tant d’autres choses qui ne tournent pas rond dans notre pays.

Jusqu’ici, Pravind Jugnauth a pu contenir cette rage des Mauriciens en se réfugiant lâchement derrière la Covid-19 pour courber l’échine de ceux qui veulent manifester et pour refuser la tenue des municipales, qui lui auraient permis de tester sa popularité. Car s’il avait effectivement le soutien de la population dont il prétend avoir, et s’il était vraiment le « chouchou » du peuple (dixit Ganoo), il n’aurait pas eu peur d’enlever les restrictions sanitaires et de donner les élections municipales. Pourquoi, s’il est aussi fort, continue-t-il de lier les mains, les pieds et la bouche de nos compatriotes pour leur priver de leurs droits fondamentaux de s’exprimer et d’exercer leur choix électoral ? Parce que Pravind Jugnauth a peur d’affronter la dure réalité. Parce qu’il craint de perdre le pouvoir. Raison pour laquelle il dicte sa propre loi et impose ses propres oukases. Tel un dictateur.

Pour déboulonner ce dictateur, un seul leader politique se dresse comme son challenger principal, selon le même sondage précité. Et c’est incontestablement Navin Ramgoolam. Une évidence qui ne change pas au gré de l’évolution ou de l’aggravation de la situation. Et dont Paul Bérenger et Xavier Duval en sont pleinement conscients. Surtout après l’avoir précédemment éjecté et rejeté de l’entente élargi de l’opposition. Ne voulant sans doute pas répéter la même erreur, ils ont, lundi, rappelé Roshi Bhadain à l’ordre, après que ce dernier ait dit qu’il n’y avait pas de place pour d’autres partis au sein de la plateforme de l’Entente. Ils réalisent que le Reform Party (RP) ou le Rassemblement Mauricien (RM) ne peuvent pas être la locomotive qu’il leur faut pour prendre le pouvoir des mains du MSM pour changer le destin du pays.  

Ce qui nous ramène à notre analyse faite le 16 janvier 2022 dans ces mêmes colonnes. « Face à Pravind Jugnauth et son armada de ruses, ni Nando Bodha ni Roshi Bhadain ne font le poids […] Tout simplement parce que, malgré leurs bonnes intentions après leur parcours et passage au MSM, ces deux premiers-ministrables de l’Alliance de l’Espoir ne disposent pas encore d’une assise électorale au niveau national. Contrairement à Navin Ramgoolam », écrivions-nous alors. Nous n’avions pas si tort que ça, semble-t-il. Au risque de nous répéter, Navin Ramgoolam dispose de toutes les qualités qu’il faut pour être un Premier ministre de la situation. Il ne devrait cependant pas commettre les mêmes erreurs qu’en 2019. Il lui faut, cette fois-ci, affûter sa stratégie bien en avance afin de ne pas être pris au dépourvu au moment venu. Il faut aussi que le PTr sort davantage ses griffes sur le terrain. L’Entente de l’Espoir l’a déjà commencé. Car il a compris que la place de l’opposition est d’être aux côtes de la population. Le PTr ne doit pas être en reste. Surtout pour empêcher que le MSM n’étende ses tentacules à travers le « money politics ». La balle est désormais dans le camp de Navin Ramgoolam et du PTr.