[EDITO] Sniffing Island (II)

Par Zahirah RADHA

Les conversations téléphoniques privées balancées en public par Missie Moustass sur Facebook donnent froid dans le dos. Ces enregistrements, diffusés par épisode à quelques minutes d’intervalle depuis vendredi après-midi et baptisés « Secrets Lakwizinn », confirment que nos téléphones sont bel et bien sur écoute. Pire, nos conversations sont même enregistrées à notre insu. Sauf Lakwizinn elle-même, à quelques exceptions près, personne ne semble être à l’abri. Députés de l’opposition, dirigeants politiques, diplomates, journalistes, citoyens… personne n’est épargné, parait-il. Un scandale sans précédent, ressemblant étrangement à un Watergate mauricien, avec des implications diplomatiques qui mettront à mal la réputation de notre pays. Il est évident que ces ‘tappings’, s’ils sont avérés, ne peuvent avoir été faits qu’au plus haut niveau de l’État. Et que les appareils d’espionnage utilisés pour intercepter ces conversations ne peuvent avoir été achetés que par l’État.

Ce qui nous ramène aux équipements acquis par ‘DNS International Ltd’ auprès de ‘Verint Systems Ltd’ pour le compte du ‘Prime Minister’s Office’. Dans une de nos précédentes éditions, nous posions la question : Pourquoi cette compagnie israélienne, ‘Verint Systems Ltd’, figure-t-elle sur les ordres de paiements du PMO ? Pourquoi passer par la compagnie d’Ellayah ? Des questions se posent, car, dans l’esprit de bon nombre de Mauriciens, l’affaire Sniffgate est encore bien présente, d’autant que la sécurité d’État avait aussi été évoquée dans ce cas sans précédent et considérée comme une trahison contre le pays. En voulant se venger aveuglément de ses ex-alliés, le gouvernement, à travers la ‘Financial Intelligence Unit’ (FIU), nous a-t-il involontairement mis sur la piste d’un autre scandale possiblement lié à un cyber-espionnage ? Il y a, en tout cas, des éléments très troublants qui laissent perplexes, et sur lesquels nous ne saurons probablement jamais la vérité. Mais ils révèlent néanmoins le mécanisme mis en place par le pouvoir du jour pour servir ses intérêts et ceux de ses proches.

La raison est claire maintenant, même si le Commissaire de police préfère, lui, évoquer l’utilisation de l’intelligence artificielle alors que des protagonistes ont confirmé la véracité de certaines de ces conversations. Extrait de notre édito du 19 novembre 2023 : Tout cela nous amène à croire qu’il y a un ‘trend’ précis qui se dessine, à l’approche des prochaines élections. Parallèlement aux barons qui font ‘sniffer’, ingurgiter ou injecter de la drogue à nos jeunes, nous devons aussi nous méfier de ceux qui ‘sniffent’, interceptent et conservent nos données ». Un an plus tard, les événements nous donnent raison, confirmant dans la foulée la gravité de la situation sous le règne du gouvernement de Pravind Jugnauth. Nos libertés les plus fondamentales sont bafouées sans aucune gêne.

Autres extraits de l’édito du 19 novembre 2024 : Les tentatives de surveillance du gouvernement de Pravind Jugnauth ne datent pas d’hier, mais depuis des années. Rafraîchissons la mémoire de nos lecteurs. Le régime en place avait d’abord voulu nous épier à travers les réseaux sociaux. Et ce grâce aux amendements qu’il comptait apporter à l’ICT Act durant le premier trimestre de 2021, alors que le pays passait par des moments difficiles dûs à la Covid-19La raison officielle avancée, c’est qu’il fallait réguler les « abuse and misuse » sur les plateformes digitales. Le ‘Consultation paper’ circulé par l’ICTA, chargée de cette mission d’espionnage, avait alors soulevé un tollé, puisque tout un arsenal de surveillance et de mesures répressives allait être mis en place pour bloquer la liberté d’expression, non pas des prédateurs mal intentionnés uniquement, mais de tous les utilisateurs des applications comme Facebook, WhatsApp, Instagram, et autres.

Il était question d’installation d’un outil visant à décrypter le trafic sur les réseaux sociaux. Les contenus pouvaient ainsi être filtrés et scannés avant que certains ne soient bloqués ou archivés. Ce qui aurait exposé toutes nos communications à l’œil du gouvernement, en sus de pouvoir les contrôler et les censurer. Sans compter que nos activités en ligne couraient le risque d’être tracées et piratées. Plusieurs organismes, y compris Facebook et Mozilla, avaient d’ailleurs émis des critiques contre l’approche de l’ICTA. « The amendments specify technical measures such as self-signed digital certificates that will be used as trust anchors, by which the Mauritian government can intercept, decrypt, re-encrypt and store Internet traffic data. […] The proposed approach would, however, have severe and disproportionate implications for privacy and security for Mauritian citizens, as well as others abroad, while doing little to address the stated concerns », avait écrit Marshall Erwin, Chief Security Officer, de Mozilla Corporation. Ce qui équivalait à une claque magistrale à l’ICTA qui avait auparavant eu l’outrecuidance d’évoquer des « rampant fake news propagated by ill-intentioned persons on the web ».

Il y a ensuite eu le réenregistrement des cartes SIM. Un exercice qui met en péril nos données personnelles. Et une fois de plus, c’est l’ICTA qui a été chargée de cette sale besogne. La direction de l’organisme nie que nos données seront partagées ou conservées. Mais les faits restent que celles-ci seront définitivement partagées une fois que les opérateurs passent par l’ICTA, à travers un ‘middleware’ dont l’organisme refuse de divulguer les spécifications, pour les vérifier sur la base de données de la ‘Civil Status Division’ et du ‘Passport and Immigration Office’ (PIO). Des questions se posent aussi sur l’utilité des photos requises, la base de données existantes – si elle est de nature biométrique ou pas -, et l’objectif réel de cet exercice de réenregistrement à quelques mois seulement des élections générales. Jusqu’ici l’ICTA ne s’est pas montrée rassurante. D’autant que la raison mise en avant pour justifier cette mesure n’est point convaincante. Heureusement que la Cour a ordonné un statu quo en attendant le jugement dans cette affaire.

Attendons maintenant les répercussions de ce Watergate à la mauricienne.