[EDITO] Vishnu attaque, Pravind se tait

« Depuis dix ans déjà, avec 3 % de croissance, on s’enflamme. Moi j’ai honte ». Cette déclaration déconcertante est signée Vishnu Lutchmeenaraidoo, soit celui qui était présenté aux dernières élections générales comme le magicien qui allait créer un deuxième miracle économique. Et à qui confiait-il sa honte ? À nul autre que le président malgache, invité d’honneur pour les célébrations officielles des 51 ans de l’indépendance de Maurice. Cette attaque à peine voilée n’avait qu’une cible : Pravind Jugnauth. Et quel timing, en plus ! Ce blâme – car c’en est bien un – intervient juste au moment où le Premier ministre et ministre des Finances s’apprête à se lancer dans la préparation du dernier budget de son gouvernement. Un exercice périlleux sans doute puisqu’il servira d’appât pour les prochaines élections législatives.

Qu’est-ce qui explique donc l’amertume de Vishnu Lutchmeenaraidoo envers le Premier ministre et ministre des Finances ? A-t-il le sentiment d’avoir été laissé sur la touche dans le sillage de l’Euroloan ? Ou se sent-il inutile au sein du gouvernement alors qu’il devait initialement y tenir un rôle clé ? Cela dit, le fait qu’il ait choisi de s’exprimer publiquement sur un sujet aussi délicat et impliquant le chef du gouvernement démontre, encore une fois, qu’il y a une désolidarisation flagrante au sein du cabinet ministériel. Au lieu de mettre la tête ensemble et de travailler dans l’unité pour le progrès du pays, nos élus du gouvernement s’entredéchirent. Ils s’accusent mutuellement. Ils règlent leurs comptes de façon indécente sans qu’il n’y ait de sanction. « C’est à qui peut avoir des sauts d’humeur parfois », comme a ironisé le député du MSM, Zouberr Joomaye, hier. Conséquence sans doute d’un leadership presque insignifiant.

C’est d’ailleurs surprenant de voir que le Premier ministre ait pu accepter qu’un membre de son équipe gouvernementale réprouve sa gestion des finances sans qu’il ne bronche. Un Premier ministre digne de ce nom peut-il accepter d’être ainsi humilié sur la place publique ? La claque est bien trop sonore pour qu’il accuse le coup tranquillement ? D’ailleurs, Vishnu Lutchmeenaraidoo n’est pas à sa première effronterie. On se souviendra qu’il avait poussé SAJ dans une colère noire en 2017 après qu’il avait déclaré que « sans l’intervention de Pravind Jugnauth, Roshi Bhadain aurait été nommé ministre des Finances ». « Vishnu pe rêver ! » avait alors lancé le Mentor.

Si Pravind Jugnauth avait vraiment le courage politique et s’il voulait réellement donner un signal fort à son équipe et à la population, il aurait dû révoquer Vishnu Lutchmeenaraidoo avant son départ pour Vienne. Si SAJ était à la place de son fils, aurait-il toléré ce manque de solidarité gouvernementale ? On en doute. Navin Ramgoolam n’avait-il pas, lui aussi, révoqué Madan Dulloo comme ministre des Affaires étrangères en 2008 pour s’être désolidarisé de l’action gouvernementale ? Au lieu de rester coincé dans son rôle de « l’imposte » et d’encaisser les écarts de conduite des membres de son cabinet, Pravind Jugnauth devrait plutôt montrer qu’il a l’étoffe d’un leader et d’un chef de gouvernement.