Élections villageoises : Une hésitation synonyme de peur

  • Volte-face de Pravind Jugnauth
  • Situation floue et complexe dans les conseils

Le mois de décembre sera-t-il une nouvelle fois marqué par la tenue d’une élection? Rien n’est moins sûr… Le gouvernement garde jalousement secrète sa position sur la tenue des prochaines élections villageoises. Alors que les habitants des différents villages du pays auraient dû aller aux urnes pour élire des nouveaux conseillers, il est très peu probable que ces élections se tiennent avant la fin de l’année et encore moins à un an des prochaines élections générales.  Se dirige-t-on vers un énième renvoi des villageoises ? Cette hésitation du gouvernement à appeler les villageois aux urnes est synonyme d’une chose… la peur. Une peur de voir l’opposition occuper les fauteuils clés dans les conseils de district à l’approche des législatives.

Marwan Dawood

Le gouvernement craint-il un désastre ? Pour quelle raison Pravind Jugnauth ne se prononce-t-il pas sur la tenue des élections villageoises ? Nous avons à Maurice au moins 800 000 personnes qui vivent en-dehors des villes, est-ce qu’en leur privant de leur droit constitutionnel que le gouvernement en place compte éviter une débâcle aux prochaines élections générales ? C’est le cas de le dire. Au sein du gouvernement, les langues ne se délient que pour dire que seul le Premier ministre a les prérogatives en ce qui concerne ces exercices démocratiques.  Même si aucune décision officielle n’a été annoncée, le gouvernement hésite clairement à organiser ces élections.

Que dit la Local Government Act ?

Contrairement aux municipalités, le gouvernement n’a pas souhaité tenir des élections dans les villages en 2015. Ce qui fait que le mandat de six ans des conseillers de village arrive normalement à échéance cette année-ci, comme le prévoit la section 12 de la Local Government Act, reproduit ci-dessous.

  1. Election of Councillors to Village Council

(1) The election of Councillors to a Village Council shall be –

  • Held in 2012 and thereafter every 6 years or in such other year, and at such date, as the President shall, on the advice of the Prime Minister, appoint ; and
  • conducted in accordance with the Representation of the People Act.

Comme on peut le constater, le Premier ministre a la prérogative de renvoyer ces élections et de fixer l’année et la date de leur tenue. Il semblerait que cela ait été confirmé par la vice-Première ministre et ministre des Collectivités locales, Fazila Jeewa-Daureeawoo, lors d’une intervention sur les ondes d’une radio privée la semaine écoulée. Elle a fait l’affirmation suivante : « Les amendements de 2015 à la Local Government Act permettent la tenue des villageoises après décembre 2018. C’est la prérogative du Premier ministre de décider de la date des prochaines élections. »

Il faut ainsi souligner que la question du député du PMSD, Patrice Armance à la ministre Fazila Daureeawoo au parlement il y a maintenant un mois n’a toujours pas obtenu de réponse.

Course contre la montre…

Il parait très peu probable que le gouvernement décide de tenir les élections villageoises à la veille ou pendant la période festive. Le manque d’information à ce sujet est aberrant.  La nouvelle semaine qui commence demain, lundi 26 novembre, est une semaine décisive pour le Premier ministre et son gouvernement. Un conseiller au ministère des Administrations régionales se confie sous le couvert de l’anonymat. « Il ne reste plus beaucoup de temps à Pravind Jugnauth s’il veut respecter les provisions légales », dit-il. Ses explications nous mènent alors à la déduction suivante : le gouvernement s’est inutilement engagé dans une course contre la montre.  En effet, si les élections doivent se tenir cette année, Pravind Jugnauth aura jusqu’au 1er décembre prochain, soit six jours pour annoncer officiellement la date car il faut un mois au minimum pour organiser de telles élections.

Jocelyn Chan Low : « Le gouvernement veut une nouvelle fois se sauver »

L’historien et politologue, Jocelyn Chan Low, fait un exposé des enjeux des villageoises à Maurice. Pour lui, ces élections sont d’habitude très intéressantes dans la mesure où les listes de candidats sont souvent mélangées. Il s’explique : « Dans les villageoises, nous pouvons avoir une liste où des personnes du gouvernement s’allient avec ceux de l’opposition pour former une équipe. Nous avons des fois des membres d’une même famille qui se regroupent et cela donne à ces élections un enjeu local, donc qui se joue au sein du village ».

Cependant, le politologue estime que si le gouvernement décide de faire organiser des élections villageoises, les enjeux changeront vu qu’on n’est pas loin d’une élection générale. « Il se pourrait que cette fois-ci, les élections soient très politisées avec des listes de candidats purement PTr, MMM ou MSM », dit-il. Ceci dit, Jocelyn Chan Low brosse un tableau des enjeux dans la mesure où le gouvernement décide de dissoudre les conseils de villages et de districts.  « Aujourd’hui, la donne a changé. Il est clair que le PTr a fait une remontée dans les régions rurales et le gouvernement le sait mieux que quiconque que les enjeux sont grands à l’approche d’une élection générale. Comme en 2017 à Belle-Rose/Quatre-Bornes, le gouvernement veut encore se sauver d’une élection », conclut-il.

La volte-face de Pravind Jugnauth

Le 25 juin dernier pendant les séances du Committee of Supply suivant la présentation du budget, Pravind Jugnauth est interrogé par Rajesh Bhagwan sur la tenue des élections villageoises à Maurice.  « Can the Hon. Prime Minister inform the House whether he has been informed by the Electoral Commissioner of the holding of these elections, whether any provision has been made, under which item, for the holding of the Village Council elections? », avait demandé le député du MMM.

Le Premier ministre devait alors répondre : « Well, from memory, I can recall that we have made a provision in the Budget for the holding of Village Council elections, this year ». C’est ce que disent les transcriptions des travaux parlementaires du 25 juin 2018. Cependant, le 21 septembre dernier, le Premier ministre change son fusil d’épaule et nie avoir annoncé que les élections villageoises se tiendront cette année.

Par ailleurs, une vérification du discours du Budget permet de constater que le Premier ministre a prévu la somme de Rs 180 millions, sous l’item de l’Office of the Electoral Commissioner, pour la tenue des élections villageoises.

Bis repetita…

Une fois n’est pas coutume.  Si renvoi il y a, nous serons en mesure de dire que les gouvernements successifs ne tiennent pas à cœur la démocratie au niveau des villages. Retour en arrière en 2002 sous le gouvernement MSM-MMM. Les élections villageoises sont renvoyées car on était à la veille d’une partielle à Piton/Rivière-du-Rempart, qui allait se déclencher avec le départ de sir Anerood Jugnauth du poste de Premier ministre pour faire place à Paul Bérenger. Une fois de plus, les dirigeants de l’alliance orange-mauve disaient ne pas vouloir laisser l’opposition, alors travailliste, prendre les conseils de district. Les élections sont repoussées de trois ans pour finalement se tenir en 2005.

En 2010, le gouvernement PTr décide d’accorder plus d’importance aux élections générales de mai 2010 et renvoya les élections villageoises pour 2012.  Entretemps, il y a eu l’amendement à la Local Government Act en 2011.

Situation floue et complexe dans les conseils

Si les élections n’ont pas lieu cette année, tout demeure inchangé, sauf si bien sûr le ministère des Collectivités locales donne des directives précises sur la question. « Les conseillers et les présidents de village et les présidents de conseils de district demeurent à leurs postes », précise le conseiller que nous avons sollicité. Les propositions découlent et on envisage sérieusement plusieurs options au sein du gouvernement dont une probable extension des mandats des présidents, la dissolution des conseils menant à une élection interne au sein du conseil afin d’élire un nouveau président jusqu’à la tenue des prochaines villageoises ou encore la dissolution des conseils et la nomination de cinq représentants ou plus par district, comme le stipule le Local Government (Temporary Provisions) Act et utilisée auparavant vers la fin des années 70.

Réactions

  • Vijaye Busawon, Président du conseil de district de Moka

«  Il faut savoir ce que dit la loi. Nous ne savons pas plus que cela, car c’est la prérogative du gouvernement et du Premier ministre. Le travail se poursuit et nous attendons. »

  • Prembhoodass Elayah, Président du conseil de district de Rivière-du-Rempart

« Je ne sais pas plus que vous. Je ne peux me prononcer sur le sujet et on ne sait pas ce qu’on va faire. »

  • Jean Yves Dansant, Vice-président du conseil de district de Rivière-Noire

« On ne sait pas ce qui va se passer. On continue de travailler mais le flou persiste. Tout dépend du gouvernement, tout dépend du ministère, on attend les directives. »

  • Sunael Purgus, Président du conseil de district de Pamplemousses

« Il y a des dispositions dans la loi pour le renvoi des élections. Cela ne tombe pas dans nos attributions, c’est le Premier ministre qui décide. Toujours est-il qu’il y a une situation floue et on attend les directives du gouvernement pour décider de la marche à suivre. Il se peut que les élections se tiennent en juin de l’année prochaine. Je ne sais pas mais probablement, le gouvernement veut que les élections se tiennent avec la nouvelle année financière. »