L’affaire secoue les plus hautes sphères de la police mauricienne. L’Assistant Commissaire de Police (ACP) Lilram Deal se retrouve au centre d’une enquête explosive menée par la Financial Crimes Commission (FCC) sur des soupçons de blanchiment d’argent liés à une somme colossale de Rs 250 millions. S’y ajoutent des allégations impliquant deux hauts gradés de la police, des transactions douteuses, l’acquisition de biens immobiliers et un chèque signé par un ancien commissaire de police. Les rebondissements s’enchaînent alors que la FCC refuse d’accorder la liberté conditionnelle à l’ACP Deal, craignant des risques d’ingérence, de fuite et de destruction de preuves.
L’affaire débute le 28 juin 2022 lorsqu’un chèque de Rs 4,587 millions est déposé sur un compte bancaire conjoint appartenant à Lilram Deal et à son épouse. Selon l’enquête, ces fonds proviendraient de « reward money » octroyé dans le cadre de huit affaires de trafic de drogue signalées à la brigade antidrogue. Le chèque aurait été émis par l’ancien Commissaire de Police, Anil Kumar Dip, comme le confirment les relevés bancaires obtenus par la FCC grâce à une ordonnance de divulgation. Officiellement, ces sommes sont destinées à récompenser les officiers ayant contribué à la lutte antidrogue, mais plusieurs zones d’ombre entourent cette transaction.
Le 18 août 2022, les fonds sont transférés sur le compte personnel de l’ACP Deal. Quelques mois plus tard, le 18 novembre 2024, une partie de cet argent, soit Rs 2 millions, est utilisée pour l’achat d’un véhicule, tandis que le solde, environ Rs 2,587 millions, aurait servi à l’acquisition de terrains et à des travaux immobiliers. Lilram Deal avance que le véhicule, bien qu’enregistré à son nom, appartient en réalité à l’un de ses informateurs, invoquant la nécessité de protéger l’identité de ce dernier, un argument qui peine à convaincre les enquêteurs.
L’enquête prend une dimension encore plus inquiétante lorsque Lilram Deal, lors de ses interrogatoires, met en cause deux hauts gradés de la police, dont un ancien Deputy Commissioner of Police (DCP). Il affirme avoir remis personnellement Rs 500 000 à l’un de ses anciens supérieurs hiérarchiques. Selon la FCC, il n’est pas exclu que d’autres hauts responsables aient également bénéficié de largesses financières, bien que l’ACP Deal ne se soit pas exprimé davantage sur ces soupçons.
Les révélations se sont accumulées lors de l’audience devant le tribunal de Port-Louis le mercredi 25 juin 2025. Robert Seeruthun, Acting Head of Investigation de la FCC, a précisé que l’enquête avait été déclenchée suite à un rapport de la Financial Intelligence Unit (FIU), elle-même alertée par des mouvements suspects sur les comptes bancaires de Lilram Deal et de ses proches. Les sommes déposées seraient largement disproportionnées par rapport au salaire d’un officier de police de son rang.
Une perquisition au domicile de l’ACP Deal a permis de découvrir des documents révélant qu’il envisageait sérieusement d’immigrer au Canada. Par ailleurs, il a effectué pas moins de 42 voyages à l’étranger en cinq ans, un détail qui alimente les soupçons de la FCC quant à un éventuel projet de fuite.
L’affaire du « reward money » soulève également des contradictions au sein des forces de l’ordre. Des policiers de la brigade antidrogue, entendus comme témoins, ont nié avoir réclamé la moindre récompense financière dans le cadre des huit affaires de drogue concernées, remettant ainsi en cause la légitimité de l’émission du fameux chèque.
D’autres zones d’ombre subsistent concernant le financement d’une maison à d’Épinay. Lilram Deal aurait investi dans cette propriété, mais ses explications n’ont convaincu ni ses anciens collègues, entendus eux aussi par la FCC, ni les enquêteurs. Tous affirment n’avoir eu aucune connaissance d’une quelconque affaire de « reward money », fragilisant encore davantage la position de l’ACP Deal.
Sous la pression de la FCC, représentée par les avocats Ghireesh Bundhoo et Elvin Koonjul, le tribunal a décidé de maintenir Lilram Deal en détention, s’opposant à sa remise en liberté sous caution en raison du risque d’ingérence avec des témoins et de destruction de preuves. Ses avocats, Me Roshi Bhadain et Me Yash Bhadain, contestent la solidité du dossier d’accusation et plaident pour sa remise en liberté.
Mais l’enquête est loin d’avoir livré tous ses secrets. La FCC prévoit d’auditionner une trentaine de personnes, dont les deux hauts gradés cités par Lilram Deal, cherchant à remonter toute la chaîne de responsabilités dans cette affaire aux ramifications tentaculaires.
En attendant, la décision finale concernant la demande de remise en liberté de l’ACP Deal sera rendue mardi prochain par la cour de district de Port-Louis. Une affaire qui expose des pratiques opaques au sommet de la police mauricienne et qui pourrait bien relancer le débat sur la transparence et l’intégrité au sein des forces de l’ordre.