Enregistrement des ventes des produits psychotropes : Un ‘tug of war’ s’annonce entre les pharmacies et la Santé

À partir du 1er juin prochain, les pharmaciens du privé doivent enregistrer en ligne toutes les ventes des médicaments psychotropes listés sous la ‘Dangerous Drugs Act’ (DDA). Si a priori, les pharmaciens n’ont aucune objection à cet exercice car ils le font déjà manuellement, ils objectent toutefois à ce que ce soit la MRA qui enregistre ces données, car il n’y aurait aucune garantie quant à la confidentialité par rapport à l’identité des patients, de leur maladies et des médicaments qu’ils prennent. Véritable pomme de discorde entre les pharmaciens et le ministère de la Santé, qui laisse entrevoir un véritable ‘tug of war’ entre pharmaciens et le ministère.

Les pharmaciens à qui nous avons parlé nous expliquent qu’ils sont liés par leur serment par rapport à la confidentialité des patients, et qu’ils ne doivent rien révéler sur l’identité d’un patient qui suit un traitement nécessitant la prise des médicaments psychotropes. Pour les pharmaciens, la MRA est considérée comme une tierce personne, et livrer des informations à celle-ci sur le traitement d’un patient violerait la loi sur la confidentialité due aux patients. Les pharmaciens réclament tous une rencontre avec le ministère de la Santé afin de tirer toute cette affaire au clair.

Arshad Saroar, pharmacien et propriétaire d’une pharmacie privée dans la capitale, nous explique que les pharmaciens ne sont pas contre l’idée de remplir en ligne les données relatives à la vente des psychotropes. Toutefois, il dit ne pas comprendre que vient faire la MRA dans un tel exercice de contrôle.

« Si on nous demandait de soumettre nos données au ‘Pharmacy Board’ du ministère de la Santé, il n’y aurait aucun problème. Mais nous ne sommes pas d’accord avec l’idée de soumettre des informations confidentielles à la MRA. Selon la section 21(4(A) du ‘Finance Bill’, qui amende une ‘Regulation’ de la ‘Dangerous Drug Act’, mention est faite du ‘Pharmacy Board’ et du Secrétaire permanent du ministère de la Santé.  Aucune mention n’est faite de la MRA », insiste notre interlocuteur.

Toujours selon Arshad Saroar, seul un pharmacien, un médecin, un dentiste et un vétérinaire peut avoir accès à une prescription. « Au niveau du ‘Pharmacy Board’, il y a des professionnels de santé. Qu’ils aient accès aux ordonnances, c’est une chose normale. Mais j’insiste pour dire que la MRA n’a rien à faire avec le contrôle des ventes des psychotropes », réitère-t-il.

Autre point souligné par notre interlocuteur : dans le rapport Lam Shang Leen sur le trafic de drogue, mention est faite d’un contrôle informatique des psychotropes, mais la MRA n’y figure pas. Soulignons que ce rapport évoque l’idée d’un contrôle « at the real time », c’est-à-dire au moment même que la vente d’un psychotrope est effectuée.

Dans un autre ordre d’idées, ce pharmacien de la capitale plaide pour que ce contrôle touche aussi les cliniques privées et les hôpitaux. « Si au niveau des pharmacies privées, nous ne vendons que des psychotropes tombant sous la ‘schedule 3’ de la DDA, les cliniques privées et les hôpitaux livrent des psychotropes tombant sous les ‘schedules’ 2, 3 et 4 », précise-t-il. Pour lui, il est donc important que toutes les parties concernées soient visées par cette nouvelle réglementation.  

Ashwin Dookun, également pharmacien, abonde dans le même sens. Membre de la ‘Pharmaceutical Association of Mauritius’, (PAM), il dit d’emblée que la soumission des détails d’un patient à la MRA équivaut au non-respect de la loi sur la confidentialité des patients.

Il trouve cela inacceptable que les noms des patients, la nature de leur maladie et les médicaments qu’ils doivent prendre soient révélés à la MRA. « C’est contre la section 300 de la Constitution qui garantit le droit à la confidentialité », souligne Ashwin Dookun. « Si nous devons soumettre nos données au ministère, il n’y a aucun souci mais pas à la MRA », dit-il.

Siddique Khodabacus, un pharmacien qui fait partie de l’Union des pharmaciens et de l’association regroupant les importateurs des médicaments, trouve également que cette exigence d’enregistrer les ventes de psychotropes en ligne ne doit pas viser que les pharmaciens du privé. « Il n’y a pas que les pharmaciens du privé qui effectuent la vente des psychotropes, mais aussi ceux des hôpitaux et des cliniques privées », fait-il ressortir.

À l’instar de ses deux collègues, il dit ne pas être d’accord avec une approche discriminatoire qui favorise d’autres au détriment des pharmaciens du privé. Lui aussi s’appuie sur la section 21(4)(A) du ‘Finance Bill’ qui fait état que le ‘online report’ soit soumis au PS du ministère de la Santé, et qui ne mentionne nullement la MRA.

Il souhaite qu’une table ronde soit organisée afin de tirer tout cela au clair. « On veut avoir la garantie qu’il n’y aurait point de fuite d’information sur l’identité des patients », conclut-il.

Actions envisagées si…

Si le ministère fait la sourde d’oreille sur leurs doléances, les pharmaciens, qui se sont regroupés au sein d’une fédération, envisagent plusieurs mesures : organiser une marche de protestation dans les rues de Port-Louis, de demander à toutes les pharmacies de fermer les dimanches à partir du 1er juin prochain, de ne plus accepter de paiement par carte de crédit et de fermer tôt les jours de semaine. Ils envisagent aussi de retenir éventuellement les services d’un homme de loi pour les conseiller sur la marche à suivre.

La marge de profit des pharmaciens : un autre point de discorde 

Autre point de discorde : l’annonce du ministère du Commerce de revoir à la baisse la marge de profit allouée aux pharmacies. Actuellement, les pharmacies ont une marge de profit de 21.6 %. « Toutefois, après avoir payé toutes les dépenses du mois (salaires, factures et autres), il ne nous reste que 5 % de cette marge. Or, qu’adviendrait-il si on doit encore réduire cette marge ? », se demande Siddique Khodabacus. Nos deux autres interlocuteurs, Saroar et Dookun, abondent dans le même sens.

ASH