Eric Ng Ping Cheun : « 2023 sera une année difficile sur tous les plans »

Quel ‘feel good factor’ ?

Le Premier ministre, Pravind Jugnauth, lors de son allocution à la nation à l’occasion du Nouvel an, a fait allusion à un « feel good factor » généralisé dans le pays. « Azordi nou kapav trouv enn ‘feel good factor’ partou », avait lancé le PM aux Mauriciens. Y a-t-il vraiment un « feel good factor » surtout sur le plan économique et social ? L’économiste Eric Ng Ping Cheun met les points sur les i. Pour lui, l’année 2023 s’annonce difficile, et il n’y a pas vraiment de raisons de pavoiser. Pour Faizal Jeerooburkhan, ce sont seulement les chatwas du présent régime qui ressentiront un ‘feel good factor’.

Eric Ng Ping Cheun, économiste, ne croit pas qu’il y a vraiment de ‘feel good factor’ chez les Mauriciens. « 2023 sera une année difficile sur tous les plans, que ce soit sur le plan économique ou sur le plan social », fait-il ressortir. Selon lui, le contexte mondial sera lui-même difficile. Il affirme qu’il est fort possible que nous entrions dans une phase de récession globale vu que nous aurons un ralentissement économique sur le plan international. Ainsi, les trois principaux marchés de Maurice, dont l’Europe, les États-Unis et la Chine connaitront un fort ralentissement économique. Les États-Unis feront ainsi face à l’inflation et à une hausse des taux d’intérêt. L’Europe fera, quant à elle, face à une crise énergétique majeure tandis que pour la Chine, le problème de la Covid-19 sera toujours là, vu que la situation sur le plan sanitaire s’aggrave dans ce pays de jour en jour.

« Il faut dire que le contexte international demeurera très difficile cette année, et que Maurice ne sera pas épargné », résume l’économiste. Pourquoi Maurice est-il si vulnérable ? « Maurice ne sera pas à l’abri de cette récession mondiale car nous sommes une économie très ouverte par rapport à nos importations et exportations », explique-t-il. Selon les prévisions de ‘Statistics Mauritius’ pour 2023, notre secteur manufacturier connaîtra un certain ralentissement. Ainsi, le taux de croissance pour notre secteur manufacturier sera de l’ordre de 1, 5 %, comparativement à 3 % l’an dernier. « Nos principaux marchés d’exportation sont les pays européens. Avec la récession qui va affecter ces pays, notre volume d’exportations sera moindre cette année », explique Eric Ng Ping Cheun.

En ce qui concerne le secteur touristique, le gouvernement vise un objectif de 1,4 million de touristes cette année. Toutefois, l’économiste se montre plutôt pessimiste en ce qui concerne cet objectif fixé par le gouvernement. « Vu la récession mondiale, je me pose la question si cet objectif pourra bien être atteint. Cela reste à voir », dit-il.

L’inflation grandissante

En ce qui concerne le taux d’inflation, il soutient que l’inflation continuera à augmenter durant les prochains mois. « Il n’y aura pas d’accalmie de sitôt », lance-t-il. Dans ce même contexte, il avertit aussi que la hausse du tarif d’électricité à partir du 1er février pourrait provoquer un effet ‘boule de neige’, provoquant une flambée de prix d’autres produits. « Le taux d’inflation restera à deux chiffres durant les premiers mois de l’année », souligne-t-il.

Il pense toutefois que les hausses successives du taux directeur par la Banque de Maurice auront un effet durant le deuxième semestre de l’année, vu qu’il y aura moins de pression au niveau de la demande. Toute accalmie du taux d’inflation pour cette année prendra ainsi du temps. On pourrait alors espérer que le taux d’inflation redescende en dessous de la barre des 10 %.

Vu que la récession mondiale qui s’annonce sera déflationniste, le prix des produits pétroliers pourra aussi connaitre une baisse. Néanmoins, il réitère que ces changements sont pour le deuxième semestre de cette année.

Faizal Jeerooburkhan : « Feel good factor seulement pour les chatwas qui bénéficient de largesses »

L’observateur politique Faizal Jeerooburkhan souligne, pour sa part, que la situation sociale d’un pays est tributaire du contexte économique, environnemental et international dans lequel il se trouve. La situation sociale est donc indissociable des décisions politiques qui ont été prises ces dernières années ou qui seront prises au cours de l’année. Abordant le contexte économique, il fait ressortir que les indicateurs économiques sont plutôt alarmants, avec une croissance stagnante, la dette publique à un niveau inquiétant, et la balance des paiements anormalement déficitaire. De plus, le pays a une dépendance extrême sur les marchés extérieurs pour ses importations et exportations et aussi en ce qui concerne le tourisme, ce qui nous rend très vulnérable.

Sur le plan environnemental, il affirme que la dégradation de notre environnement terrestre et marin est une menace sérieuse pour les pêcheurs, les planteurs, les éleveurs et toutes ces petites et moyennes entreprises (PME) qui dépendent de nos ressources naturelles pour survivre. Sur le plan du processus de prise de décision politique, il y a eu plusieurs mesures populistes qui occasionnent le gaspillage des fonds publics, ou encore de gros projets infrastructurels, qui sont budgétivores et non-productifs qui ont été initiés. Faizal Jeerooburkhan dénonce ainsi « les stratégies concoctées en cercle fermé et dans l’opacité totale, par des conseillers politiques souvent incompétents, qui n’aboutissent jamais aux résultats escomptés ».

En ce qui concerne la situation sociale, Faizal Jeerooburkhan constate que la pauvreté gagne du terrain, avec le cercle vicieux de la dévaluation de la roupie et l’inflation. Les prix des denrées alimentaires, des médicaments, ou encore ceux des matériaux de construction, entre autres, grimpent continuellement, alors que les taxes sur les produits pétroliers sont maintenues, réduisant le pouvoir d’achat des consommateurs. L’écart entre riches et pauvres se creuse davantage, et ceux au bas de l’échelle doivent avoir recours à beaucoup d’imagination et d’efforts rien que pour survivre.

Il convient aussi de parler de certains fléaux sociaux, et leurs effets néfastes sut la société mauricienne, tels que la drogue synthétique qui gagne du terrain ; l’insécurité et la criminalité grandissante ; la perte des valeurs résultant dans l’éclatement de la cellule familiale ; la violence domestique qui prend de l’ampleur ; la fraude, la corruption ou le népotisme, qui ont encore de beaux jours devant eux. Il y aussi bien d’autres problématiques sociales, comme la distribution erratique d’eau ; le « mismatch » entre la formation et le monde du travail, et le chômage, surtout chez les jeunes.

Dans un tel contexte, notre interlocuteur indique que c’est difficile de parler de « feel good factor » pour la majeure partie de la population. « Quoique pour les ‘chatwas’ qui bénéficient des largesses du gouvernement au détriment des autres, le ‘feel good factor’ est indéniable. Les grandes déclarations premierministérielles sur l’amélioration de la qualité de vie des citoyens ne sont que pour la galerie et le clientélisme politique », conclut-il.