Eric Ng Ping Cheun, économiste : « Effets moins, mais répercussions aussi sévères que 2020 »

  • « Une deuxième opportunité au gouvernement pour venir avec des réformes structurelles »

Q : Comment s’annonce ce deuxième déconfinement sur le plan économique ?

Ce deuxième confinement a impacté l’année de la reprise. Celle-ci sera lente et il faudra maintenant tout reprendre à zéro. Le gouvernement n’avait pas prévu qu’il aura à dépenser plusieurs milliards de roupies pour un deuxième confinement. Il a été pris de court. Certes, les effets sont moins que ceux de l’année dernière parce que le premier confinement avait duré 72 jours alors qu’il n’a duré que 52 jours cette année-ci, d’autant qu’il y a eu un déconfinement partiel en avril. Mais si les effets sont moins, les répercussions, elles, sont tout aussi sévères que l’année dernière.

Q : Ce qui complique donc les choses, n’est-ce pas ?

Définitivement. Le premier confinement avait été précédé d’une année de croissance positive, soit une croissance de 3% en 2019. On avait donc pu tenir le coup. Mais le second confinement est arrivé juste après une année marquée par une forte contraction économique, soit de l’ordre de 15%. Raison pour laquelle je dis que les répercussions sont tout aussi sévères, surtout pour les PME et le secteur informel.

Q : Quels sont les secteurs qui ont été le plus touchés ?

Le secteur touristique demeure le plus touché. Même Moody’s ne prévoit pas d’un retour à la normale avant 2024. Pourtant, l’année dernière, de grands opérateurs touristiques s’étaient dit confiants de pouvoir remonter la pente en 2021. J’y avais cru d’ailleurs. Mais le deuxième confinement a tout basculé. Avec les nouveaux variants et la vaccination qui prend du retard, 2021 est une autre année de perdue pour le tourisme.

Même avec l’ouverture des frontières, les touristes ne reviendront que très lentement, surtout avec le développement de la pandémie en Europe et en France. Et puis, au niveau de nos transporteurs aériens, on ne sait toujours pas ce qu’adviendra d’Air Mauritius. Bref, je suis très inquiet pour le tourisme. Est-ce qu’il pourra se relever ? Je me demande s’il pourra tenir jusqu’à 2024. Le gouvernement pourra-t-il continuer à subventionner financièrement les opérateurs touristiques jusqu’à 2024 ?

Le secteur offshore a aussi été touché. On pensait que le pays pourra sortir de la liste noire de l’Union Européenne d’ici la fin de 2021, mais cela n’a pas été possible. J’espère qu’on y réussira en 2022. Entretemps, il n’y a pas eu de nouveaux investisseurs qui sont passés par l’offshore mauricien. D’ailleurs, on a perdu notre compétitivité par rapport à l’Inde.

Il y a maintenant un deuxième problème qui se pointe à l’horizon avec la proposition de Joe Biden d’imposer une taxe minimum globale de 21% aux États-Unis. Il veut que les pays membres de l’OCDE ainsi que l’Europe adoptent aussi une telle taxe globale. Si cela se concrétise, les investisseurs éviteront de passer par notre offshore.

La part du secteur manufacturier dans l’économie mauricienne continue à baisser. D’où la nécessité de le diversifier. Les opérateurs doivent prendre avantage des accords de libre-échange signés avec l’Inde, la Chine et l’Afrique pour exporter leurs produits. Finalement, il nous faut aussi diversifier et revigorer nos autres secteurs, dont les TICs et les services financiers.

Q : Le ministre des Finances a-t-il une marge de manœuvre suffisante pour venir en aide aux secteurs en difficulté ?

De prime abord, je dirais qu’elle est pratiquement nulle. Les recettes fiscales sont drastiquement en baisse. Il pourrait y avoir quelque Rs 6 – 7 milliards qu’il lui reste des Rs 60 milliards obtenus de la Banque de la Maurice. Si on compte les économies faites sur des projets qui n’ont pu aller de l’avant, cette somme pourrait revenir à une quinzaine de milliards de roupies. Mais je ne pense pas que ce soit suffisant pour relancer l’économie et de venir en aide au secteur corporatif et aux entreprises.

Il n’aura pas d’autre choix que de réduire les dépenses publiques ainsi que les projets de développement de 5 à 10% par rapport à une année normale. Il s’était déjà fixé comme objectif de réduire 25% des dépenses courantes. Je ne crois pas cependant qu’il le fera puisque la majorité des dépenses courantes est composée de salaires des fonctionnaires et de la pension de vieillesse. S’il le fait, ce sera politiquement coûteux pour le gouvernement.

Q : L’année dernière, vous aviez évoqué une opportunité ratée du gouvernement pour relancer l’économie. Pensez-vous qu’il pourra se rattraper cette fois-ci ?

Le gouvernement a maintenant une deuxième opportunité pour venir de l’avant avec des réformes structurelles. L’année dernière, il n’a fait que dépenser, taxer et imprimer de l’argent en faisant de l’impasse sur les réformes structurelles alors qu’une crise nous donne toujours une occasion pour faire des réformes profondes tant dans le secteur et les entreprises publics qu’au niveau de la gouvernance économique et politique du pays.

Il ne pourra plus se permettre d’aider toutes les entreprises indistinctement. Il a peut-être pu le faire l’année dernière avec les Rs 60 milliards de la Banque de Maurice, mais le ministre des Finances a lui-même soutenu qu’il ne puisera pas de nouveau dans les réserves de celle-ci car le Fond Monétaire International (FMI) et Moody’s l’ont mis en garde contre cette pratique hautement inflationniste. Il lui faudra donc aider uniquement les entreprises qui sont viables et qui ont des potentiels de croissance.

Le gouvernement devra aussi venir avec des mesures incitatives pour que des investisseurs privés injectent des fonds propres dans les PMEs. Mais pour cela, il faut que les PMEs prônent une culture d’ouverture.

Propos recueillis par Zahirah RADHA

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L’économiste trouve inconcevable que les banques sont restées fermées mercredi en raison de l’avis de pluies torrentielles alors qu’on ambitionne de devenir un centre financier. Résultat : la bourse mauricienne, explique-t-il, n’a pas opéré non plus. Ce qui est regrettable, d’autant que les transactions bancaires se font désormais par voie électronique. « Même l’année dernière, nous avions été le seul pays africain où la bourse était inopérationnelle pendant trois semaines bien qu’il y eût le confinement. Nous avons de grandes ambitions pour devenir un centre financier international, mais nous avons toujours une approche bien sordide », martèle Eric Ng Ping Cheun.