Gangréné par les scandales

Dossier

Gouvernement Lepep

It never rains but it pours, selon l’adage anglais. Depuis l’arrivée au pouvoir en 2014 de l’Alliance Lepep, les scandales se sont enchaînés à un rythme effréné, au point que l’on est tenté de dire qu’il ne se passe pas une semaine, voire un jour sans qu’un scandale n’éclate. Valeur du jour, après trois années au pouvoir, le palmarès de ce gouvernement est éloquent. L’ironie est que ce dernier a été élu sur le slogan ‘viré mam’, avec à la clé la création d’un ministère de la Bonne gouvernance pour justement prévenir ces abus. Faudrait-il le changer en ‘récidivé mam’ ?

Pot-de-vin, corruption, conflit d’intérêt, passe-droits, salaire mirobolant, détournement de fonds, blanchiment de l’argent sale… tout y est. En outre, les personnalités les plus éminentes de la République, censés garantir nos lois et nos institutions, ont même été impliqués, à divers degrés : la Présidente de la République, le Premier ministre, la Speaker de l’Assemblée, et l’Attorney General.

À cela, il faut ajouter le favoritisme et le népotisme en ce qui concerne les proches, qui bénéficient de plusieurs privilèges et avantages, sans oublier les écarts de langage de nos élus.

 « Ce qu’il y a de scandaleux dans le scandale, c’est qu’on s’y habitue ». Cette citation de Simone de Beauvoir, femme de lettres française, sied bien à la population mauricienne, notoirement connue pour avoir la mémoire courte. Sunday Times dresse ici la liste des nombreux scandales qui ont émaillé le parcours de ce gouvernement depuis son accession au pouvoir.

 

Mars 2014

Le sort du Premier ministre entre les mains du Privy Council

Autant dire que ce gouvernement a débuté son mandat avec l’épée de Damoclès, l’affaire MedPoint, suspendue sur la tête de Pravind Jugnauth.

C’est en 2010 que tout a débuté avec la signature du contrat de vente entre le gouvernement PTr-MSM-PMSD et la clinique MedPoint. Pravind Jugnauth est alors aux Finances. Paul Bérenger, leader de l’Opposition, allègue qu’il y a un conflit d’intérêt, car Pravind Jugnauth est actionnaire de MedPoint.

En mars 2014, le procès de ce dernier débute à la Cour intermédiaire et en juin 2015, Pravind Jugnauth est reconnu coupable sous la Prevention of Corruption Act (PoCA) et démissionne comme ministre. En mai 2016, Pravind Jugnauth est acquitté en appel.

Le Directeur des poursuites publiques, Satyajit Boolell a obtenu le 22 juin dernier l’autorisation de faire appel devant le Conseil privé de la Reine du jugement de l’acquittement de Pravind Jugnauth.

Décembre 2015

La Korean Connection de Youshreen Choomka

Ce ne sont pas seulement les ministres et les députés de ce gouvernement qui font l’objet de scandales, mais aussi certains nominés politiques. Youshreen Choomka, nommée à la présidence du conseil d’administration de l’Independent Broadcasting Authority (IBA), se retrouve au centre d’un seukaendeul (scandale dans la langue coréenne) avec l’implication d’un ressortissant sud-coréen Soo Song Lee. Ce dernier aurait versé 35 000 dollars sur le compte personnel de Youshreen Choomka entre décembre 2015 et février 2016. Un Fact Finding Committee a été institué par le Premier ministre pour faire la lumière sur cette affaire.

 Mars 2016

Euro Loan saga

En mars 2016, l’Express révèle que l’ex-ministre des Finances et actuel ministre des Affaires étrangères Vishnu Lutchmeenaraidoo a contracté auprès de la SBM un prêt de 1,1 millions d’euros (environ Rs 40 millions) à un taux d’intérêt de 1,5 %. L’ICAC démarre une enquête. Entretemps, Vishnu Lutchmeenaraidoo crie au « complot orchestré par Roshi Bhadain », ancien ministre des Services financiers et de la Bonne gouvernance.

Dans un communiqué en date du 24 mars 2017, le DPP explique que l’ICAC n’a pas suffisamment de preuves pour établir que Vishnu Lutchmeenaraidoo ait commis le délit de public official using his office for gratification et influencing public official, respectivement sous les articles 7 et 9 de la Prevention of Corruption Act (PoCA). Satyajit Boolell prononce un non-lieu en faveur du ministre.

Mars 2016

Les « bals kouler » de Raj Dayal

Après l’affaire d’Euroloan, les scandales vont pleuvoir, à commencer par le fameux « bal kouler » dans lequel était impliqué l’ancien ministre de l’Environnement Raj Dayal. Le 22 mars 2016, l’homme d’affaires Patrick Soobhany, déposant devant l’ICAC, accuse Raj Dayal de lui avoir demandé un pot-de-vin de Rs 1,1 million pour l’achat de « 50 bal kouler » pour les célébrations de la fête Holi dans sa circonscription au no 9. En contrepartie, Patrick Soobhany se verrait obtenir une licence EIA pour un projet immobilier à Gros-Cailloux.

Le 23 mars 2016, le Premier ministre d’alors, sir Anerood Jugnauth demande à Raj Dayal de step down. Il est arrêté le 6 avril 2016 et, tout comme Lutchmeenaraidoo, crie au complot. Raj Dayal dépose même une plainte pour complot allégué. Toutefois, la cour va set aside sa plainte le 6 septembre 2017.

Avril 2016

Il y a concombre de mer sous roche…

Cette affaire éclate en avril 2016. Mauricoast, une société appartenant à Yashodar Boygah, l’époux de la Private Parliamentary Secretary Sandhya Boygah, a beneficié de 46 hectares d’un ancien barachois de l’État à Poudre d’Or pour un projet de culture de concombres de mer, aussi connu par le nom de bambara. Cela sans avoir à débourser le moindre sou, il n’aura pas à payer de location-bail pour son projet.

Août 2016

Heritage City : On / Off / On / enterré

C’était un projet immobilier qui se voulait être un héritage de sir Anerood Jugnauth à la nation mauricienne et que Roshi Bhadain tenait particulièrement à cœur. Il devait coûter Rs 28 milliards et devait être prêt d’ici 2019, mais le Conseil des ministres a tué dans l’œuf ce 5 août 2016 ce projet mal ficelé.

C’est en Arabie Saoudite que le projet Heritage City, les contes de mille et une nuits revus et corrigés par Roshi Bhadain, serait né.  Annoncé en grande pompe dans les conférences de presse, les smart cities, qui devaient être l’un des grands axes de développement, selon Vishnu Lutchmeenaraidoo, alors ministre des Finances, sont mis au rencart.

Le dossier Heritage City sera confié contre toute attente à Roshi Bhadain, alors ministre de la Bonne gouvernance.  Toutefois, le roi d’Arabie Saoudite ne finance pas le projet et n’accorde même pas un prêt pour sa réalisation.

Devant le scepticisme général, un document émanant du senior adviser de Pravind Jugnauth, Gérard Sanspeur, nommé depuis peu comme président de la State Land Development Commission, affirme en substance que Heritage City comporte des failles intrinsèques, topographiques comme financières.

Janvier 2017

Deal Papa-Piti : le poste de PM serait-il héréditaire ?

En début d’année, la population allait connaître un changement à la tête du pays. Sir Anerood Jugnauth quitta le poste de Premier ministre pour laisser sa place à son fils, Pravind Jugnauth. Le 23 janvier, la passation de pouvoir a eu lieu et Pravind Jugnauth devint Premier ministre alors que sir Anerood Jugnauth va être nommé ministre Mentor au sein du gouvernement. Outre les multiples contestations en Cour suprême concernant la constitutionalité du poste de ministre Mentor, la légitimité de Pravind Jugnauth à revêtir le manteau de Premier ministre  a toujours été mise en question par une bonne partie de l’électorat mauricien.

Février 2017

Biscuitgate : la Speaker au centre de la controverse

Sheila Hanoomanjee, la fille aînée de la Speaker Maya Hanoomanjee, est la directrice de la compagnie Rum & Sugar Ltd, qui est le fournisseur de biscuits auprès de la Mauritius Duty Free Paradise (MDFP), entreprise qui gère les boutiques hors-taxes de l’aéroport SSR. La polémique enfle lorsqu’il est révélé que la registered address de Rum & Sugar Ltd est à Flic-en-Flac, soit à l’adresse de la résidence officielle de Maya Hanoomanjee. Shakeel Mohamed, chef de file du Parti travailliste au Parlement, avait déposé une motion de censure contre la Speaker le 20 février, mais qui n’a pas connu de suite.

Mars 2017

Le salaire mirobolant de Vijaya Sumputh

En 2015, quelques mois après les élections de décembre 2014, Vijaya Sumputh, proche d’Anil Gayan, est propulsée à la tête de la Cardiac Unit de Pamplemousses, sans passer par un appel à candidature. Le 28 mars 2017, soit presque deux ans après sa nomination, l’affaire Sumputh prend une nouvelle tournure lorsque le nouveau ministre de la Santé, Anwar Husnoo révèle au Parlement que cette proche de Gayan touchait un salaire de Rs 323 200 mensuellement en tant que directrice du Centre cardiaque. Par comparaison, son prédécesseur touchait un salaire mensuel de Rs 117 000. Une enquête avait même été instituée pour faire la lumière sur cette affaire. Ces révélations avaient conduit à la démission de Sumputh de son poste.

Mars 2017

Sobrinho saga

En mars 2017, toute la classe politique ainsi que la présidence de la République est secouée par l’affaire Alvaro Sobrinho, homme d’affaires angolais et fondateur de Planet Earth Institute (PEI), qui a eu des démêlés avec la justice de l’Angola, du Portugal et de la Suisse.

Alvaro Sobrinho débarque à Maurice et fait une demande auprès de la Financial Services Commission (FSC) pour plusieurs permis pour ses sociétés, qui seront éventuellement alloués par cette instance. Entre temps, Sobrinho fait l’acquisition de sept berlines – quatre Range Rover et trois Jaguar – au coût de Rs 40 millions. Certains ministres et députés de la majorité sont montrés du doigt. Dans les rangs gouvernementaux, on se regarde en chiens de faïence.

La présidente de la République, Ameena Gurib-Fakim, va malgré elle, s’inviter dans cette affaire. Elle serait intervenue auprès de la FSC pour que son ami portugais obtienne les licences susmentionnées. Répondant à une PNQ le 4 avril 2017, le Premier ministre Pravind Jugnauth explique que suite à la demande de Dass Appadoo, secrétaire de la présidente, Sobrinho a eu accès à 31 reprises au VIP Lounge de l’aéroport SSR. On apprend aussi, aux dires de Pravind Jugnauth, que Planet Earth Institute a pris en charge les frais de mission d’Ameena Gurib-Fakim au QG de la Food and Agricultural Organisation (FAO) à Rome.

 Avril 2017

Wenda Sawmynaden : une montée fulgurante

La notaire Wenda Sawmynaden, épouse du ministre Yogida Sawmynaden, aurait représenté les intérêts de divers organismes publics depuis que le MSM a accédé au pouvoir.  La valeur totale de ses rémunérations s’élèverait à plusieurs millions de roupies. Notons que les services de Wenda Sawmynaden avaient été retenus pour le rachat de l’hôpital privé Apollo Bramwell.

 

 Juin 2017

Corruption : Soodhun refait parler de lui !

En juin 2017, un nouveau scandale éclate, impliquant cette fois-ci Showkutally Soodhun. Les faits remontent à janvier 2015. Ayant appris que le gouvernement fraîchement élu aux législatives de décembre 2014 projetait de construire 10 000 ‘low cost houses’ pour les familles démunies, l’homme d’affaires indien Kedar Chapekar, qui dit avoir des amis à Maurice, décide d’approcher Showkutally Soodhun pour lui présenter son projet. L’indien allègue que : « Showkutally Soodhun a demandé un million de roupies.»

Juin 2017

Accusation de détournement de fonds contre Sesungkur

Le 16 juin 2017, Roshi Bhadain claque la porte du gouvernement. Il est remplacé aux Services Financiers et à la Bonne Gouvernance par Sudhir Sesungkur. La nomination de ce dernier fait grincer des dents dans les rangs de l’opposition. La raison : une plainte pour détournement de fonds par Kriti Taukoordass, représentant de Mazars Group à Maurice.

Septembre 2017

Yerrigadoo dans la gadoue

L’affaire Bet365 : ce scandale digne d’un polar a tenu le pays en haleine pendant des jours. Des allégations sont faites à l’Express par Husein Abdool Rahim contre Ravi Yerrigadoo, l’Attorney General, à l’effet que ce dernier aurait utilisé sa fonction pour blanchir de l’argent sale.  Le Premier ministre demande à ce dernier de step down le 13 septembre 2017. Suite aux rétractations de Husein Abdool Rahim, trois journalistes de l’Express ont été arrêtés par la Central CID avant d’être relâchés.

Septembre 2017

Kalyan Tarolah a la langue bien pendue

Ce Private Parliamentary Secretary (PPS) et député de Montagne-Blanche/ GRSE est au centre d’une controverse depuis maintenant une semaine. Alors que les débats parlementaires entourant le ‘Land Drainage Authority Bill’ se déroulaient le 11 avril 2017, le PPS Kalyan Tarolah aurait d’autres chats à fouetter. Selon son ancienne petite amie, Latchmee Devi Adheen, qui a consigné une déposition à la police contre le PPS, ce dernier lui aurait envoyé des sextos et des clips obscènes par WhatsApp alors qu’il se trouvait à l’Assemblée nationale.

Les 37 visites effectuées par la PPS Roubina Jadoo-Jaunbocus

Après la saisie de 157 kilos d’héroïne en mars dernier, le gouvernement n’avait pas d’autre choix que d’instituer une commission d’enquête présidée par l’ancien juge Paul Lam Shang Leen. C’est grâce aux travaux de la commission que la population a appris que la Parliamentary Private Secretary (PPS) Roubina Jadoo-Jaunbocus avait rendu visite à 37 détenus en 2008 et 2009. Interrogé par Paul Lam Shang Leen, la PPS avait fondu en larmes.

Autre nom cité par la commission Lam Shang Leen, celui de Me Sanjeev Teeluckdharry, actuel Deputy Speaker de l’Assemblée nationale. Lors de son audition le 7 juillet dernier, Me Teeluckdharry paraissait nerveux quand des questions portant sur Peroomal Veeren lui étaient adressées. C’est ce qui devait pousser Paul Lam Shang Leen à lui demander « pourquoi il était agité et sur la défensive ? »

La politique des petits copains à outrance

Depuis que l’actuel gouvernement est au pouvoir, il y aurait plusieurs proches des ministres ou députés qui siègent sur les boards ou qui ont pris de l’emploi dans des corps paraétatiques. Nous avons dressé une liste de ces personnes recrutées de même que leur lien avec un membre du gouvernement.

  • Chand Bhadain, père de Roshi Bhadain, alors ministre de la Bonne gouvernance, est nommé en février 2015 à la présidence de Banque de développement (DBM). Il a par la suite démissionné de son poste.
  • Naila Hanoomanjee, la fille cadette de la Speaker de l’Assemblée nationale Maya Hanoomanjee, est nommée en novembre 2015 comme Chief Executive Officer (CEO) de la State Property Development Company Ltd.
  • Jugdish Bundhoo, le beau-frère du ministre de l’Agro-industrie Mahen Seeruttun, a été nommé comme CEO de la Mauritius Cane Industry Authority en novembre 2015.
  • En novembre 2015, le fils du ministre Anil Gayan a reçu un job à la State Bank of Mauritius.
  • Pravin Jhugroo, cousin de Mahen Jhugroo, est nommé en février 2016 comme CEO du Sugar Investment Trust.

Écarts de langage

Il ne faut pas oublier les écarts de langage des élus du présent gouvernement.

Il y a eu le tristement célèbre épisode où Soodhun aurait proféré des menaces de mort contre Xavier Luc Duval lors d’une célébration de la fête Eid. Suivant les conclusions de l’enquête de la police, le vice-premier ministre et numéro 4 du gouvernement sera poursuivi sous l’article 156(1) du criminal code.

Ravi Rutnah, le Deputy Chief Whip, a quant à lui, récemment traité une journaliste de l’Express de « femelle lisien », ce qui a soulevé un tollé des organisations féminines. Le député a démissionné du Parliamentary Gender Caucus.