Illusion

S’il y a un pari que le tandem Jugnauth-Padayachy a gagné haut la main avec le dernier exercice budgétaire, c’est de calmer – temporairement – les nerfs. Le gouvernement a fait croire qu’il privilégie la carotte au bâton. Ainsi donc, au lieu de prendre des mesures pénibles, il a cherché la facilité en distribuant de l’argent à tout le monde. Chacun y trouve pour son compte : les salariés, les pensionnaires, les futurs parents. Rs 1000 à gauche, Rs 2000 à droite. Pas de hausse apparente de prix dans l’immédiat, sauf pour les cigarettes et les boissons alcoolisées. Pas d’augmentation de la TVA. Subsides additionnels sur les denrées de base. Prix contrôlés pour certains produits. Abolition de la taxe municipale. Qui dit mieux ? Du coup, Renganaden Padayachy est devenu le magicien que Vishnu Lutchmeenaraidoo n’a pas pu être avant qu’il ne retourne à ses méditations en 2019. En vérité cependant, le faux magicien n’a pas fait de miracle. Comme Lutchmeenaraidoo l’avait promis de faire. Padayachy nous a simplement présenté un mirage. En misant sur une illusion monétaire. Et dont l’illusionnisme sera de courte durée. Avant que la dure réalité ne nous explose en pleine figure.

Décryptons les mesures les plus populaires. Malgré les attentes, Padayachy n’a pas augmenté les salaires de base pour compenser la perte du pouvoir d’achat. Il a plutôt opté d’accorder une allocation de Rs 1000 aux salariés. Beaucoup n’y voient que du feu. Le hic, c’est que ce soutien financier n’est que provisoire et s’expirera au bout d’un an. Contrairement à une hausse salariale qui est durable. Et ce pendant que l’inflation et les prix menacent de grimper davantage, en impactant de plus belle sur les bourses. Ces Rs 1000 que le gouvernement nous fait d’ailleurs miroiter, il les sortira de nos propres poches. Puisque les prix des carburants n’ont pas changé, en dépit des revendications populaires. Nous continuerons ainsi de payer presque 50% de taxe sur le prix de chaque litre d’essence. En courant le risque de voir ce prix encore grimper dans les semaines et les mois qui suivent, résultant de la guerre russo-ukrainienne. Et la cascade de majorations qu’elles entraîneront dans son sillage. Nous n’avons ainsi aucune raison de nous réjouir. Au contraire, le gouvernement a semé le vent, mais c’est nous, toute la population confondue, qui récolterons la tempête. Dans pas longtemps.

Quid de la hausse de la pension par Rs 1000 pour ceux âgés de 60 à 65 ans et Rs 2000 (dont Rs 1000 provenant de la CSG) pour ceux âgés de plus de 65 ans ? Oui, c’est un ouf de soulagement pour nos seniors. Mais il ne faut pas en faire tout un plat car il s’agit avant tout de leurs dus. N’oubliez pas que les pensionnaires ont été privés d’une compensation salariale depuis 2020 alors qu’ils ont été durement impactés par la cherté de la vie et la hausse vertigineuse du prix des médicaments, dont certains manquent désespérément à l’appel dans les hôpitaux. Faut-il aussi ajouter que l’utilisation précoce et abusive des fonds de la CSG, en 2022 au lieu de 2023, entraînera probablement une hausse de cette contribution à l’avenir, comme nous le prévient l’économiste Eric Ng Ping Cheun (lire interview en pages 6-7). Éventuellement, nous la paierons très cher cette augmentation de la pension. Et nous ne sommes même pas encore arrivés aux Rs 13 500 promises. Nos enfants et petits-enfants devront assumer cet écrasant fardeau, d’autant que la dette publique, quoique bien maquillée par Padayachy, ne fléchit pas.

Qu’on ne se trompe pas. Le budget de Padayachy est empreint de desseins électoralistes. En atteste l’abolition de la taxe municipale. En fait, le gouvernement de Pravind Jugnauth fait d’une pierre deux coups. Primo, il fait un clin d’œil à l’électorat urbain dans le sillage des élections municipales, sachant que les citadins ne tiennent pas son gouvernement en odeur de sainteté, comme démontré par les événements survenus dans la ville de Manhattan (Phoenix) récemment. Il espère ainsi avoir au moins un argument en sa faveur au cas où il décide d’aller de l’avant avec les municipales, une provision de Rs 177 millions ayant été faite à ce chapitre. Et secundo, il se garde de froisser l’électorat rural sur qui le Premier ministre mise beaucoup pour le soutenir aux prochaines élections, en s’appuyant sur l’apport inconditionnel des associations socio-culturelles. Il ne faut pas être sorcier pour savoir que, dans la pratique, une taxe rurale aurait été nettement plus rentable pour l’État que la taxe municipale. Car les plus grandes richesses ne se trouvent dans les villes comme on aurait pu le croire, mais dans les villages et sur les côtes. L’enjeu électoral est cependant beaucoup trop grand pour que Pravind Jugnauth daigne y toucher, au risque de se brûler les doigts.

On peut encore y aller en long et en large. Mais ce qu’il nous faut essentiellement retenir, c’est que la politique prônée par le gouvernement Jugnauth n’a pas changé d’un iota. L’opacité, la dilapidation des fonds publics et la manipulation des chiffres restent les mots clés. Et cette réalité ne changera pas, malgré toutes les vociférations et les revendications.