Interview de Pierre Dinan: « Je ne crois pas au miracle économique »

Pierre Dinan, observateur économique : « Je ne crois pas au miracle économique »

L’observateur économique Pierre Dinan, affirme dans une interview accordée au Sunday Times, que l’économie de notre pays tourne autour de ses capacités et ajoute que la force de la roupie mauricienne dépend de la bonne santé de notre économie. Il fait comprendre que les investisseurs se raréfient et que les exportations se font plus difficiles. Concernant le projet de Heritage City, il déclare que certains sont anxieux de laisser un héritage et soutient que les ‘Smart Cities’ doivent attirer de nouvelles activités et favoriser de nouveaux créneaux. L’observateur économique estime également que le démantèlement de la BAI était un mal nécessaire. Pierre Dinan soutient qu’il ne croit pas au miracle économique qui, dit-il, requiert l’intervention divine.

   Sanjay BIJLOLL

 

Q : Le gouvernement de l’Alliance Lepep est au pouvoir depuis 17 mois déjà. Quel est votre constat sur le plan économique ?

R : Je note que l’économie tourne au-dessous de ses capacités. Il ne faudrait toutefois pas tout mettre sur le dos du nouveau gouvernement. Bien sûr, qu’il a son rôle à jouer en matière de stabilité politique et d’un environnement propice  au développement économique. Mais il faut quand même, aussi, souligner que la situation économique mondiale n’est pas porteuse depuis plusieurs années et dont on ne sait pas quand la bonne santé reviendra.

 

Q : Que doit faire  le Grand argentier pour relancer l’économie, attirer l’investissement et créer des emplois pour les jeunes ?

R : Le ministre des Finances doit d’abord créer ce que j’appellerais un environnement propice à l’investissement. Pravind Jugnauth doit montrer que le ministre des Finances a vraiment la main haute sur l’économie. La population, dans son ensemble, aussi bien que des investisseurs veulent des signaux clairs sur les stratégies du gouvernement en matière du développement économique.

Il va sans dire que la recherche des investissements doit avoir comme objectif principal la création d’emplois surtout pour les jeunes, mais aussi pour les femmes.

 

Q : La Banque mondiale table sur un taux de croissance de 3,7% de l’économie mauricienne en 2016 et anticipe un taux semblable pour les années 2017 et 2018. Quel est votre avis sur le taux de croissance de l’année en cours ?

R : Reconnaissons d’abord qu’un taux de croissance légèrement inférieur à 4% n’est pas négligeable. Malheureusement, ce n’est pas assez en regard de l’aspiration légitime de Maurice de se développer davantage afin de rehausser les revenus du pays. Il faut donc hausser le taux de la croissance, et pour y arriver, il y a des conditions nouvelles à remplir, notamment en ce qui concerne l’innovation, la recherche et la productivité.

                                     «  L’économie de notre pays tourne au-dessous de ses capacités »

 

Q : Pensez-vous  que le taux de l’inflation, qui est relativement bas, reflète le panier de la ménagère dans les supermarchés et le coût de la vie ?

R : Il faut se rappeler que le panier de la ménagère qui est présentement utilisé par Statistics Mauritius date de près de quatre ans, c’est-à-dire depuis 2012.

Le prochain panier sera calculé à partir d’un relevé des budgets familiaux au cours de l’année 2017. Il est donc possible que le présent panier ne reflète pas tout à fait la réalité. Mais ce n’est pas la faute des statisticiens. C’est plutôt parce que les goûts et habitudes de consommation ont changé au cours de ces dernières années vu le rapide développement dans la société mauricienne. Cela dit, je n’ai  pas de raison de mettre en doute le taux de l’inflation, lequel est surtout influencé par les importations comme le pétrole et les articles de consommation courante.

 

Q : Etes-vous d’accord avec ceux qui disent que sans une croissance économique et une réduction des inégalités, il sera difficile d’éradiquer la pauvreté à Maurice ?

R : Oui, je suis d’accord sur ce que vous avancez. Or, je voudrais préciser que les deux facteurs que vous citez, dont la croissance économique et la réduction des inégalités, sont dans le bon ordre. Mais j’aimerais faire passer  le message aux Mauriciens en général, c’est qu’il faut se battre pour améliorer l’économie du pays non pas pour se glorifier d’avoir atteint le sommet, mais parce qu’il est impératif de réduire les inégalités.

 

Q : La Banque de Maurice a décidé de maintenir le Key Repo Rate à 4,4%. Etiez-vous d’accord au moment du vote et est-ce que ce taux va changer lors du prochain comité du Monetary Policy Committee (MPC) ?

                                                      Heritage City : «  Certains sont anxieux de laisser un héritage lourd »

R : Oui. Comme  cela est déjà indiqué sur le site de la Banque de Maurice, j’étais d’accord de maintenir le Key Repo Rate à 4,4% au moment du vote.

Quant au prochain comité du MPC, je ne peux rien vous dire. Il y a encore beaucoup d’eau à couler sous les ponts jusque-là.

 

Q : La roupie mauricienne est-elle assez forte pour faire face aux devises étrangères, dont l’euro et le dollar américain ?

R : La force de la roupie mauricienne dépend de la bonne santé de l’économie. Comme nous avons déjà évoqué, les investissements se raréfient, les exportations se font plus difficiles et il y a des risques que la roupie a fort à faire pour maintenir sa valeur à l’égard de l’euro et du dollar américain.

 

Q : Quel est le facteur le plus important ayant fait chuter l’investissement direct étranger (FDI) ?

R : En sus de ce que j’ai dit plus haut, il y a des facteurs  externes  liés à la morosité de l’économie mondiale. Il y a, bien sûr, des facteurs internes, notamment ce sentiment que l’économie était en roue libre  et manquait une direction solide.

 

Q : Que doit-on faire pour donner un nouveau ‘boost’ pour relancer le secteur des Petites et Moyennes Entreprises ?

R : Cela fait des années que les PME occupent une place de choix dans le discours du budget. Beaucoup de paroles pourrait-on dire, mais pas beaucoup de réalisations.

Les dirigeants des PME ont besoin de formation en management et gouvernance des entreprises. Ils ont aussi besoin des financements bancaires. Ils ont, enfin, besoin des connaissances par rapport aux marchés d’exportation. Ne pourrait-on pas subvenir à tous ces besoins à travers une institution vraiment compétente qui apporterait à ces dirigeants un soutien de formation et de logistique de manière tout à fait professionnelle et non de toute intervention partisane.

 

Q : L’accord de non double imposition avec l’Inde a été diversement commenté par des membres de l’opposition. Pour certains, le secteur financier est en danger avec la signature de l’accord. Vous y croyez ?

R : Ce qui est en danger, c’est le secteur financier qu’on appelle le « Global Business », c’est-à-dire que celui qui traite des transactions transfrontalières.

Mais  je ne parlerais pas de « danger »  est appliqué. Je dirais plutôt que ce secteur est à la croisée des chemins. Il y a un défi à relever, celui de continuer à vivre et se développer en ne comptant plus sur les dispositions de l’accord avec l’Inde.

Maurice a, dans un passé récent, connu deux situations du même type. La première, c’était la disparition du protocole sucre. Or, aujourd’hui, nous voyons le résultat. L’industrie sucrière s’est transformée. Mais on sait qu’elle n’a pas fini d’avoir à se rénover.

Le second exemple concerne l’industrie manufacturière (textile) qui doit maintenant se battre sur le marché extérieur sans filet de protection. Les industries de la zone franche sont encore en train de s’adapter à cette nouvelle situation. Il en sera de même pour le « Global Business ». Rehausser leur service, ce qui leur demandera davantage de formation et rechercher de nouveaux marchés afin de comparer ce qui sera réduit du côté de la Grande péninsule.

 

Q : Justement est-ce que Maurice a eu raison de signer l’accord avec l’Inde ?

R : Ce n’est pas la signature du protocole qui fait problème. Or, c’est la manière dont cela a été fait. L’impression  qui est donnée, c’est que les opérateurs ont été placés devant un fait accompli. Qui sait que si avec un dialogue entre les représentants du gouvernement mauricien et les opérateurs mauriciens, on aurait pas pu mieux négocier les modifications avec la Grande péninsule ?

Par exemple, Maurice a laissé passer l’occasion de demander à l’Inde de lui appliquer la clause de la nation la plus favorisée, ce qui aurait assuré Maurice que les modifications à venir dans l’accord avec Singapour, par exemple, ne pourra pas être plus favorable à ce pays qu’à Maurice.

 

Q : C’est-à-dire ?   

R : Maurice aurait pu avoir mieux négocié avec une équipe composée des représentants du gouvernement et des opérateurs.

 

Q : Le projet de Heritage City continue de faire débat ? Est-ce une urgence de se lancer dans une telle aventure si c’en est une ?

R : On a l’impression que certains sont anxieux de laisser un héritage. On ne peut que souhaiter que ce sera un héritage qui attirera à Maurice des investisseurs et de nouvelles technologies. Sinon l’héritage risquerait d’être lourd à porter, notamment pour les finances du pays.

                           «  Les Smart Cities doivent attirer de nouvelles activités et favoriser de nouveaux créneaux »

 

Q : Les ‘Smart Cities’, une fois concrétisées, apporteront-elles un plus à l’économie et une solution durable au chômage ?

R : Pareillement pour que les ‘Smart Cities’  apportent un plus à l’économie, elles doivent pouvoir attirer de nouvelles activités et favoriser de nouveaux créneaux. C’est à ces conditions qu’elles pourraient contribuer à une solution durable au chômage.

 

Q : Le métro léger sera-t-il enfin une réalité, mais ce qui intrigue, c’est surtout ces Rs 200 millions dépensées avec des consultants, n’est-ce pas ?

R : Il s’agit de savoir si les recommandations des consultants sont valables pour la réalisation du projet de métro léger. Ce qu’on sait c’est que les tergiversations coûtent cher aux contribuables et à l’économie.

 

Q : Née de la fusion entre la Mauritius Post & Cooperative Bank (MPCB) et la National Commercial Bank (NCB), ex-Bramer Bank), la Maubank inspire-t-elle confiance et a-t-elle un avenir ?

R : Si j’étais un dirigeant de la MauBank, j’éviterais dans une publicité de me référer à la MPCB et à l’ex-Bramer Bank. Vous devinez pourquoi. Je crois ainsi répondre à votre question. Mais ne lui faisons pas un procès maintenant. Souhaitons à cette nouvelle banque d’être  bien dirigée. Cela est essentiel pour son avenir et pour qu’elle établisse la confiance dans le public.

 

Q : Que pensez-vous du démantèlement de la BAI ?

R : C’était un mal nécessaire. Maintenant, il faut gérer les conséquences fâcheuses sur l’économie, l’emploi  et surtout la sérénité de la population. Ainsi, je suis d’avis que le démantèlement de la BAI était nécessaire.

 

Q : Les défis qui guettent le pays sont-ils surmontables ?

R : Bien sûr les défis sont surmontables. Mais à une condition : c’est que toute la population doit se mettre au travail sous la houlette d’un gouvernement qui ne s’épargne aucune peine pour travailler dans l’unité et pratiquer un leadership efficace.

 

Q : Est-ce que M. Pierre Dinan croit au deuxième miracle économique ?

R : Non, je n’y crois pas. Car un miracle économique requiert l’intervention divine. Or, c’est à nous, à chaque Mauricien de travailler à la transformation de notre économie sous la houlette du gouvernement.

Si nous réussissons, ce ne sera pas un miracle, mais le fruit de notre labeur, de nos efforts et de notre persévérance.