Interview de Pradeep Jeeha : « Le MMM est réduit à une caisse de résonance où on s’autoglorifie »

  • « Je réfléchis toujours si j’irai de nouveau dans la cour de Ponce Pilate, pour ne pas dire celui du Roi Pétaud » 

 Il dit n’avoir point d’amertume après son expulsion du MMM. Pradeep Jeeha ne s’y retrouve d’ailleurs pas. Les réflexions, dit l’ancien leader-adjoint mauve, ont laissé la place aux tergiversations et aux insultes envers ceux qui osent élever leurs voix pour tenter de faire entendre raison à Paul Bérenger. Le parti, estime notre interlocuteur, est en déphasage avec les préoccupations du peuple et n’a qu’une seule ambition : que son leader devienne Premier ministre ou président de la République. Et ce au détriment de la reconstruction du parti…

Zahirah RADHA

Q : Vous êtes en froid avec la direction du MMM depuis quelque temps déjà. Avez-vous été surpris par votre expulsion samedi dernier ?

Non, cela ne m’étonne absolument pas surtout à la suite des événements de ces derniers temps. Les tergiversations, le manque de respect, le dédain, le mépris et les insultes dont font l’objet les membres qui osent s’exprimer librement sont devenus monnaie courante au MMM. Tout comme le refus d’accepter les tendances qui ne suivent pas la ligne directrice du parti.

Q : N’avez-vous pas quelque peu provoqué cette sanction en tenant des propos qualifiés de « blessants » à l’égard de votre leader ?

Pour moi, ce n’est pas une question de provocation mais de franchise. D’ailleurs, je ne vois pas en quoi mes propos sont blessants ! Est-ce que qualifier quelqu’un de « grand-père gâté et gâteux »  est blessant ? Personnellement, je n’aime pas personnaliser les débats. Si Paul veut le faire, c’est son souci. En tant que leader-adjoint, j’ai fait mon devoir en l’informant des problèmes qu’il y a au sein du parti. Au lieu de prêter attention à ce que je lui ai dit, il a mis son fusil sur l’épaule et a commencé à tirer des coups de balles. Mais heureusement que cela s’est passé maintenant. Imaginez si cela s’était produit au moment où j’étais son numéro deux au sein d’un éventuel gouvernement. Cela aurait provoqué une véritable crise.

Q : Le carton jaune infligé à Steven Obeegadoo par Bérenger en février dernier ne vous a donc pas servi de leçon ?

Aurais-je dû m’enfermer dans une coquille et laisser la machinerie finir Obeegadoo ? Est-ce que je devais continuer d’accepter que Françoise Labelle soit traitée d’« arrogante » et de « passeur sirop » ou que les militants soient qualifiés « d’imbéciles » ? Enough is enough. It cannot be business as usual. Moi, je n’ai pas peur de dire la vérité. Comme on le dit en hindi : « Jo darr gaya, woh marr gaya ».

Q : Mais finalement qu’est-ce qui ne tourne pas rond au sein du MMM ? Est-ce simplement le comportement de Bérenger ou y a-t-il autre chose ?

Il y a beaucoup de bonnes choses au MMM. Cependant, ses philosophies restent enfermées dans les 94 pages de sa Constitution et elles ne sont pas mises en pratique. Le MMM est réduit à une caisse de résonance où on ne fait que s’autoglorifier. Le problème est que la population ne nous suit plus. Le parti n’est plus qu’une machine dont la mission principale est de faire en sorte que le leader devienne Premier ministre peu importe la configuration : qu’elle soit un partage de tickets 30-30 ou qu’elle assure le poste de président à Paul Bérenger.

Depuis 2005, au lieu de se focaliser sur sa reconstruction en recherchant de nouveaux adhérents, de changer sa façon de communiquer, d’être présent sur le terrain et d’être à l’écoute de la population, le parti se mure dans ses comités centraux, ses bureaux politiques et ses conférences de presse. Pire, il y a un secrétaire-général qui vous dit que sa philosophie, c’est de faire des gâteaux piments ! Le résultat, vous l’avez vu lors de la partielle à Quatre-Bornes.

Q : On vous prête des ambitions surdimensionnées, notamment celle d’être calife à la place du calife. Vous voyez-vous comme leader du MMM ?

Non ! Je crois que vous y allez un peu trop fort…

Q : Mais c’est ce qu’on dit au sein du parti !

Si je voulais devenir calife à la place du calife, je n’aurais pas concrétisé l’alliance 2000  dans ma maison pour que Paul devienne Premier ministre. J’aurais négocié pour moi-même.

Q : Bérenger a déjà supputé que vous n’allez pas faire appel. N’est-ce pas là un signal qu’il vous a envoyé ?

Quel signal ? Bérenger peut dire ce qu’il veut. La Constitution du parti, dont j’étais l’un des auteurs, me garantit le droit de faire appel.

Q : Le ferez-vous ?

(Sourire) Je réfléchis toujours si j’irai de nouveau dans la cour de Ponce Pilate, pour ne pas dire celui du Roi Pétaud. J’ai officiellement reçu ma lettre d’expulsion le mardi 24 avril. J’ai donc jusqu’à la fin de cette semaine-ci pour prendre une décision.

Q : Pensez-vous avoir toujours le soutien des militants ?

25% des membres du comité central ont voté contre la motion de la belle-sœur de Bérenger. Cela vous dit tout. Il ne faut pas oublier que les élections se sont déroulées sous les yeux de Big Brother. Est-ce cela la démocratie ?

Q : En parlant de démocratie, pourquoi insistez-vous que ce soit un Hindou qui soit présenté comme Premier ministre au cas où le MMM va seul aux élections ?

You just have to look at the trend. Depuis 1976, le MMM s’est toujours retrouvé au gouvernement quand un Hindou est présenté comme Premier ministre. L’histoire le prouve. Qu’ai-je dit de nouveau de ce qui est déjà pratiqué par le MMM depuis les quarante dernières années pour qu’on me fasse un procès ? C’est mal me connaître si on pense que je le dis parce que j’ambitionne de devenir Premier ministre. J’aurais aimé que le MMM œuvre dans l’intérêt de tout le monde au lieu de celui d’une seule personne.

Q : En tant que leader-adjoint du MMM, êtes-vous au courant d’une quelconque négociation pour que le MMM rejoigne le gouvernement ?   

Je n’en suis pas au courant. Moi, je préfère que le MMM aille seul aux élections. Mais on tergiverse toujours à la veille des élections et on finit toujours par contracter une alliance. Ceci dit, je ne suis pas dans le secret des dieux en ce qu’il s’agit d’une alliance avec le gouvernement, mais il se peut qu’il y en a. Il ne faut pas oublier qu’il y a plusieurs MMM au sein du MMM. : il y a des députés qui ont des frottements avec d’autres partis, il y a les ‘self-appointed agents’ et puis il y a les instances. Mais si négociation il y en a, elle sera très prochainement du domaine public.

Q : What next ?

Je suis un professionnel. Je poursuis mon travail et je continuerai à exprimer mes opinions, n’en déplaise à certains. Je continuerai à combattre les injustices et les discriminations et à œuvrer en faveur d’une société plus inclusive et équitable.

Q : Au sein de quel parti politique ? 

No man is an island. Le gouvernement gère très mal le pays et il y a une grande attente de la part de la population. Il faut un changement. Mais pour l’instant, je ne sais pas quel détour le fleuve prendra-t-il.

Q : Où serez-vous pour le 1er mai ?

Bonne question. Mon fils fêtera son anniversaire le 30 avril. Le 1er mai, je serai donc en famille pour poursuivre les célébrations.