Des problèmes paralysant le système de la santé publique aux problèmes sociétaux et aux scandales, le Dr Farhad Aumeer, député travailliste de la circonscription no. 2, passe en revue la situation dans le pays…
Par Zahirah RADHA
Q : Que pensez-vous du budget ?
C’est un budget basé sur l’accumulation des dettes publiques. Cela aidera probablement le petit peuple pour un certain moment, mais les effets seront à court terme. Ce budget ne comporte aucun élément d’investissement, ne valorise pas le facteur humain, et ne favorise pas la création de nouveaux pôles de développement économique comme l’intelligence artificielle ou l’économie bleue. C’est un budget qui manque cruellement de vision pour le soutenir à long terme. Je le qualifierai de budget de barbe à papa ou kalamindas. Kuma met dans labous, li fone.
Q : Rien que cette semaine, deux hausses des prix ont été annoncées : d’abord les forfaits prépayés de Mauritius Telecom alors que le gouvernement promet l’internet gratuit aux jeunes de 18 à 25 ans et ensuite une révision des contraventions. Finalement, les consommateurs passeront à la caisse très vite en dépit de l’augmentation de certaines allocations financières ?
Vous connaissez sans doute l’histoire de Robin Hood qui prenait aux riches pour donner aux pauvres. Ce gouvernement, lui, prend à la population d’une main, lui donne de l’autre avant de reprendre. La nouvelle grille d’amendes est très mal inspirée. Il y a des accidents fatals de la route pratiquement toutes les semaines. Il n’y a pas eu de mesures en termes de sensibilisation ou de prévention. Il n’y a pas eu de consultations pour voir si on peut émettre des ‘provisional driving licence’, par exemple. On parle de rallyes. Tout le monde, y compris la police, sait qu’il en existe. Ine ena rallye ces derniers temps, dimoune ine mort après ou pas trouve ena grand lenket.
Q : Justement, il n’y a pas eu de grandes mesures depuis 2014 pour revoir les accidents de la route bien que ce fut annoncé comme l’un des chevaux de bataille de ce gouvernement…
Exactement ! La hausse des amendes n’aura d’ailleurs pas l’effet escompté. Il n’y a aucune étude qui prouve que les amendes diminuent le taux de criminalité. Le gouvernement aurait dû au contraire venir avec des mesures pour attaquer la source du problème, que ce soit l’alcool au volant, l’état de nos routes, la signalisation, le respect des normes des véhicules, la formation des chauffeurs, apprentis chauffeurs ainsi que les moniteurs d’auto-école.
Quant à l’internet gratuit annoncé pour les jeunes de 18 à 25 ans par le gouvernement, permettez-moi de rappeler que le PTr-MMM-ND a pris l’engagement, le 1er mai dernier, de rendre l’internet gratuit pour tout le monde. Il n’y a pas de politique de ciblage dans la mesure que nous avons annoncée. Le ciblage est devenu un phénomène du budget de Renganaden Padayachy. Il y a aujourd’hui 63% des ménages qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts. 50% des ménages consomment moins parce que leur pouvoir d’achat a baissé par 35% alors que le gouvernement ne leur a donné que 20% en termes de compensation. Ou donne li, après ou tire are limem ? Nous avons un autre type de Robin Hood ici.
Q : Les cinq derniers discours budgétaires ont été réservés aux membres du gouvernement, contrairement aux règles. Est-ce une autre façon de museler l’opposition au Parlement ?
Avec ce gouvernement et ce Speaker, il n’y a plus aucun décorum. L’opposition compte, en son sein, des ‘seasoned politicians’. Malgré cela, on doit s’asseoir pendant cinq heures rien que pour écouter des membres du gouvernement alors qu’il est de coutume qu’au moins deux députés de l’opposition soient parmi les derniers orateurs pour donner la réplique à ceux du gouvernement. C’est un boycott intellectuel. Zot fort la-dans ! Le ‘shouting brigade’ du gouvernement n’a qu’un seul travail : démoniser Navin Ramgoolam et le critiquer. Zot rêve Navin Ramgoolam gramatin tanto ! Ils attaquent aussi certains membres de l’opposition sous la ceinture. On nous accuse de n’avoir jamais fait de propositions constructives. Je peux personnellement vous donner une liste des propositions que j’ai faites au ministre de la Santé, mais qui n’ont jamais été retenues ou même prises en considération.
Q : Un budget additionnel de Rs 1, 2 milliards a été voté pour le ministère de la Santé. Est-ce justifié, selon vous ?
La seule raison, c’est une mauvaise planification. Ce budget additionnel a été occasionné par trois items : la prolifération de la dengue, la vaccination HPV et finalement pour le paiement des heures supplémentaires des employés de la santé et le ‘double pay’ pour les dimanches. Or pour la dengue, le ministre de la Santé m’avait déjà répondu au Parlement qu’on enregistre des cas de dengue tous les ans. Mais si tel est le cas, même s’il y a eu plus de cas cette fois-ci, pourquoi ne l’a-t-on pas prévu dans le budget ?
Il n’y a pas plus de douze mois de cela, on encensait ces ‘frontliners’. Mais après, il y a eu un manque de considération à leur égard. Pas paye zot overtime. Pas paye zot congé public. Il y a aussi d’autres employés qui sont concernés par ce manque d’égard, incluant ceux du CEB et de la CWA. Si c’est maintenant que provision est faite pour ces paiements, qu’a-t-on fait avec le budget initial d’environ Rs 15 milliards alloué à la Santé ? Venons-en à la campagne de vaccination HPV pour prévenir le cancer du col chez les jeunes filles et le cancer de la prostate chez les jeunes garçons.
Q : Cette campagne n’avait-elle pas été prévue ?
Comme je l’ai dit, il y a un manque de planification. Ce n’est pas quelque chose qu’on fait à la va-vite, du jour au lendemain. Une telle campagne s’insère dans le cadre d’un programme bien planifié et ficelé. Il faut un ‘preparedness plan’. Et en parlant de ‘preparedness plan’, vous êtes témoin de la catastrophe à laquelle Port-Louis fait face durant les inondations. Les voitures s’entassent l’une sur l’autre. Lakaz inondé, dimoune dans problème. Ou ena le masjid Abu Bakr Siddique et ene mandir à Tranquebar fine inondé. Rien n’a été fait jusqu’ici. Nous sommes actuellement en hiver. Il n’y a pas de pluies torrentielles. Mais que se passera-t-il en janvier ? Ils plaideront le changement climatique une nouvelle fois.
Q : Aucune action n’a été prise malgré les budgets alloués pour les drains ?
Mon ami Eshan Juman a bien résumé la situation quand il a traité le ministre concerné de « ministre 4% ». Il y a un projet de drains à la rue Raoul Rivet dans ma circonscription. Je ne suis pas ingénieur, mais un enfant pourra vous dire que ce n’est pas suffisamment profond pour canaliser l’eau provenant de la montagne. L’une des premières actions aurait dû être d’aménager un ‘cut-off drain’.
Q : Vous aviez évoqué la politique de ciblage plus tôt. Certaines mesures ont été proposées dans le budget concernant le traitement des personnes, jeunes surtout, atteintes de cancer. Cette facilité n’aurait-elle pas dû être étendue à tout le monde à travers un meilleur système de santé publique ?
C’est un sujet apolitique qui concerne tous les Mauriciens. Dans 99% des cas, c’est un drame pour les familles concernées. En tant que professionnel de santé ayant une certaine expertise en ce qu’il s’agit des cancers chez la femme, je vis ce drame au quotidien. Tous ceux qui sont atteints du cancer auraient dû avoir les mêmes facilités pour leur traitement. Il y a eu 950 nouveaux cas chez les hommes et 1471 nouveaux cas chez les femmes l’année dernière. Dans la catégorie de personnes âgée jusqu’à 25 ans qui est concernée par la gratuité du traitement, seulement 47 hommes et 50 femmes se trouvant parmi ces nouveaux cas en bénéficieront.
Or, la majorité des femmes sont atteintes cancer à partir de l’âge de 38 ans. Elles sont affectées majoritairement par le cancer du sein, de l’ovaire et de l’utérus. C’est à partir de 45 ans que les hommes sont affectés plus particulièrement par le cancer du côlon et de la prostate. Nou p ape touche seki bizin vraiment mem si nou pe aide bane ki plus jeunes et kot ene élément émotionnel ki associé avec sa. Mais la femme active se retrouve davantage atteinte de cancer à l’âge reproductif et post-reproductif mais avant d’avoir atteint l’âge de la ménopause et de la retraite. C’est pour cela que j’estime pour que le traitement gratuit doit être accessible à tout le monde.
Le Premier ministre a inauguré un très grand hôpital de cancer à Solferino et il a soutenu que c’est l’établissement le plus avancé dans l’océan indien en termes de logistiques et de technologies. Soit. Mais pourquoi ne pas offrir les traitements pour lesquels il faut se faire soigner à l’étranger dans cet hôpital ? Ce ne sont pas les top-class professionnals en médecine qu’il nous manque à Maurice.
Q : Qu’est-ce qu’il nous manque donc ?
La formation et l’orientation de nos futurs médecins. Il faut pallier à ces manquements en faisant venir des experts à Maurice pour la formation. Ce qui me peine quand je regarde cet hôpital de Solferino, c’est que nou ena ene centre komsi ene Ferrari, ou ene Lamborghini. Nou asté li nef mais nou pena sofer. Nou ena sofer, mais bizin train zot parski li ene zafer ki nouvo. Il faut le faire vite afin de réduire notre dépendance du traitement du cancer à l’étranger à moins de 5%, soit uniquement pour les cas exceptionnellement rares.
Q : Puisqu’on parle de santé, comment le congé de maternité d’un an, annoncé lors du meeting du PTr-MMM-ND le 1er mai dernier, sera-t-il mis en application ?
Toute nouvelle mesure apporte son lot d’interrogations. Lorsqu’une femme accouche, il y a plusieurs facteurs qui entre en jeu : d’abord le bonding entre la nouvelle maman et son bébé qui est d’une importance capitale et l’allaitement maternel qui est également très important pour le système immunitaire du bébé. Ensuite, il faut comprendre que certains emplois sont de nature physique, donc lourd et pénible pour les jeunes mamans. Sans oublier qu’il y a un manque de crèches spécialisées dans la prise en charge des nouveau-nés. Il y souvent des « accidents » qui font peur dans certaines crèches. La femme qui travaille doit aussi être encouragée à concevoir. Et finalement, il faut résoudre le problème de vieillissement de la population. Ce sera un package étalé sur douze mois pendant lesquels la maman et le papa peuvent prendre un congé au travail s’occuper de leur bébé. Si on ne le fait pas, le problème du vieillissement de la population ne sera pas résolu. Il reste bien entendu à ficeler les modalités relatives à cette mesure.
Q : Quid du congé menstruel qui donne lieu à certaines appréhensions ? Cela ne risque-t-il pas de perturber l’opération des petits commerces et entreprises ?
Deux problèmes sont associés à la menstruation : douleurs et saignements excessifs. Cela n’arrive pas à toutes les jeunes filles et femmes. Évidemment celles qui en souffrent nécessitent une attention médicale. Le congé devra donc être soutenu par une évidence médicale, en outre. Le ‘work from home’ pourrait aussi y être inclus.
Q : Le ‘Political Financing Bill’ figure à l’agenda des travaux parlementaires avant la dissolution probable de l’Assemblée nationale. L’opposition a déjà fait connaître sa décision de ne pas participer aux débats. Pourquoi ?
Pour la bonne et simple raison que c’est un mort-né. Alle perdi le temps enkor lor la ? Il n’y a pas de volonté d’avoir un consensus national dessus. Il aurait dû y avoir des consultations élargies avec tous les partis politiques. D’autant qu’il s’agit d’un sujet assez complexe, comportant plusieurs aspects et qui nécessite un vote par une majorité de trois-quarts. À mon avis personnel, ce projet de loi ne permettrait aux élus de la majorité que de venir faire les éloges du gouvernement et de faire des règlements de compte et des attaques sous la ceinture contre l’opposition. Et lorsque les députés de l’opposition tenteront de leur donner la réplique, ils seront stoppés court par le Speaker. Ce ne sera pas un débat balancé de toute façon.
Q : Parlons du mood sur le terrain actuellement. Que constatez-vous lorsque vous tâtez le pouls de la population ?
La population reste sur sa faim sur de nombreux problèmes de société. Si je regarde à Port-Louis, dans ma circonscription, le gouvernement a soulagé trois familles affectées par les inondations et je m’en réjouis. Mais il n’y a pas que trois familles qui ont été affectées par la montée des eaux. Lezot famille ? Inondations guet figir ? Ena lakaz pe crazé. Soubassema pe allé, zis feray pe resté. Delo pe circulé.
Q : Il y a d’autres familles qui se retrouvent dans cette même situation ?
Oui. La maison de M. Lebon et celle de la famille Auckloo à Vallée-Pitot. Je l’ai déjà dit et je le redis : n’attendez pas la catastrophe pou réagir. Voyons la drogue. Oune trouve la drogue ine diminué dans Maurice ou ? La drogue est partout. Nek ou trouve pe saisies, après ? Quel développement y a-t-il eu sur la mort Kistnen et de Kanakiah ? Et l’affaire Sniffing Gate, où en est-elle ? Outre les censures contre l’opposition et la presse, le Cardinal Piat avait aussi été censuré. Le conflit opposant le CP au DPP apporte-t-il de la stabilité dans le pays ? Le law and order est en panne. Des retraités sont attaqués chez eux en raison d’un problème d’insécurité lié, entre autres, au pouvoir d’achat.
Lors d’une distribution de viande dans ma circonscription à l’occasion de la fête Eid-Ul-Adha, une dame m’a confié qu’elle échelonnerait l’utilisation des parts de viande qu’elle a reçus jusqu’à l’année prochaine. Ou rane ou compte ki sa veut dire ? Li pa kapave asté la viande fran. Quant à l’Extended Programme,on traite 95% de ces élèves comme des rebuts. Air Mauritius fait face à des pannes techniques constantes. On a vendu nos avions neufs pour acheter de la vieille ferraille. Sans compter que les administrateurs ont « tappe plein ».
Quant aux scandales d’Emergency Procurement à la Santé, on attend toujours que les enquêtes soient bouclées alors que l’ex-SCE, qui est proche d’un ministre et qui est au centre de ce scandale, a pu s’en tirer en prenant sa retraite tout en bénéficiant d’une golden handshake. Le renvoi des élections municipales, la création d’un monstre au nom de FCC qui montre déjà ses couleurs en ouvrant une enquête sur un député de l’opposition. N’y a-t-il pas d’enquête sur le Stag Party ? Le peuple s’attend à un changement…
Q : Quelle garantie a-t-on qu’un nouveau gouvernement mené par le PTr-MMM-ND rompra effectivement avec les pratiques qu’on a connues sous ce gouvernement ?
Le PTr-MMM-ND a déjà pris des engagements, à commencer par la création d’une commission qui se chargera des nominations. Il faut ensuite redonner ses lettres de noblesse au Temple de la démocratie. Il nous faut aussi une police qui ne soit pas à la solde du prince du jour. Au sein des ministères également, les chefs de départements doivent assumer leurs responsabilités en ce qu’il s’agit des procurements et des gaspillages des fonds publics.
