[Interview] Dr. Takesh Luckho, économiste : « Une poussée inflationniste vers la mi-septembre et le début d’octobre »

Quel impact le réajustement salarial aura-t-il sur l’économie ? L’économiste Takesh Luckho nous l’explique dans l’entretien qui suit.

Zahirah RADHA

Q : Un constat qui saute aux yeux avec le dernier exercice de réajustement salarial, c’est l’entrée en vigueur de trois différents barèmes pour le salaire minimum. Comment l’expliquez-vous ?

Je dois d’abord dire que ce réajustement salarial était très attendu, surtout depuis l’augmentation du salaire minimum en janvier 2024. Celle-ci, rappelons-le, avait provoqué un débalancement en termes de relativité dans les salaires, que ce soit dans le secteur public ou privé. D’où l’importance de ce réajustement, surtout pour ceux qui sont qualifiés. Mais on se retrouve, au final, avec trois différents barèmes de salaire minimum, vous le dites : (1) Rs 20 000 pour ceux ayant un HSC ou en-dessous, (2) Rs 23 000 pour les diplômés et (3) Rs 25 000 pour les degree holders.

Ayant eu l’occasion de discuter avec des personnes qui ont fait partie des négociations, je peux vous dire que cet exercice aurait dû être plus complexe. Le réajustement salarial aurait dû être fait selon les postes et les grades, mais malheureusement une méthode plus simpliste a été adoptée en raison des échéances électorales. Au lieu d’un travail en profondeur, l’exercice a donc été bâclé pour répondre à la demande des travailleurs avant les prochaines élections générales.

Q : Est-ce que la question de relativité salariale a été résolue pour les secteurs privé et public ?

Pour le secteur privé, un effort a été fait pour rééquilibrer les salaires de base. La méthodologie a été présentée, mais il faudra attendre les ‘Remuneration Orders’ (RO) avant que le réajustement ne puisse être fait. Il faut savoir que des grosses entreprises ont déjà ajusté les salaires avant même cet exercice. Ce qui fait que ce réajustement ne sera pas vraiment un casse-tête pour elles.

Quant au secteur public, il n’y a pas eu de grand effort pour réajuster les salaires, d’autant plus que ce n’est qu’à travers le PRB que les salaires peuvent être rééquilibrés. En attendant que l’exercice du PRB soit complété en 2026, une allocation intérimaire de 5% sera accordée aux fonctionnaires. Leur salaire de base restera cependant le même pour l’heure.

Q : Il semble que la rationalité des chiffres présentés par le ministre du Travail est source de confusion. Est-ce effectivement le cas, selon vos analyses ?

Moi qui aime bien les chiffres, je dois avouer que je me suis complètement perdu dans ceux avancés par le ministre du Travail. J’attends la grille salariale officielle qui accompagnera les ‘Remuneration Orders’ pour pouvoir les comprendre. Voyez-vous, il a donné trois exemples. Si un de ces calculs, soit pour le vendeur est exact, par contre, celui du serveur ne correspond pas aux chiffres du ministre. Il soutient que la hausse dans ce cas serait de Rs 3 124 alors que selon les chiffres qu’il a lui-même fournis, la hausse doit être de l’ordre de Rs 1 763. D’où ma confusion, et celle d’autres personnes également. Il se peut qu’il y ait eu un calcul spécifique que l’on ignore, ou qu’il y a eu une erreur dans les chiffres. Raison pour laquelle il nous faut attendre la grille salariale officielle.

Q : Quel sera le poids de ce réajustement salarial sur l’économie réelle ?

Généralement parlant, une augmentation des salaires de base aura définitivement un impact réel sur l’économie, contrairement à une compensation salariale dont le but est de compenser la perte du pouvoir d’achat. Les travailleurs auront plus d’argent en main. Ce qui entraînera un impact positif sur la consommation. Par contre, l’inflation persistera. D’autant plus que le problème lié à l’inflation structurelle n’a été adressé ni dans les derniers budgets ni par la Banque de Maurice. Tant que la cause de cette inflation structurelle n’est pas adressée, le feel-good factor sera de courte durée.

Q : À partir de quand cette nouvelle poussée inflationniste se fera-t-elle ressentir ?

Puisqu’une partie des travailleurs touchera cette hausse salariale en août et une autre en septembre, on devra l’attendre vers la mi-septembre et le début octobre. Une partie de ce réajustement salarial sera absorbée par la hausse des prix.

Q : Et qu’en est-il de l’impact sur les PMEs ? Ne risquent-elles pas d’être davantage affectées ?

Même s’il y a eu une proposition pour un réajustement salarial depuis quelques mois déjà, toutes les déclarations officielles du gouvernement faisaient croire qu’il était toujours en préparation. Les PMEs ont donc été prises de court par l’annonce soudaine de ce réajustement salarial en raison d’une échéance politique. Elles n’ont pas fait de provision pour réajuster les salaires, incluant les arriérages pour le mois de juillet, dans deux semaines, soit à la fin de ce mois d’août.

N’oublions pas que les PMEs sont déjà en difficulté. Beaucoup d’entre elles n’arrivent pas à sortir la tête hors de l’eau. Il devient de plus en plus compliqué pour les PMEs d’opérer, par exemple avec les récentes émeutes en Angleterre ou avec le coût du fret qui ne cesse d’augmenter. Le chiffres d’affaires des PMEs a baissé par presque la moitié comparé à la période pré-Covid. Maintenant on met un fardeau additionnel sur leurs épaules sans crier gare. Il leur faudra trouver des sources de financement en toute vitesse. Soit elles devront contracter des emprunts, ce qui se répercutera sur le coût de production et les prix, soit elles seront obligées de mettre la clé sous le paillasson.

Q : Ce qui n’augure rien de bon pour notre économie, n’est-ce pas ?

Maurice se targue de devenir une nation d’entrepreneurs. Or, on prend des mesures à la va-vite qui les mettent dans une situation périlleuse. Si elles avaient été mises au courant en avance, elles auraient pu prendre les dispositions qui s’imposent car le temps aurait été de leur côté. Or, elles ne pourront pas faire des miracles en deux semaines.

Le gouvernement a annoncé que des schemes seront mis en place pour leur venir en aide. Mais entre leur concrétisation, les applications, les vérifications, le ‘processing’ et les paiements, cela prendra du temps. D’ailleurs, je connais des personnes qui n’ont pas encore bénéficié de l’aide financière de la MRA concernant l’achat du diesel. Ce ‘scheme’ est pourtant en place, mais toutes les PMEs n’ont pas nécessairement l’accès à l’information pour savoir comment en bénéficier.  Et puis, le paiement de ce réajustement salarial doit se faire dans deux semaines, alors que l’aide financière du gouvernement prendra probablement du temps.

Je vous rappelle que même pour le PRB, il y a un timeline qui permet au gouvernement de tenir des consultations, et de chercher les fonds nécessaires à travers la taxation ou d’autres mécanismes avant de l’appliquer. Idem pour la compensation salariale. Les commerces peuvent s’y préparer durant l’année, sachant que la compensation est payable en janvier. Or, ce réajustement est venu à la vitesse Grand V, sans crier gare, le gouvernement maintenant systématiquement qu’il était toujours en préparation.