[Interview]Vinaye Ancharaz, économiste : « Les emprunts du GM ont plus que doublé en une seule année pour atteindre Rs 135 milliards

  • « À l’approche des élections, le gouvernement devrait accélérer la machine à dépenser, ce qui maintiendra la frénésie d’emprunt pendant au moins les deux prochaines années »

Que révèle le dernier rapport de l’Audit sur l’état de nos finances publiques ? Vinaye Ancharaz, consultant économiste, s’attarde sur le déficit budgétaire accru et le niveau élevé de la dette publique. La solution pour régler le surendettement du pays, préconise-t-il, est simple : il suffit de freiner les investissements dans les « projets clinquants ». Or, la volonté politique pour le faire est absente, estime-t-il. Pire, il prévoit qu’à l’approche des élections, le gouvernement continuera à emprunter, durant les deux prochaines années, pour financer ses dépenses.

Q : Le dernier rapport de l’Audit fait état d’un déficit budgétaire accru depuis les cinq dernières années, indiquant dans la foulée comment les finances de l’État ont été mal gérées avant même la Covid-19. Serait-il facile de renverser cette tendance de sitôt ?

Pas seulement depuis les cinq dernières années ! Autant que je sache, nous avons toujours eu un déficit budgétaire. Ces dernières années, ce déficit s’est accru en termes absolus. L’exception était l’exercice 2020-21, qui, selon les estimations budgétaires, avait vu un budget équilibré pour la première fois dans l’histoire de Maurice, et ce au beau milieu d’une pandémie. Ce n’était pas un exploit extraordinaire parce que nous connaissons tous les raisons derrière ce budget équilibré. La subvention de BoM de Rs 60 milliards a été déclarée comme un revenu alors qu’en fait, il s’agissait d’un élément de financement. Cela signifie que le déficit, en fait, s’élevait à Rs 60 milliards, et qu’il a été financé par un « grant » de la BoM !

Cependant, le résultat budgétaire est très différent de ce qui avait été prévu, comme le révèle le rapport de l’Audit. Les revenus ont été inférieurs par environ Rs 9 milliards tandis que les dépassements de dépenses, dus à une foule de lacunes dans la gestion, ont totalisé Rs 21 milliards, entraînant un déficit global supérieur à Rs 30 milliards, soit 7% du PIB.

Nous ne sommes pas encore tirés d’affaire et il y a encore beaucoup d’incertitude quant à la pandémie. Pire encore, le conflit russo-ukrainien pourrait dégénérer en quelque chose de bien plus dramatique avec des effets de grande envergure sur l’économie mondiale. En ces temps incertains, il est conseillé de maintenir une instance budgétaire expansionniste. Donc, je ne pense pas que nous allons inverser le déficit budgétaire de sitôt.

Q : Parallèlement, le gouvernement dépend beaucoup, trop même, sur les emprunts pour financer ses dépenses. N’est-ce pas l’heure d’y mettre un frein ?

Le rapport de l’Audit souligne que les emprunts du gouvernement ont plus que doublé en une seule année pour atteindre Rs 135 milliards. Il représentait 47 %, soit près de la moitié, du financement total du budget 2020-2021. En début d’année, on avait appris que le gouvernement avait contracté une autre ligne de crédit, à hauteur de 500 millions de dollars, auprès de l’Inde. Aux taux de change actuels, cela représente Rs 22 milliards de dettes supplémentaires. À l’approche des élections, le gouvernement devrait accélérer la machine à dépenser, ce qui maintiendra la frénésie d’emprunt pendant au moins les deux prochaines années.

Selon un rapport de la Banque mondiale, la dette nationale a déjà franchi le seuil de 100 % du PIB et s’approche dangereusement de la barre des 500 milliards de roupies. Le gouvernement prévoit que le ratio dette/PIB suivra une trajectoire descendante pour atteindre 80 % d’ici la fin de cet exercice. Cela ne peut se produire que si le PIB augmente sensiblement, ce qui est peu probable. Mais le fait reste que la dette nationale augmente en termes absolus !

Q : Quelles sont les répercussions de ce surendettement pour notre économie ? 

Le service de la dette, c’est-à-dire le paiement du capital et des intérêts sur la dette cumulée, s’élevait à Rs 110 milliards, soit 37 % des dépenses publiques, selon le rapport de l’Audit. Il est clair que la dette nationale engloutit des ressources essentielles qui pourraient être utilisées pour des besoins plus immédiats, plus particulièrement dans la santé et l’éducation, dans les drains et dans le secteur social, par exemple.

Nous ne voulons certainement pas subir le même sort que le Sri Lanka, qui fait face au spectre du défaut de paiement. Mais si le gouvernement ne freine pas les emprunts, en particulier les emprunts en devises, nous risquons d’avoir du mal à honorer nos dettes car nos recettes en devises restent timides.

Q : Quelles sont les mesures urgentes qu’il faut donc prendre pour régler ce problème ?

La solution est plutôt simple. Le gouvernement doit arrêter d’investir dans de grands projets clinquants qui ne génèrent que peu d’emplois et de croissance, et ne créent qu’une façade de meilleur niveau de vie ! Par exemple, le gouvernement est catégorique sur la construction d’une tour d’affaires dans une ville intelligente à Côte d’Or. Comment cela aidera-t-il l’économie alors que le complexe sportif est sous-utilisé, que le « business park » de Rose-Belle est non-opérationnel et que des projets d’infrastructures ailleurs sont inactifs ?

Alors, oui, la solution est simple. Malheureusement, la volonté politique de le faire est absente.

Q : Le ministre des Finances dispose-t-il d’une marge de manœuvre suffisante pour financer son prochain budget ou devra-t-il encore puiser des fonds des corps paraétatiques ou des caisses de la BM pour le faire, faute d’arrêter les investissements dans les « grands projets clinquants » comme vous le dites ?

Pour le budget 2019-2020, le gouvernement avait reçu une subvention de Rs 60 milliards de la Banque de Maurice qui avait magiquement fait disparaître la contrainte budgétaire. L’année dernière, le gouvernement a puisé dans les excédents des entreprises publiques pour financer une partie du budget. Les prélèvements supplémentaires sur l’essence, destinés à financer l’achat de vaccins, génèrent des centaines de millions qui finissent dans les caisses de l’État, tout comme les recettes de la Contribution Sociale Généralisée (CSG) !

Il semble que le gouvernement découvre de nouvelles façons de financer ses dépenses chaque année, et le prochain budget pourrait apporter son propre lot de surprises. Nous pensions que l’espace budgétaire était limité, mais lorsque vous supprimez le plafond légal de la dette et que vous commencez à puiser dans les réserves de la banque centrale et dans les bénéfices des entreprises parapubliques, alors il n’y a plus de contrainte ! Donc, oui, je pense que le gouvernement a une certaine marge de manœuvre. Il doit l’utiliser judicieusement.