Jean Claude de l’Estrac : « Il faut des sanctions sévères en cas de non respect de l’ordre de confinement »

Ancien rédacteur en chef, homme politique et diplomate, Jean Claude de L’Estrac fait un tour d’horizon sur l’actualité, dominée surtout par la pandémie Covid-19 depuis quelques jours. L’observateur politique se montre critique envers la maladresse de la communication du chef du gouvernement, dénonce des nominations relevant de « népotisme » et de « cronyisme », souhaite qu’il y ait une réduction symbolique des salaires et allocations des parlementaires et appelle finalement à la discipline des Mauriciens en cette période de confinement.

En tant que professionnel de la communication, êtes-vous satisfait de la façon dont l’annonce des trois premiers cas du Covid-19 a été faite par le chef du gouvernement, sachant que son ministre de la Santé avait soutenu à la télé, moins d’une heure plus tôt, qu’il n’y avait aucun cas à Maurice ?

C’est toute la problématique ! L’impression créée est désastreuse. Nous avons deux choix : soit on se dit que la coordination est nulle à la direction du pays, soit – et c’est pire – on se dit que les ministres nous mentent. La communication du Premier ministre a été terriblement maladroite. Il est apparu confus, hésitant, maîtrisant mal son dossier, cherchant avec des yeux hagards le soutien de ses conseillers. Le ministre de la Santé qui se félicitait, une demi-heure plus tôt, devant toute la nation, de l’absence de cas d’infection à Maurice, à ses côtés, se tait, penaud, et il n’a rien à dire pour au moins tenter une explication à cette incroyable contradiction.

En revanche, la deuxième intervention, m’a paru plus solennelle, plus efficace, définitivement mieux préparée. Sauf que le confinement annoncé a peu de chance d’être totalement respecté, par une population plutôt indisciplinée, s’il n’est pas accompagné de fortes mesures de sanction en cas de non-respect.

Pensez-vous que le gouvernement aurait dû faire appel aux experts de la communication pour le conseiller au lieu de le laisser entre les mains d’une poignée de politiciens et de fonctionnaires ?

Non, il ne s’agit pas d’expertise, il est seulement question de sincérité. Et sans doute aussi de maîtrise politique.  Le modèle du genre vient une fois de plus de Singapour. Il faut suivre les interventions du Premier ministre Lee pour mesurer ce qu’est une communication réussie.

Voyez aussi comment cela se passe ailleurs : partout ce sont les politiques qui sont en première ligne. Ce sont eux qui doivent répondre de leurs actions devant la nation. La réussite de leur communication est essentiellement tributaire de la confiance qu’ils inspirent. La communication, à l’inverse de l’information, intègre la notion de la réception, la manière dont le message transmis est reçu. L’ensemble des éléments de la première communication a malheureusement incité à l’inconfiance.

La circulation des ‘fake news’ et des informations non-vérifiées sur les réseaux sociaux semble avoir pris de l’ampleur depuis l’éclatement de cette pandémie. Quels sont les risques que cela comporte et comment peut-on la limiter ?

Nous y sommes ! Les « fake news » sont les enfants illégitimes des « news » non crédibles. Quand les citoyens doutent de la parole officielle, quand ils perdent confiance en la bonne foi de leurs dirigeants, les « fake news » s’engouffrent dans leurs esprits ramollis.

C’est évidemment un énorme risque de déstabilisation sociale, plus encore dans une situation de pandémie mortifère comme celle que nous connaissons.

Et il n’y a pas dix milles façons de les combattre : il faut recrédibiliser la parole du pouvoir politique. Ce n’est pas simple : on voit bien que le propre du pouvoir politique, c’est de vouloir tout contrôler, tout influencer, mentir au besoin, pour atteindre les objectifs de sa politique.

En tant qu’observateur politique, êtes-vous rassuré par les mesures prises par le gouvernement jusqu’ici ? 

Je n’ai aucune expertise médicale pour me prononcer sur les mesures spécifiques qui ont été prises. Manifestement, le gouvernement a voulu, dans un premier temps, chercher à contenir la propagation du virus sans déstabiliser complètement la structure économique du pays. On ne peut pas lui en faire le reproche. La situation a changé dramatiquement maintenant, il fallait de nouvelles mesures bien plus contraignantes, c’est ce que fait le gouvernement.

Cette pandémie tombe pile au début du second mandat de ce gouvernement. Sa gestion de cette crise, tant au niveau de la santé que sur le plan économique, déterminera-t-il son avenir politique pour les cinq ans à venir ? 

Tout dépendra de la durée de la crise. Si, comme certains spécialistes le prédisent, elle sera jugulée dans quelques mois, et c’est déjà pratiquement le cas en Chine, le gouvernement pourra espérer un rebond plus au moins rapide surtout s’il aura réussi, pendant la crise, à empêcher la faillite de d’entreprises dépendant des marchés extérieurs et sécuriser les emplois. C’est la garantie que vient de donner le Premier ministre. Dans sa stratégie de gestion de la crise, le gouvernement cherche à intégrer déjà les modalités de sortie de crise. Il a raison, faute d’un soutien de l’Etat aux secteurs économiques présentement sinistrés, les effets se feront sentir longtemps, et le gouvernement en paiera les conséquences politiques.

Le PM dit vouloir réduire les dépenses gouvernementales, mais procèdent néanmoins aux nominations de certains proches du pouvoir à des postes clés. Cela vous étonne-t-il ? 

Ces nominations ne sont pas une affaire de sous. Il s’agit de népotisme et de cronyisme, une négation de la méritocratie, un déni de la démocratie, aujourd’hui confisquée par un clan. Non, plus rien ne m’étonne mais je suis scandalisé.

Au vu de la crise économique qui se profile à l’horizon, les critères de nominations, surtout à des postes stratégiques, n’auraient-ils pas dû être revus pour s’assurer qu’on a les compétences nécessaires pour l’affronter et la surmonter ? 

C’est du bon sens ! Mais sur la base de ce que nous avons vu jusqu’ici, ce n’est pas un gouvernement qui se souvient qu’il n’a le soutien que d’un peu plus d’un tiers de la population. Il conduit sa politique dans le plus grand mépris de la majorité des citoyens.

Selon vous, le gouvernement aurait-il dû songer à réduire les salaires et autres allocations perçus par les parlementaires et les nominés politiques en ces temps durs ?

Ce n’est pas ce type d’économie de bouts de chandelle qui donnera au gouvernement les moyens accrus de faire face à la crise, mais c’est un puissant symbole qui peut transmettre à la nation un message de solidarité et une obligation d’austérité. J’appartiens à une génération d’hommes publics qui a donné ce genre de gage au pays quand la situation le demandait.

Je verrais bien l’application de cette mesure symbolique dans le cadre d’un nouveau contrat social qui appelle à un dégraissage de notre modèle, qui fait de l’auto-suffisance alimentaire et de la diversification agricole, une ambition nationale, qui pousse à la production locale d’un large éventail de produits que nous importons de contrées éloignées, qui oblige le pays à vivre selon ses moyens. Le reste nous sera donné de surcroît !

Un message en particulier que vous aimeriez passer alors que le pays est gagné par la panique ?

Il ne faut surtout pas paniquer. Dans de bonnes conditions, on voit bien qu’il est possible de combattre ce virus même s’il est vrai qu’il reste une vraie menace, surtout pour les plus âgés de nos concitoyens. Nous pouvons sans doute plus facilement combattre sa propagation que de soigner d’éventuels malades. Nos moyens sur ce plan sont limités, terriblement limités s’il fallait trouver suffisamment d’appareils respiratoires en cas d’épidémie. Même des pays riches n’y arrivent pas. Nous avons très peu d’appareils et ils sont déjà en utilisation dans nos services hospitaliers. Peut-être faudra-t-il faire appel à l’aide étrangère. A la Chine par exemple.

En tout cas, nous sommes parfaitement prévenus, ; chacun d’entre nous a les moyens de participer à la neutralisation de ce mal, à plus au moins brève échéance. Ce pays a une longue histoire de lutte contre les épidémies.  En d’autres temps, le choléra avait fait de grands ravages, plus récemment encore, la malaria a tué, et elle a été vaincue grâce notamment à la grande vigilance de nos services de santé. Nous pouvons compter sur le dévouement de notre corps hospitalier. Mais la discipline des citoyens sera notre meilleur bouclier.