Jocelyn Chan Low : « Les élections sont loin d’être une affaire de programmes électoraux

  • « Les sondages ont démontré que les hardcore des divers partis ont fondu come neige au fil des années »

 « Les élections générales ne sauraient tarder ». C’est l’Associate Professor et l’observateur politique Jocelyn Chan Low qui le dit. Il décortique, pour nous, la situation politique actuelle, les faiblesses des partis traditionnels, et souligne l’importance de l’émergence d’une troisième force politique.

 Q : Un débat entre des aspirants au poste de Premier ministre, est-ce souhaitable et réalisable en vue des prochaines élections générales?

Il est évidemment souhaitable qu’il y ait un tel débat qui serait une confrontation d’idées, de programmes et de personnalités, comme c’est le cas dans les grandes démocraties du monde. Malheureusement, c’est une pratique qui n’est pas ancrée dans notre culture politique, et cela pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les élections sont loin d’être une affaire de programmes électoraux. D’ailleurs, ceux-ci se ressemblent tous et ne sont publiés qu’à quelques jours du scrutin.

Ensuite, en ce qu’il s’agit de la personnalité d’un candidat, souvent c’est l’affaire d’une campagne savamment orchestrée par des spin doctors qui ont la frousse que l’image construite de leur candidat peut être détruite en quelques secondes face à un adversaire plus authentique et qui maîtrise mieux ses dossiers. On se rappelle encore, pour les dernières élections présidentielles en France, comment Marine Le Pen s’était fait écrabouiller par Emmanuel Macron.

Et finalement, à Maurice, le discours politique a deux faces, d’un côté un discours rassembleur, consensuel et qui est tenu au grand jour, en  public. Mais l’autre face, cachée celle-là,  est tenue au cours  des réunions privées  ciblées et qui est honteusement ‘divisive’. Et un débat public nous dévoilerait qu’un aspect du débat politique.

Q : Navin Ramgoolam et Pravind Jugnauth étant déjà d’accord pour un face-à-face, cela permettra-t-il, s’il se concrétise, d’influencer les électeurs dans leur choix ou ne serait-ce qu’un spectacle, comme soutenu par certains ?

La question qu’il faut se poser c’est surtout y aura-t-il un débat ? Il y a quand même un grand nombre de difficultés à aplanir. Il faudrait par exemple y inviter d’autres leaders politiques, tel que Paul Bérenger qui est très redoutable dans ce type d’exercice. Et quant est-il du choix du modérateur ? Quel sera le rôle de la MBC ? En outre, un tel débat ne peut avoir lieu qu’à la fin d’une campagne électorale. Mais les choses étant tellement floues sur le terrain en ce moment, qui se hasarderait à prendre des risques à confirmer un débat à ce stade ?

 Q : Mais, s’il a lieu, un débat civilisé est-il possible ou se pourrait-il qu’il y ait des dérapages, comme c’est souvent le cas à l’Assemblée nationale ?

Tout leader politique doit être conscient qu’un tel débat vise surtout à convaincre les nombreux indécis. Si les dérapages, les écarts de langage peuvent conforter les partisans, ils sont extrêmement damaging pour celui qui en est  le responsable  chez les indécis. Tout dépendra bien sûr du modérateur qui doit être une personne neutre  avec une très forte personnalité

 Q : La dernière séance parlementaire est prévue pour le 16 août prochain et le « Nomination Day » pour la partielle au no. 7 le lendemain. Quel sera l’enjeu des prochaines élections, partielle ou générales, pour les principaux partis politiques ?

Une élection partielle à quelques semaines de la dissolution de l’assemblée est une aberration. L’enjeu des prochaines élections  générales, c’est bien sûr le pouvoir mais derrière cela pour certains, il y a une question de survie. Il faut se rappeler l’âge avancé de certains leaders politiques. Il se pourrait bien que ce soit les dernières élections générales qu’ils affronteront en temps que leaders de partis. L’enjeu pour eux serait aussi de préparer une relève par le choix des candidats et du front bench. Pour le MSM, c’est de démontrer que Pravind Jugnauth a acquis la stature de son père et peut mener le parti à la victoire. Quant au PMSD, il a tout simplement abandonné toute prétention nationale et veut comme d’habitude se trouver dans l’équipe gagnante.

Au final, l’enjeu pour les partis mainstream, c’est de renouer avec le gros de l’électorat. Parce que les sondages ont démontré que les hardcore des divers partis ont fondu comme neige au fil des années. Il y a aujourd’hui un gouffre énorme entre l’offre politique, c’est-à-dire les partis politiques existants, et la demande politique, c’est-à-dire ce que l’électorat aurait souhaité retrouver chez le personnel politique. En fait, la crédibilité du personnel politique a été grandement entachée par les scandales, les affaires de corruption, de népotisme flagrant et aussi par des mésalliances, le transfugisme et les comportements de girouettes de certains.

Dans un tel contexte, une nouvelle force politique, avec une nouvelle culture et de nouvelles pratiques plus en phase avec les demandes de l’électorat auraient dû déjà émerger pour combler le vide de l’offre politique actuel.  Mais on sait que le système électoral avec le first past the post  est un handicap à l’émergence d’une troisième force. En fait c’est cela qui explique une situation politique où plus de 60% de l’électorat est indécis et où le taux d’abstention, notamment chez les jeunes, ne fait qu’augmenter au fil des années. La crise est le résultat du fait que l’ancien monde politique est sur le déclin mais le nouveau monde tarde à apparaître. D’où la confusion actuelle.

 Q : Est-ce que l’électorat montre un engouement pour ces élections ou la mayonnaise ne prend-elle toujours pas ?

Comme je l’ai expliqué, la mayonnaise ne prend toujours pas. Les partis traditionnels ont sans doute réussi à mobiliser leur hardcore mais cela ne représente qu’une fraction de l’électorat. La majorité est toujours en mode attentiste. Et une grande partie de l’électorat, notamment les jeunes, ne croit plus dans les politiques. Il est vrai qu’il y a certains qui s’engagent dans de nouveaux partis mais dans le système actuel, ils sont condamnés à une action politique, certes très louable mais au final stérile pour le moment.

 Q : Sentez-vous qu’il y a un ras-le-bol en ce qu’il s’agit de la chose politique à Maurice ? Si oui, pourquoi ?

Bien sûr, le ras-le-bol est très perceptible parce que la politique à Maurice c’est d’abord une affaire de musical chairs entre des dynasties politiques, un pont d’Avignon où l’on tourne en rond. Le personnel politique s’est considérablement dévalué. Il faut un renouvellement profond de la chose politique mais cela tarde à venir. Le Reform Party de Roshi Bhadain essaie de se distinguer des partis mainstream mais  son leader  a été trop compromis par son passage dans l’Alliance Lepep.

 Q : Que doivent faire les partis politiques pour insuffler un nouveau souffle et  redonner confiance à la population ?

Il faut un renouvellement profond de leurs  structures internes trop centralisées autour d’une personnalité,  afin qu’il n’y ait plus de yes men mais des hommes et des femmes ayant une pensée et une action relativement autonome. Ensuite, il faudrait une profonde rupture dans leurs discours et pratiques politiques et un recrutement de jeunes talents plus en phase avec la nouvelle génération d’électeurs. La société mauricienne a grandement évolué mais les partis politiques sont restés figés dans le temps. Et il faudrait surtout un engagement sans faille pour une moralisation de la vie publique à l’île Maurice – un programme qui mettrait fin à l’absence de transparence dans l’octroi des contrats publiques,  en faveur de la transparence et la méritocratie dans les nominations, et qui redonnerait confiance aux citoyens dans  les institutions. Et finalement, il faudrait rapprocher les élus du peuple par un mécanisme de participation populaire dans la prise de  décision  sur certains grands enjeux.

 Q : À quoi peut-on s’attendre à partir de maintenant sur l’échiquier politique ?

L’Alliance MSM-ML va continuer à miser sur sa campagne de communication autour de Pravind Jugnauth et utiliser tous les leviers du pouvoir pour susciter artificiellement  un feel good factor dans la population. C’est une très vieille recette datant de la Rome antique-Panem et Circenses. Donner au peuple le pain et les jeux du cirque pour leur faire oublier les grands enjeux et  défis de la cité et les frasques de ses dirigeants. On l’a vu avec le budget électoraliste  suivi des Jeux des îles. La visite papale, le Metro Express, gratuit dans les premiers mois, seront utilisés à fond pour gonfler le vote ‘régimiste’- conservateur- et diminuer le protest vote. Et quand on connait la situation géopolitique dans la région avec la guerre froide entre la Chine et l’Inde, la visite du PM indien  aura toute son importance.

Quand au PMSD, il continuera à jouer au ti-mamzel pour finalement s’offrir à celui qui mettra le prix le plus fort, oubliant que c’est précisément ce type de comportement qui a entraîné le dégoût d’une grande partie de l’électorat envers la classe politique. Quant au MMM, il est condamné à aller seul aux élections s’il veut renouer avec son électorat dispersé et déboussolé depuis les élections de 2014. Au PTr,  sans doute on trouvera une formule pour contrer les casseroles que traîne son leader devant le judiciaire.

Mais ce qui est certain, c’est que les élections générales ne sauraient tarder. Le gouvernement croit qu’il a le vent en poupe et fera sans doute l’impasse sur la partielle au numéro 7 : Une défaite serait trop lourde de conséquences… Certes, selon la Constitution, le gouvernement peut rester au pouvoir pour quelques mois encore après la dissolution de l’Assemblée. Mais avec les changements climatiques, après  décembre, les possibilités de pluies torrentielles et leurs conséquences sociales  catastrophiques sont réelles. Ce serait un véritable cauchemar pour un care taker government.