[Jour J pour les municipales] Scrutin local, enjeu national

C’est un rendez-vous que les électeurs attendaient depuis dix ans. Ce dimanche 4 mai, les habitants des cinq principales villes du pays sont appelés à élire leurs conseillers municipaux. Un scrutin local, certes, mais aux implications bien plus larges : il s’agit d’un test de vitalité démocratique pour le pays. Et surtout, comme l’a dit le Premier ministre, le Dr Navin Ramgoolam, une nécessité de « nettoyer » les villes et de leur redonner vie après une décennie à l’abandon.

Le MSM, n’arrivant toujours pas à se remettre des dernières élections générales, a choisi de laisser le champ libre à l’Alliance du Changement. Celle-ci n’a pratiquement pas d’adversaires, hormis les autres partis extra-parlementaires qui tentent d’arracher quelques sièges çà et là, sans grand espoir. L’adversaire principal reste donc l’abstention. Dans un contexte où le désintérêt politique et la lassitude citoyenne sont palpables, nombreux sont ceux qui s’interrogent sur le taux d’affluence aux urnes.

Et pourtant, les enjeux sont bien réels et directement liés au quotidien des citadins : urbanisme, éclairage public, gestion des déchets, sécurité, loisirs, vie culturelle… Les élus municipaux sont souvent les premiers interlocuteurs des habitants, ceux qui peuvent le plus concrètement améliorer ou dégrader leur qualité de vie. Ce scrutin, souvent perçu à tort comme secondaire, est en réalité un levier essentiel pour façonner les villes de demain.

L’observateur politique Faizal Jeerooburkhan regrette que les municipales, bien qu’elles soient essentielles pour la démocratie locale, peinent à mobiliser. « Les élections municipales sont d’une importance capitale, même si beaucoup n’en perçoivent plus la portée. Aujourd’hui, le principal adversaire dans les urnes risque bien d’être l’abstention. Le désintérêt d’une partie de l’électorat urbain est palpable. Déjà en 2015, le taux de participation avait chuté à 35 %, contre 44,9 % en 2012. Cette tendance pourrait se confirmer aujourd’hui, avec une participation qui oscillerait entre 30 et 40 % », estime-t-il.

« Plusieurs facteurs alimentent ce désengagement », analyse-t-il. D’abord, la longue parenthèse de dix ans sans élections municipales a érodé la confiance des citoyens dans ces institutions. « Beaucoup ont le sentiment d’avoir été privés d’un droit fondamental », avance-t-il. L’affaiblissement progressif des conseils municipaux, devenus de simples structures d’exécution, n’arrange rien. « Quand les décisions majeures sont centralisées, le citoyen ne croit plus que son vote peut faire bouger les choses », observe l’analyste politique. S’ajoute à cela un contexte social et économique tendu. Les préoccupations quotidiennes – coût de la vie, emploi, insécurité, accès aux soins – prennent le dessus sur le débat civique.

 « Le vote, une responsabilité »

Pour Faizal Jeerooburkhan, il est urgent de revaloriser le rôle du citoyen dans la vie municipale. Cela passe d’abord par l’éducation civique. « Le vote n’est pas qu’un droit, c’est une responsabilité. Il conditionne la qualité des services de proximité – l’éclairage des rues, la gestion des déchets, les loisirs, l’entretien des espaces publics », fait-il ressortir. Ces décisions, souvent invisibles mais cruciales, influencent directement la qualité de vie. « Refuser de voter, c’est laisser les autres décider pour soi », avertit-il. À ses yeux, les élections municipales représentent un levier concret d’action locale : « Les élus municipaux, plus proches des citoyens que les députés ou ministres, sont les mieux placés pour répondre à des besoins spécifiques », rappelle-t-il.

Après une décennie de gestion sans légitimation populaire, les villes ont besoin d’un nouveau souffle. Faizal Jeerooburkhan plaide pour une réorganisation profonde, une modernisation des structures, davantage d’autonomie et plus de transparence. Les municipalités, selon lui, doivent évoluer vers des modèles plus résilients, intégrant les enjeux environnementaux, technologiques et sociaux. Parmi les pistes évoquées : diversifier les sources de financement, revoir le mode de gouvernance, investir dans la transition écologique via la valorisation des déchets ou l’énergie solaire, mais aussi renforcer les mécanismes de redevabilité et de consultation citoyenne. « Il est temps de repenser le contrat entre les villes et leurs habitants », avance-t-il.

Au-delà de l’exercice électoral, c’est toute l’architecture démocratique qui mérite d’être repensée. Pour cela, des réformes structurelles sont nécessaires : décentralisation de certains services, consultation régulière des habitants, plateformes numériques de transparence, référendums locaux, budgets participatifs… « Il faut redonner aux citadins le goût de la démocratie de proximité », affirme l’observateur politique. Et cela ne se fera pas par des slogans, ajoute-t-il, mais par des démarches participatives, continues et concrètes. « Des ateliers, des études de cas, des projets pilotes : autant d’outils pour recréer du lien et montrer que la politique locale n’est pas une affaire lointaine, mais une réalité tangible, à la portée de chacun », conclut Faizal Jeerooburkhan.

Dharam Fokeer : « Vous avez retrouvé votre droit de vote, exercez-le ! »

Pour Dharam Fokeer, ancien ministre et politicien de longue date, les trois reports successifs des élections municipales ont constitué un déni démocratique inacceptable. « L’ancien gouvernement a privé les citadins de leur droit de vote. Cela a profondément irrité la population. C’était, démocratiquement parlant, quelque chose de très grave », lance-t-il. Selon lui, ces reports étaient motivés non par des impératifs logistiques, mais par une volonté politique d’éviter une défaite annoncée. « Ils savaient que les villes n’étaient pas favorables au MSM. Que les électeurs allaient les botter dehors. C’est pour cela qu’ils ont repoussé les élections municipales. » Maintenant que le scrutin a enfin lieu, Dharam Fokeer appelle les citadins à se saisir de cette occasion historique. « Je ne crois pas qu’un citadin qui a à cœur l’avenir de sa ville puisse s’abstenir. Son droit de vote a été rétabli. Il doit l’exercer. Peu importe pour qui il vote, mais il doit aller voter », s’exclame-t-il.

Au-delà de la dimension politique, c’est la qualité de vie dans les centres urbains qui préoccupe l’ancien ministre. Il dépeint une situation préoccupante, notamment à Beau-Bassin/Rose-Hill. « Il y a de l’herbe qui pousse au milieu des routes, certaines rues n’ont même pas de trottoirs. C’est incroyable », fustige-t-il. À ses yeux, les municipalités ont abandonné leurs fonctions essentielles : propreté, éclairage public, sécurité, entretien des espaces publics. « La responsabilité des municipalités, c’est de garantir un éclairage adéquat, des rues propres… Ce n’est pourtant pas compliqué à mettre en place », déplore-t-il.

La critique va plus loin. Dharam Fokeer s’inquiète de l’absence d’initiatives municipales pour encadrer la jeunesse. « Que font les municipalités pour les jeunes ? Le sport a presque disparu. S’il y a des clubs, ce sont des initiatives individuelles. Mais les municipalités, elles, n’organisent rien. » Le constat est tout aussi sévère du côté culturel. « Zéro activité. C’est affligeant », tranche-t-il. Il se souvient avec émotion d’une autre époque : « Du temps de Shirin Aumeeruddy-Cziffra et Jean-Claude de l’Estrac, qui était maire, la ville regorgeait d’activités culturelles, elle était propre, animée, vivante. »

Pour Dharam Fokeer, ces élections sont bien plus qu’un simple scrutin administratif : elles incarnent un retour à la normalité démocratique. « Enfin, désormais, la démocratie va revivre dans les villes. C’est déjà beaucoup. Le message que je veux faire passer aux citadins, c’est que vous avez retrouvé votre droit de vote. Alors allez-y, exercez-le », conclut-il.

Des voix de la rue : Colère, lassitude, détermination

Un sentiment d’abandon est partagé par de nombreux habitants dans les quartiers de Beau-Bassin/Rose-Hill. À la veille du scrutin, plusieurs citoyens rencontrés expriment leur exaspération.

« Li nou devoir ale voter pou gagn enn ville meilleure. Beau-Bassin/Rose-Hill inn mort net sa ! 10 ans zot inn boycott nou, zot inn boycott nou drwa de vote. Sa ward ici la, zot inn bien neglige nou », lâche une habitante, visiblement remontée.

Un autre résident de la ville de Vacoas-Phoenix, abonde dans le même sens : « Pendant 10 ans, gouvernement ti pou zot, municipalité ti pou zot, mais narien pann fer ! Partout problème, drogueurs pe vinn droguer ici, enn tas saletés… Inn ler kuma dir pu nou fer 1 bon changement. »

Même ton chez une autre habitante à Port-Louis, qui évoque un abandon total : « 10 ans nou pa finn gagn élection municipale, nou la ville finn etre abandonnée complètement. C’est nou ki kone ki kantité probleme nou finn gagner avec ancien régime ! »