[Justice pour les 12 patients dialysés] L’enquête révèle des défaillances systémiques

L’enquête judiciaire ouverte le 29 avril 2025 par la cour de district de Curepipe met en lumière les circonstances troublantes entourant la mort de douze patients dialysés durant la pandémie de Covid-19 en 2021. Les témoignages récents des familles endeuillées révèlent une série de dysfonctionnements qui questionnent la prise en charge médicale durant cette période critique.

Au cœur de cette affaire se trouvent des histoires humaines déchirantes. Les récits de Kiran Beedassy et Laval Sab, respectivement veufs de Sanjay Beedassy et Dookoomanee Sab, dressent un tableau alarmant de la gestion hospitalière durant la crise sanitaire. Ces patients, tous deux diabétiques nécessitant des soins constants, se sont retrouvés dans des situations de vulnérabilité extrême. Transférés en quarantaine suite à la contamination de leur centre de soins, ils ont fait face à un isolement médical qui semble avoir compromis leur suivi thérapeutique.

Des défaillances multiples révélées par l’enquête

L’analyse de ces cas révèle plusieurs problématiques récurrentes dans la gestion de la crise sanitaire. La désorganisation des transferts hospitaliers, l’absence de communication avec les familles, et surtout, la rupture dans la continuité des soins pour des patients particulièrement fragiles. La situation de l’hôpital de Souillac, fermé pour désinfection, a créé un effet domino obligeant les autorités à improviser des solutions d’hébergement médical. Ces décisions d’urgence semblent avoir négligé les besoins spécifiques de patients dialysés, dont l’état de santé nécessite une surveillance médicale constante.

Un rapport du Fact-Finding Committee publié en décembre 2024 a mis en évidence l’ampleur des dysfonctionnements. Ce document révèle des défaillances multiples qui ont directement impacté la qualité des soins : transports inadéquats mélangeant patients positifs et négatifs au Covid-19, réduction drastique du temps de dialyse, surveillance médicale insuffisante et conditions d’hygiène défaillantes. L’enquête a également révélé que le New Souillac Hospital, utilisé comme centre d’isolement, n’était pas adapté à la prise en charge simultanée de patients Covid et dialysés. Le personnel récemment affecté manquait de formation spécifique, compromettant la qualité des soins dispensés à ces patients particulièrement vulnérables.

Les chiffres interpellent : sur les 89 patients dialysés concernés par ces transferts, 40 ont été testés positifs au Covid-19, suggérant une contamination croisée favorisée par les conditions de transport et d’hébergement. Cette proportion alarmante soulève des questions sur l’efficacité des protocoles sanitaires mis en place. Le bilan humain de ces dysfonctionnements est lourd, avec douze décès dont certains dans des circonstances particulièrement troublantes, des patients retrouvés sans surveillance préalable dans leur chambre.

Responsabilités et enjeux politiques

Les témoignages soulèvent des interrogations légitimes sur la qualité des soins prodigués durant cette période. L’absence d’administration de traitements essentiels, comme l’insuline pour les patients diabétiques, constitue un élément central des accusations portées par les familles. Cette enquête dépasse le cadre individuel de chaque décès pour questionner l’organisation générale du système de santé face à une crise exceptionnelle.

Au-delà des aspects techniques, cette affaire soulève des questions sur la gouvernance sanitaire durant la crise. Le rapport évoque même une possible négligence criminelle, pointant les responsabilités de l’ancien gouvernement et de son ministre de la Santé pour avoir ignoré les alertes et retardé la publication des rapports d’enquête. Cette dimension politique ajoute une couche de complexité à l’affaire, transformant ce qui aurait pu être une simple question de gestion hospitalière en un enjeu de responsabilité gouvernementale face à la protection des citoyens les plus vulnérables.

L’instruction de cette affaire, présidée par la magistrate Shavina Jugnauth, s’inscrit dans une démarche de transparence nécessaire. Elle permet aux familles endeuillées d’exprimer leur souffrance et leurs interrogations légitimes sur les circonstances de ces décès. Les seize témoins convoqués pour les premières auditions représentent principalement les familles des victimes, donnant une voix à ceux qui ont perdu leurs proches dans des circonstances qu’ils estiment évitables.

Cette enquête judiciaire ouverte par le Directeur des Poursuites Publiques représente un tournant dans la quête de justice des familles endeuillées. Après quatre années d’attente, elle offre enfin un cadre légal pour examiner les circonstances de ces décès et déterminer les responsabilités. Le processus judiciaire en cours, avec ses multiples auditions programmées, permettra d’établir un récit complet et factuel de cette tragédie tout en constituant un élément de réparation morale pour les familles.

L’affaire des douze patients dialysés illustre la nécessité d’une gouvernance transparente et responsable face aux crises de santé publique, constituant un examen nécessaire des mécanismes de protection des patients les plus fragiles.